Nobel de physique 2008 : nous, les enfants de la symétrie brisée

Le Nobel a été décerné à trois Japonais, Yoichiro Nambu, Makoto Kobayashi et Toshihide Maskawa, pour deux avancées majeures de la physique moderne.

Par Viviane Thivent, le 08/10/2008

Matière - Antimatière : égalité

Makoto Kobayashi, du KEK de Tsukuba, au Japon.

Nous sommes tous issus de poussières d'étoiles, d'accord. Mais ce qui est moins connu, c'est qu'à ce titre, nous sommes, avant tout, les enfants d'une violation de la symétrie, une loi pourtant fondamentale de la physique. Celle-ci apparaît au beau milieu des années folles lorsqu'un Britannique, Paul Dirac, prédit que chaque particule doit avoir un symétrique, un jumeau de même masse mais dont certains paramètres physiques, dont la charge électrique, seraient opposés. A un électron, une particule de charge négative correspond par exemple une antiparticule, appelée positron, de charge électrique équivalente mais de sens contraire (positive donc). Du coup, si ces deux particules se rencontrent, elles s'annihilent l'une l'autre et disparaissent.

Toute chose, à quelques exceptions près comme le photon, a donc son inverse, son symétrique. Partant de ce postulat, les physiciens parviennent, dans les années 1950, à la notion du Big Bang, une explosion gigantesque qui aurait fourni assez d'énergie pour produire de la matière et son pendant, de l'antimatière. Reste qu'une fois que l'on a dit ça, on se heurte quand même à un sérieux problème : il n'y a qu'à ouvrir les yeux pour s'en apercevoir, la Terre, les galaxies, nous-mêmes, tout est formé de matière. Où est passée l'antimatière ? Y aurait-il des univers inconnus entièrement constitués d'antimatière ? Mais si tel est le cas, des frontières devraient exister entre ces mondes, des franges où matière et antimatière se rencontrent et s'annihilent en émettant une grande quantité d'énergie. « Résultat : pendant des années, les observateurs vont scruter le ciel à la recherche d'anti-univers… En vain… » se souvient Jean Iliopoulos, directeur de recherche émérite au CNRS. Alors quoi ? Pourquoi l'antimatière échappe-t-elle à la détection ?

Matière : avantage

Toshihide Maskawa, de l'université de Kyoto, au Japon.

Peut-être parce qu'une erreur a été commise, proposent en 1956 deux théoriciens américano-chinois, Tsung Dao Lee et Chen Ning Yang (Prix Nobel 1957). Pour autant, l'idée ne suffit pas à faire chanceler le dogme déjà bien ancré de la symétrie absolue. Les observateurs continuent donc à scruter le ciel... pendant huit ans. Jusqu'à ce qu'une expérience menée en 1964 sur une particule élémentaire, le kaon, mette en lumière une violation des lois de la symétrie. C'est désormais acquis : la formation de la matière et de l'antimatière ne se fait pas via un processus équitable. « À chaque cycle, une infime fraction de matière apparaît en sus de l'antimatière, continue Jean Iliopoulos. Lors du Big Bang, la matière et l'antimatière créées se sont annihilées. N'est resté que cet excédent de matière. Tout ce que nous voyons, les astres, vous et moi, est le fruit de cette violation de la symétrie ! »

Reste encore un point épineux : comment expliquer que les lois de la symétrie puissent ainsi être bafouées ? C'est là, que deux des trois Nobel 2008, Makoto Kobayashi et Toshihide Maskawa, entrent en scène. En 1972, les deux jeunes chercheurs de l'université de Kyoto démontrent alors que si la matière n'est pas constituée de quatre particules appelées quarks – comme on le croyait jusque-là – mais de six, alors la violation de la symétrie se fait de façon naturelle. Ils ajoutent ainsi à la liste des quarks existants (up, down, charme, étrange), les quarks top et bottom (aussi appelés vérité et beauté). Le premier, peu massif, est découvert quelques années plus tard. Le second n'est observé de façon directe que l'année dernière, en 2007.

« Il y a tout de même un grand oublié dans ce Nobel, Nicola Caribbo, qui, bien avant les chercheurs japonais, a émis l'hypothèse qu'il pouvait exister trois types de quarks. La matrice qui sert aujourd'hui à caractériser ces briques élémentaires de la matière s'appelle d'ailleurs la matrice de Cabibbo-Kobayashi-Maskawa, » fait remarquer Jean Iliopoulos.

Des quarks à la matière...

Le bestiaire des particules

Une autre histoire de symétrie

Yoichiro Nambu, de l'université de Chicago, aux Etats-Unis

Le troisième prix Nobel a été remis à Yoichiro Nambu de l'université de Chicago aux États-Unis pour des travaux portant sur la brisure spontanée de la symétrie. Cette fois, plus question de matière et d'antimatière. Seul le mot symétrie relie les deux avancées nobélisées. Le principe de la brisure spontanée de la symétrie est assez simple à comprendre. Prenez une tige parfaitement cylindrique, placez-la à la verticale et appuyez dessus. Les forces qui s'exercent sur la tige se répartissent de façon homogène, donc de façon symétrique, sur l'objet. Pourtant, si vous appuyez suffisamment fort, la tige se tord dans une direction donnée : la symétrie est brisée, d'où le nom du phénomène. De plus, l'orientation prise par la déformation est imprévisible. L'idée d'Yoichiro Nambu a été d'appliquer ce principe aux particules élémentaires, et plus particulièrement au méson pi, une particule beaucoup moins massive que les autres. Dans les années 1960, il explique cette faible masse par une brisure spontanée de la symétrie. Un an plus tard, l'Américain Jeffrey Golstone étend cette découverte et montre que chaque fois qu'une brisure spontanée de la symétrie survient, une particule de masse nulle ou très faible est émise. « Lui aussi aurait mérité le prix, conclut le chercheur, Mais que voulez-vous... les voies du comité Nobel sont parfois impénétrables. »

Viviane Thivent le 08/10/2008