Acomplia : la fin d’une pilule contre l’obésité

Acomplia®, le médicament anti-obésité du laboratoire Sanofi-Aventis, a été récemment retiré des ventes par les autorités sanitaires européennes. Retour sur ce retrait et décryptage des arguments scientifiques qui ont motivé cette décision.

Par Victoire N'Sondé, le 16/01/2009

Une balance bénéfice/risque défavorable

Acomplia®

Moins de deux ans après sa commercialisation, Acomplia® un nouveau médicament contre l'obésité, est retiré des ventes fin octobre 2008, sur recommandation de l'Agence européenne d'évaluation des médicaments (EMEA). Ce médicament était prescrit pour traiter les personnes obèses ou en surpoids et qui souffraient également de diabète de type 2 ou d'un taux anormalement élevé de graisses dans le sang (dyslipidémie). L'Agence européenne considère aujourd'hui que les risques (troubles psychiatriques graves) liés à l'utilisation d'Acomplia® sont supérieurs à ses bénéfices.

Des interrogations dès la commercialisation

La suspension d'Acomplia® met un point final aux restrictions d'utilisation qui se sont succédées depuis sa mise sur le marché. Dès sa commercialisation, en mars 2007, l'Agence européenne du médicament prévient des effets indésirables neuropsychiques associés. « Parmi les effets indésirables fréquents (1 à 10 patients sur 100), altérations d'humeur, anxiété, dépression et troubles du sommeil ont été observés plus souvent sous Acomplia® qu'avec le placebo », peut-on lire dans son rapport d'évaluation sur ce médicament.

Quel est le rôle des Agences du médicament ?

Néanmoins, l'Agence juge à l'époque les bénéfices du médicament supérieurs aux risques. Elle s'appuie sur les résultats du programme RIO (Rimonabant In Obesity, rimonabant étant le nom scientifique de l'Acomplia®), mené sur plus de 6.600 patients obèses ou en surpoids avec des maladies associées : diabète de type 2 ou dyslipidémie avec certaines graisses en excès (les triglycérides).

Ce programme inclut quatre études randomisées en double aveugle contre placebo (voir "Point de repères" ci-dessous). Dans chacune d'elles, un groupe de patients a reçu du rimonabant et l'autre un placebo, tous les patients devant également respecter les mêmes règles d'hygiène et de diététique. Au total, 5.000 patients ont effectivement pris du rimonabant. Résultat : après un an de traitement, les patients perdent en moyenne 5 à 6 kg (contre moins de 2 kg dans le groupe placebo). Au bout de deux ans, la perte de poids s'est maintenue mais les patients regrossissent progressivement dès l'arrêt du traitement. Toutefois, l'Agence européenne du médicament est convaincue par les résultats de ce programme et donne son feu vert. Ce n'est pas le cas de son homologue américaine. En juin 2007, la FDA (Food and Drug Administration), l'Agence du médicament aux États-Unis refuse la mise sur le marché du rimonabant sur son territoire à cause des risques d'effets secondaires neurologiques et psychiatriques.

Qu’est ce qu’une étude randomisée en double aveugle ?

Dans une étude randomisée en double aveugle, deux groupes de patients sont tirés au sort. Le premier groupe reçoit le médicament que l'on souhaite évaluer, le second un placebo, c'est-à-dire un produit inactif mais de même aspect que le médicament. On procède en « double aveugle », c'est-à-dire que ni les patients, ni les chercheurs qui mènent l'étude ne savent qui a reçu quoi. Le but est d'éviter un biais expérimental lié à la connaissance de cette information.

Des risques neuropsychiques multipliés par 2

En juillet 2007, soit un mois après le refus américain, l'Agence française du médicament (Afssaps) interdit la prescription du rimonabant aux personnes dépressives ou traitées par antidépresseurs. Elle met également en place une surveillance renforcée de ce médicament, qui reste en vente. Les données de pharmacovigilance vont bel et bien confirmer le risque de troubles dépressifs, qui surviennent surtout en début de traitement.

En juin 2008, devant l'augmentation des troubles psychiatriques rapportés sous rimonabant, l'Agence européenne décide de faire le point. Elle réunit un comité d'experts pour réexaminer le rapport bénéfique/risque du médicament en fonction des dernières données scientifiques : d'une part, les données de pharmacovigilance et, d'autre part, les résultats des essais cliniques en cours depuis la commercialisation du médicament. En effet, même après la mise sur le marché d'Acomplia®, des études cliniques se poursuivent afin d'évaluer son efficacité dans d'autres indications. Un exemple : l'essai international Crescendo, mené sur plus de 18.000 personnes, afin d'étudier la capacité de ce médicament à prévenir les complications cardiovasculaires chez les personnes obèses à haut risque. Avant même la fin de cette étude, le rimonabant est mis en cause pour ses effets psychiatriques graves. 6 cas de décès sont recensés, dont 5 chez des patients sous rimonabant, et 1 chez un patient sous placebo.

Comment s’organise la pharmacovigilance ?

Quant aux données de pharmacovigilance à l'échelle européenne, elles indiquent que, dans la vie réelle, la durée moyenne du traitement est de trois mois, et non de 1 à 2 ans comme dans les essais cliniques. Il faut dire que les études menées avant la commercialisation d'Acomplia® avaient déjà pointé le risque d'arrêt prématuré du traitement à cause des problèmes d'anxiété ou d'humeur dépressive liés à la prise de ce médicament. Traités moins longtemps, les patients sont donc également moins nombreux à répondre au traitement (un tiers de répondeurs contre la moitié dans les essais cliniques).

L’obésité dans le monde

En revanche, les risques d'effets indésirables (troubles dépressifs, anxiété et agressivité) sont multipliés par deux chez les patients qui utilisent Acomplia®. Point important : ces troubles sont observés chez des personnes qui ne présentent pas de prédisposition à la dépression. À la lumière de ces résultats, le réexamen du rapport bénéfice/risque du rimonabant est sans appel. Le médicament est suspendu, dans l'attente de son retrait des ventes.

À ce jour, l'Agence européenne du médicament n'a pas encore communiqué sur le nombre de patients victimes d'effets secondaires dans l'Union européenne. En France, selon l'Afssaps, environ 220.000 personnes ont pris de l'Acomplia® depuis le début de sa commercialisation. Parmi elles, 1.366 ont été victimes d'effets indésirables dont un tiers (385 exactement) ont présenté des troubles dépressifs avec 125 cas graves.

La fin d’une nouvelle classe de médicaments

« La suspension d'Acomplia® était prévisible… »

Le retrait de ce médicament fait grand bruit dans le milieu pharmaceutique et médical. Il n'est pas si courant qu'un médicament soit retiré des ventes (trois par an depuis l'année 2000, selon le Leem qui représente les entreprises du médicament). De plus, Sanofi Aventis, le laboratoire pharmaceutique qui commercialisait Acomplia®, est l'un des leaders mondiaux de ce secteur. Et au regard des chiffres de l'obésité dans le monde, avec au moins 400 millions d'adultes concernés, le marché potentiel d'Acomplia® s'annonçait lucratif. En 2008, ce médicament était déjà vendu dans toute l'Union européenne ainsi que dans quatorze autres pays.

« On ne pouvait pas savoir qu'Acomplia® ne tiendrait pas ses promesses... »

Acomplia® était le premier-né d'une nouvelle catégorie de médicaments contre l'obésité : les antagonistes des récepteurs cannabinoïdes. Suite à son retrait, les recherches concernant deux autres molécules de la même famille sont également abandonnées. Ces "candidats-médicaments" faisaient l'objet d'essais en phase III (la dernière étape avant la commercialisation). Il s'agit du taranabant de Merck et de la molécule CP-945.598 de Pfizer. La fin du « feuilleton » Acomplia® enterre une molécule thérapeutique à qui on avait prédit, un peu trop vite, un fabuleux destin.

Comment agissent les antagonistes des récepteurs cannabinoïdes ?

Les récepteurs cannabinoïdes sont localisés dans le système nerveux où ils interviennent pour contrôler l'ingestion des aliments. Ils sont également présents au niveau des cellules du tissu graisseux (les adipocytes). Ces récepteurs sont dits "cannabinoïdes" car ils interagissent également avec le cannabis pour produire les effets connus de cette substance. Comme leur nom l'indique, les antagonistes des récepteurs cannabinoïdes bloquent les effets dus à l'activation de certains de ces récepteurs (les récepteurs de type 1) en vue, notamment, de réguler l'appétit.

Victoire N'Sondé le 16/01/2009