Addiction aux jeux : les recommandations de l'Inserm

Pour la première fois, des experts se sont intéressés à la dépendance aux jeux de hasard et d'argent. Résultat : un ouvrage de près de 500 pages, 1250 articles analysés, une vingtaine d'experts consultés… et au final plusieurs recommandations à l'attention des pouvoirs publics français.

Par Isabelle Bousquet Maniguet, le 23/07/2008

La première expertise collective

La ville de Las Vegas aux Etats-Unis

À la demande de la Direction générale de la santé, l'Inserm a mené un travail pluridisciplinaire afin de rassembler les données scientifiques existantes sur les conduites addictives liées aux jeux de hasard et d'argent. Objectif : mieux cerner l'ampleur de cette forme nouvelle « d'addiction sans substance » et mettre en place une politique de prévention et de soin adaptée au contexte français.

Dans notre pays, le chiffre d'affaires des jeux autorisés – Loto et jeux de grattage, casinos, machines à sous, paris sur hippodrome – a été multiplié par 400 entre 1960 et 2006, passant de 98 millions d'euros à 37 milliards d'euros. En outre, les jeux vidéo et sur Internet connaissent une croissance exponentielle. Or, il est désormais connu que ces jeux peuvent conduire à des pratiques d'abus, voire de dépendance : le joueur est alors incapable d'arrêter de jouer, en dépit de conséquences parfois dramatiques (endettement, problèmes familiaux et professionnels..). Après avoir analysé les données internationales publiées dans 1 250 articles, l'expertise de l'Inserm constate qu'il est impossible de connaître le nombre de « joueurs pathologiques » en France mais annonce des chiffres inquiétants pour d'autres pays.

Quelques chiffres en France

• 192 casinos, avec un chiffre d'affaires de 18,66 milliards d'euros en 2004 et 64 millions d'entrées

• 6,8 millions de parieurs hippiques en 2005

• 9,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour la Française des Jeux en 2007

• Entre 1999 et 2006, les mises engagées par les joueurs ont augmenté de 91% pour les paris sur hippodrome, de 77% pour la Française des jeux et de 75% pour les casinos

• Jeux vidéo et Internet : 26% des 8-14 ans passent plus de 4 heures par semaine à jouer ; 34% des 15-18 ans utilisent Internet pour jouer

Lorsque le jeu devient excessif, voire pathologique

Plus de 200 enquêtes par questionnaire sur des échantillons représentatifs de la population ont été menées dans le monde afin d'estimer la prévalence de joueurs problématiques (ou excessifs) et pathologiques.

Une salle de jeu, à Las Vegas.

En tête, les États-Unis et l'Australie, avec 5% de la population concernée (3% de joueurs problématiques et 2% de joueurs pathologiques) ; en queue, la Norvège (0,2% de la population). Entre les deux, une majorité de pays avec une prévalence comprise entre 1,5 et 3% de joueurs problématiques et pathologiques. Selon les experts, la France pourrait se situer dans cette fourchette. Pour le savoir, ils recommandent de lancer, dès l'automne 2008, une grande enquête nationale par questionnaire téléphonique sur un échantillon d'environ 25.000 personnes.

Que sait-on des jeux vidéo et sur Internet ?

Face au manque de données épidémiologiques, impossible aujourd'hui d'estimer l'ampleur du phénomène « d'addiction » concernant ce type de jeux, en France comme ailleurs. Les experts recommandent donc d'effectuer des études en population générale après avoir au préalable défini les concepts et outils permettant de repérer les joueurs problématiques et pathologiques dans ce secteur.

Des facteurs associés

Les études épidémiologiques montrent que les hommes sont plus concernés par le jeu problématique et pathologique que les femmes, les jeunes (adolescents et jeunes adultes) plus que les vieux. Les antécédents familiaux (parents ayant rencontré des problèmes de jeu) et la précocité aux jeux sont également des facteurs de risque. Les joueurs pathologiques se rencontrent dans tous les milieux sociaux et souffrent, dans une grande proportion, d'autres problèmes addictifs (tabac, alcool et, dans une moindre mesure, drogues illicites), ainsi que de troubles de l'humeur (pour la moitié d'entre eux). Selon les experts, « l'impulsivité est au cœur de la définition du jeu pathologique ».

Le jeu est-il une drogue ?

Jean-Pol Tassin, neurobiologiste, Collège de France

Les joueurs pathologiques ont un comportement addictif (besoin impérieux de jouer coûte que coûte) qui ressemble à celui induit par la consommation d'une drogue. Mais on ne sait pas si le jeu à lui seul peut induire une dérégulation du système nerveux central (au niveau du couple de neurotransmetteurs noradrénaline-sérotonine) comme le fait la prise répétée d'une drogue. Il est d'autant plus difficile de répondre à cette question que la majorité des joueurs pathologiques sont également consommateurs excessifs de tabac et d'alcool.

Quelle prise en charge ?

Jean Adès, psychiatre, hôpital Louis Mourier à Colombes

La problématique du jeu a été intégrée dans le Plan de prise en charge et de prévention des addictions (2007-2011) du ministère de la Santé afin de favoriser le dépistage et la prise en charge des joueurs en difficulté au sein des programmes de soins des centres d'addictologie. Le groupe d'experts recommande la formation des intervenants (médecins généralistes, psychologues, travailleurs sociaux…) aux problèmes du jeu pathologique, et le développement de thérapies brèves, qui pourraient améliorer l'accès aux soins. Car la plupart des joueurs pathologiques pensent pouvoir s'en sortir seuls : d'après deux études épidémiologiques américaines, 7 à 12% des joueurs pathologiques ont cherché une aide auprès de professionnels ou d'associations de joueurs anonymes. Autres préconisations : le développement d'une ligne d'écoute nationale et diverses actions d'information, en particulier sur les sites de jeux de hasard et d'argent sur Internet. Reste à l'État l'exercice délicat de jongler entre la protection des citoyens et la promotion du jeu qui lui rapporte tout de même quelques subsides (6 milliards d'euros).

Isabelle Bousquet Maniguet le 23/07/2008