Climat : menace sur les glaciers andins

Ils parsèment les Andes et font étinceler les sommets... les glaciers représentent la principale ressource en eau de l'Amérique du Sud. Mais ces réservoirs sacrés font les frais du changement climatique. Et leur disparition paraît inévitable. Reportage.

Par Lise Barnéoud, le 03/10/2008

L’Antisana perd sa glace

Les glaciers tropicaux, comme celui de l’Antisana, couvrent environ 2 800 km2. Ils représentent 5 % des glaciers de montagne du monde.

Il a la tête dans les nuages et les pieds dans ses eaux de fonte. L'Antisana est un beau sommet des Andes, situé en Equateur, à 50 km à l'est de Quito. De ses 5750 mètres d'altitude, ce volcan englacé domine la région et ses terres agricoles. Les alpinistes le regardent avec envie. Les scientifiques avec crainte. Et pour cause : depuis dix ans, ses glaciers reculent en moyenne d'une vingtaine de mètre par an.

Au pied de ce géant, le paysage semble lissé par les dépôts successifs de cendres. Seuls quelques canyons creusés par l'eau de fonte entaillent ça et là sa surface. « La dernière éruption connue remonte à 1801, explique Eric Cadier, chercheur à l'Institut de Recherche pour le développement (IRD), au volant de son 4x4. Aujourd'hui, cet édifice ne donne plus aucun signe d'activité volcanique. » Trois fois par mois, ce chercheur prend le chemin de ce massif montagneux pour relever des données météorologiques et chiffrer précisément les pertes de glace.

Au pied du glacier, une station météo complète

« L'Antisana fait partie d'un réseau mondial d'étude des glaciers et du climat, précise l'hydrologue. Notre objectif est de relier le plus précisément possible le recul des glaciers avec les changements du climat, en termes de température, de précipitations, de vent, d'humidité… ». Les résultats sont éloquents : 45% de la superficie du glacier a disparu depuis 1956, dont plus de la moitié durant les dix dernières années. Une perte essentiellement due à l'augmentation de la température et à des épisodes El Nino plus intenses et plus fréquents au cours du dernier tiers du XXe siècle.

Comment évaluer l’état de santé d’un glacier

Un carottage sur un glacier français

En France comme dans tous les milieux tempérés, les glaciers gagnent de la masse en hiver et en perdent en été. Mais sous les tropiques, ils peuvent recevoir de la neige ou fondre durant toute l'année. En revanche, le principe de fonctionnement d'un glacier reste le même : il reçoit de la neige dans sa partie haute (au-delà de 3000 mètres dans les Alpes et de 5000 mètres dans les Andes), il s'écoule lentement par gravité en suivant la ligne de pente et finit par fondre au niveau de son front, c'est-à-dire de sa limite inférieure.

Pour savoir si un glacier gagne ou perd de la masse, il faut réaliser ce que les scientifiques appellent un « bilan de masse ». Celui-ci consiste à mesurer le stock de neige que le glacier accumule et la quantité de masse qu'il perd. La technique la plus utilisée consiste à planter de longues tiges en PVC un peu partout sur le glacier. Ces tiges sont composées de plusieurs éléments emboités et numérotés. Il suffit alors de vérifier quel élément émerge et de combien de centimètres pour pouvoir comparer l'épaisseur du glacier au fil du temps. Souvent, ces mesures sont couplées à des carottages. Il faut alors enfoncer un long cylindre dans la neige jusqu'à atteindre la glace. On obtient ainsi l'épaisseur de la couche de neige tombée durant les dernières périodes de précipitations.

Un phénomène généralisé

Le recul spectaculaire des glaciers de l'Antisana est loin d'être un cas unique. C'est même la norme dans la haute cordillère blanche, en Equateur, mais aussi en Bolivie ou au Pérou. D'après un dernier inventaire réalisé par l'IRD, les glaciers de cette chaîne glaciaire tropicale ont perdu le quart de leur superficie entre 1970 et 2003. Plus inquiétant encore : 10% d'entre eux ont disparu entre 1997 et 2003 et ceux situés à moins de 5300 mètres semblent condamnés d'ici vingt ans. Ces mesures sont par ailleurs fortement corrélées aux élévations de température de surface de la mer dans le Pacifique équatorial.

Les glaciers du monde entier perdent leur glace

Sur les flancs de l'Antisana, on comprend vite pourquoi ces glaciers andins sont particulièrement sensibles aux variations climatiques. « Vous sentez ce soleil ? C'est ici que la Terre reçoit le plus de radiations, explique Eric Cadier. Et ces pentes raides de volcan n'arrangent rien : elles accélèrent l'écoulement du glacier. Donc tout va plus vite ici. »

Toutefois, si le phénomène est plus marqué sous les tropiques qu'ailleurs, partout sur la planète les glaciers reculent. Le dernier bulletin du Service mondial de suivi des glaciers (World Glacier Monitoring Service - WGMS), publié par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) et portant sur une trentaine de glaciers dans le monde, montre qu'entre les années 2004-2005 et 2005-2006, le taux moyen de fonte des glaciers a plus que doublé. Ces glaciers ont ainsi perdu en moyenne 1,4 mètre d'équivalent eau (soit environ 1,5 mètre de glace) en 2006, ce qui porte la disparition cumulée de glace depuis 1980 à plus de 11,5 mètres !

Les risques glaciaires

Les glaciers représentent un danger pour les populations. En effet, leur réchauffement ou les séismes fréquents dans les Andes peuvent entraîner des chutes de blocs de glace, des avalanches ou des ruptures de verrous morainiques, ce qui peut provoquer des coulées de boue, voire des « raz de marées » destructeurs pour les villes situées au pied des volcans. Dans la cordillère blanche péruvienne, le 31 mai 1970, un séisme avait ainsi déclenché une avalanche de glace et une coulée de boue faisant près de 20 000 victimes. Depuis cinquante ans, la fonte accélérée des glaciers andins favorise les conditions propices à ce type d'accident…

La perte d’une ressource précieuse

L'équipe de l'IRD mesure le débit des eaux de fonte du glacier.

« Des millions, si ce ne sont pas des milliards de personnes dépendent directement ou indirectement de ces réserves naturelles d'eau [ndrl : les glaciers] pour l'eau potable, l'agriculture, l'industrie et la production d'énergie électrique durant des périodes clés de l'année », a réagi le directeur du PNUE, Achim Steiner lors de la publication du dernier bulletin du suivi des glaciers en mars 2008.

De fait, en Asie, 2,4 milliards de personnes (soit 40% de la population mondiale !) seraient tributaires des eaux de fonte de glaciers. Les Andes sont moins peuplées mais tout aussi affectées par le recul des glaciers puisque la plupart de leurs rivières sont alimentées par la fonte des glaces et de la neige. Au Pérou, 80% des sources d'eau proviennent des glaciers. Durant la saison sèche, une ville comme La Paz est uniquement alimentée par les eaux de fonte.

Patrick Legoulven, hydrologue à l'IRD, présente le cas de l'Equateur

L'Equateur a un peu plus de chance que ses voisins puisqu'il reçoit plus de précipitations et sur toute l'année. L'eau potable de Quito provient ainsi essentiellement des « Paramo », ces hauts plateaux de terre gorgée d'eau. En revanche, l'eau de fonte est largement utilisée pour l'irrigation.

Quelles solutions ?

Bernard Pouyaud, hydrologue et directeur de recherche émérite à l'IRD: « Il faut donner un prix à l’eau »

Sauf à refroidir la planète, il est évidemment impossible d'empêcher les glaciers de disparaître. On peut toutefois chercher à remplacer ces réservoirs d'eau naturels par des retenues artificielles, mais ces ouvrages coûtent chers, ils inondent bien souvent des zones habitées ou cultivées et dans les régions sismiques comme les Andes, ils présentent un risque important pour la population locale.

Au-delà de ces aménagements « préventifs », la seule solution face à la pénurie annoncée consiste à mieux gérer cette ressource rare et à récupérer la moindre goutte d'eau. Ainsi, les grandes villes d'Amérique du Sud mettent progressivement en place des politiques de tarification d'eau. On commence également à s'adapter au niveau agricole, en choisissant des cultures moins gourmandes en eau ou bien en adaptant des techniques d'irrigation moins gaspilleuses. Au Chili et au Pérou, on tente aussi d'installer des filets à brouillard qui captent l'humidité des nuages et permettent de récupérer jusqu'à 30 litres d'eau par mètre carré de filet et par jour. Toutefois, ces solutions ne sont pas suffisantes pour répondre à la demande des habitants, de plus en plus nombreux. Et à terme, les conflits d'usage devraient s'intensifier…

Lise Barnéoud le 03/10/2008