Monogamie : divorce entre vers parasitaires

On peut être un ver, un parasite même, et avoir des problèmes de couple si sérieux qu'il faille divorcer… Et dans ce cas, le choix de la séparation serait plutôt le fait de la femelle, affirme une équipe française après avoir étudié le comportement du plus simple des organismes monogames : le schistosome.

Par Viviane Thivent, le 03/11/2008

Un ver, deux sexes, une solution

Les sexes chez le schistosome

Responsable de la deuxième maladie parasitaire au monde, le schistosome est une curiosité zoologique. D'abord parce que ce ver est sexué, ce qui est très rare dans un groupe plus enclin à l'hermaphrodisme. Ensuite, parce qu'il est monogame : mâle et femelle s'assemblent pour la vie. Et ceci n'est pas qu'une simple figure de style. Car, chez cette espèce, quand le couple se forme dans le foie de l'homme, la femelle se love littéralement à l'intérieur du mâle, dans une sorte de fente ventrale prévue à cet effet. À partir de là, le mâle prend le ménage en main. Plus musculeux que la femelle, il se met à nager, à contre-courant, dans les vaisseaux sanguins pour rejoindre les capillaires qui entourent le tube digestif.

Quelle maladie provoque le schistosome chez l'homme ?

« Et ce n'est pas de la rigolade, raconte Jérôme Boissier du Laboratoire de biologie et d'écologie tropicale et méditerranéenne de l'université de Perpignan et co-auteur de cette très instructive étude*. Pour le mâle, ce voyage est très coûteux en énergie. Il fait preuve d'un réel investissement dans le couple. » Ce n'est qu'une fois arrivée à bon port, et toujours protégée des agressions extérieures par le mâle, que la femelle devient mâture et se met à produire des œufs. L'histoire aurait alors pu en rester là, laissant le couple vivre heureux et avoir beaucoup « d'enfants ». Mais non, les lois de la biologie en ont décidé autrement...

* S. Beltran et al., PlosOne, octobre 2008

Quel est le cycle de vie du schistosome dans l'organisme ?

Commentaire de Jérôme Boissier du Laboratoire de biologie et d'écologie tropicale et méditerranéenne de l'université de Perpignan.

La guerre des sexes

Car s'il est une chose certaine en biologie, c'est qu'en même temps que la monogamie, est apparue toute une cohorte de comportements adultères ou de divorce. « Or, l'origine de ces traits comportementaux est mal comprise, explique Jérôme Boissier. Et pour cause : comme la monogamie apparaît surtout chez des organismes sociaux comme les oiseaux, il n'est pas facile de faire la part des choses entre ce qui vient du groupe ou de l'individu. D'où l'idée d'étudier ces comportements chez un organisme dépourvu de tout cadre social. » Le schistosome, donc.

N'est-il pas excessif de parler de monogamie et de divorce chez un ver ?

Car, même si c'est assez difficile à imaginer, les vers eux-mêmes divorcent. La preuve par l'expérience. Les chercheurs ont contaminé des rats avec des clones d'une seule femelle et d'un seul mâle. Ils ont ensuite laissé agir l'alchimie pendant sept semaines, le temps que tous les couples se forment. Point important : comme tous les mâles et toutes les femelles sont des clones, les couples eux-mêmes sont identiques.

« À partir de là, nous avons ajouté une troisième population clonale, des mâles ou des femelles, génétiquement différente des deux premières, explique Jérôme Boissier. Ceci afin de voir si les couples initiaux allaient se maintenir ou non. » Et sept semaines plus tard, les chercheurs ont dénombré les cas de divorce. Résultat : 16% de femelles soumises au choix ont changé de partenaires contre 6% de mâles.

Des femelles cœurs d’artichaut ?

Un couple de schistosomes

Les femelles semblent donc céder à la tentation bien plus facilement que les mâles. Pour tenter d'en comprendre les raisons, les chercheurs ont mis sur pied un autre protocole, cette fois, entièrement dédié aux choix, plus versatiles, des femelles. Comme lors de la première expérience, ils ont contaminé des rats avec des clones d'une seule femelle et d'un mâle. Mais sept semaines plus tard, ce ne sont pas une mais douze populations clonales de mâles que les chercheurs ont inoculées aux rats. Des mâles tous différents et dont le génotype est plus ou moins éloigné de celui du premier mâle et de la femelle.

Résultat : les femelles ont davantage divorcé lorsqu'elles trouvaient un mâle génétiquement plus différent d'elles que le premier mâle. Un comportement qui permettrait d'améliorer le brassage génétique au sein de la population. « La façon dont les femelles jaugent le contenu génétique des mâles reste néanmoins énigmatique, conclut le chercheur. Il est possible qu'elles utilisent le système immunitaire de l'hôte pour obtenir des renseignements indirects sur le profil génétique des mâles. Mais cette hypothèse reste à tester... »

Viviane Thivent le 03/11/2008