Les robots martiens font de la résistance

Programmés initialement pour accomplir une mission de trois mois, les deux véhicules mobiles de la NASA Spirit et Opportunity fêtent leur cinquième anniversaire à la surface de Mars ! Leur mission a révélé des informations précieuses sur la planète rouge... Renforçant l'espoir d'y découvrir des traces de vie.

Par Pedro Lima, le 27/01/2009

Un record de longévité !

En 2003, les ingénieurs du Jet Propulsion Laboratory de la NASA réalisent les derniers réglages et assemblages sur les rovers martiens.

Le 4 janvier 2009, tôt dans la matinée, les bouchons de champagne résonnent dans les locaux du Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA, à Pasadena en Californie. Pour les ingénieurs et les scientifiques du programme MER (Mars Exploration Rovers, ou robots d'exploration martiens), le moment est en effet historique. Voilà cinq ans, jour pour jour, que le premier véhicule mobile de la mission, Spirit, a rebondi sur Mars, protégé par ses airbags. Bientôt rejoint, le 24 janvier 2004, par son frère jumeau Opportunity. Partis respectivement le 10 juin et le 7 juillet 2003 de Cap Canaveral à bord de deux fusées Delta, les « rovers » ont atterri, après six mois et 300 millions de kilomètres de voyage, sur les sites visés par les ingénieurs de la Nasa. Pour Spirit, un large cratère d'impact météorique appelé Gusev, situé dans l'hémisphère sud de Mars. Et pour Opportunity, une vaste plaine située dans l'hémisphère nord, Meridiani Planum. Cinq ans plus tard, les deux robots fonctionnent toujours, alors que les responsables de MER s'étaient engagés auprès du contribuable américain pour une mission de trois mois à peine…

Une instrumentation de pointe

Vue d'artiste d'un rover martien s'approchant d'une roche intéressante à étudier.

Programmés chaque jour depuis Pasadena, centre névralgique des opérations, les rovers ont transmis, au cours de leurs pérégrinations à la surface de Mars, une quantité considérable d'informations. Chaque robot est muni d'une caméra panoramique située au sommet d'un mât haut de 1m50, de trois spectromètres qui permettent de réaliser des analyses minéralogiques des roches, ainsi que d'un microscope réalisant des images d'une résolution de 30 microns par pixel. Sans oublier, dans cette véritable trousse à outil martienne, une sorte de meule abrasive destinée à poncer les roches pour les débarrasser des poussières. Au fil des 21 kilomètres parcourus sur la planète rouge, les deux rovers ont ainsi expédié 250 000 images, représentant 36 gigabits de données, transitant par les satellites martiens Mars Global Surveyor et Mars Odyssey avant de voyager vers la Terre.

Quel bilan pour la mission ?

Du côté de la NASA, on se montre bien sûr satisfait. Pour Steve Squyres, responsable scientifique, « l'importance de Spirit et Opportunity ne sera pas seulement mesurée à l'aune de leur accomplissement scientifique, mais parce que pour la première fois, nous sommes réellement partis explorer la surface de Mars. » Le propos est quelque peu sévère pour les prédécesseurs de Spirit et Opportunity, que furent les sondes américaines Viking 1 et 2, atterries sur Mars en 1976, et Sojourner (mission Pathfinder), également américain, débarqué en 1996… Mais le responsable des missions d'exploration du système solaire à l'ESA (Agence spatiale européenne), Marcello Coradini, estime que « MER a fourni des résultats très importants, autant technologiques que scientifiques ». Ce chercheur parle en connaisseur, puisqu'il a fait partie, dans les années 1970, de l'équipe de la NASA qui a réussi à poser les sondes Viking à la surface de Mars : « D'un point de vue technologique, la durée de vie des rovers est totalement inattendue. Cela signifie que les ingénieurs ont très bien travaillé, en mettant par exemple au point des batteries au lithium très résistantes au froid.»

À la surface de la planète rouge, la température moyenne est en effet de -53°C, et les variations thermiques entre le jour et la nuit peuvent atteindre 100°C... De plus, les panneaux solaires qui alimentent ces batteries, leur fournissant, au maximum de l'ensoleillement, une puissance de 100 watts (l'équivalent d'une ampoule domestique), ont donné entière satisfaction. La structure des robots a également résisté aux vents, très violents, et au bombardement intensif de rayonnements ultraviolets qui caractérisent la surface de Mars… Sans oublier la protection contre les poussières, optimale, qui a préservé les rouages et les circuits électroniques. Autant de succès techniques qui auront des applications sur Terre, dans les domaines de la miniaturisation des systèmes robotiques, ou de l'exploration des zones où règnent des conditions extrêmes, comme les pôles ou les volcans. Mais c'est bien sur le plan scientifique que le bilan des deux robots est le plus complet.

Des indices de la présence d’eau par le passé

« Spirit et Opportunity ont mis en évidence l'existence de terrains sédimentaires, qui sont une preuve indirecte de la présence d'eau par le passé, et ils ont découvert de petites sphères d'hématite rouge, un minerai qui n'acquiert cette coloration qu'en étant plongé dans l'eau. Ce sont les deux résultats les plus spectaculaires », analyse Marcello Coradini. Ces indices permettent de reconstituer un événement vieux de plus de 3,5 milliards d'années.

Pour l'astrobiologiste et géologue Nathalie Cabrol, membre de la mission MER, « l'hypothèse est que du magma localisé en profondeur dans le bassin est remonté en surface et est entré en contact avec une nappe phréatique, provoquant des explosions et la génération de sources hydrothermales, comme celles que l'on connaît sur Terre, dans le parc Yellowstone par exemple ». Avec d'autres membres de l'équipe, cette chercheuse n'a pas hésité à plonger, durant les années précédant le départ de la mission, dans des lacs de haute altitude de la Cordillère des Andes, comme celui du Licancabur, un volcan dormant perché à près de 6000 mètres, à la frontière du Chili et de la Bolivie. « Ces lacs constituent des environnements très proches de ceux qui existaient sur Mars lorsqu'il y avait de l'eau, et ils nous ont fourni des informations importantes sur les indices que devaient rechercher les robots dans les sols martiens ».

Quel est l’enjeu principal des recherches sur Mars ?

Aujourd'hui, Nathalie Cabrol estime que « les découvertes réalisées au cours des cinq années de mission indiquent clairement que par le passé, Mars bénéficiait d'un environnement habitable, propice à l'apparition de la vie, avec la présence d'eau, de minéraux, et d'énergie, attestée par l'activité volcanique ». Pour Marcello Coradini, « associés aux données fournies par le satellite européen Mars Express, en orbite martienne depuis décembre 2003, ces résultats indiquent que cette planète était très humide, avec des cycles de l'eau très actifs. Même si nous ne connaissons pas la chronologie de ces cycles, ni la date à laquelle l'eau a disparu de la surface ».

Les prochaines missions martiennes

Quelles sont les prochaines missions programmées sur Mars ?

Autant d'éléments qui plaident pour de futures missions martiennes, américaines et européennes, destinées à rechercher, à l'horizon 2020, des traces de vie sur la planète rouge. Et prévoyant également le retour sur Terre d'échantillons martiens, qui pourraient alors être plus finement analysés. Quant à l'envoi d'hommes vers la planète Mars, il est pour l'instant hypothétique, et ne se réaliserait pas avant l'horizon 2050… Mais en attendant, la mission MER est loin d'être terminée. Tout d'abord, il faudra encore des années aux chercheurs pour exploiter la masse considérable de données expédiée par les deux rovers. De plus, ces derniers poursuivent maintenant de nouveaux objectifs, comme le cratère Endeavour pour Opportunity, situé à 22 km du cratère Victoria, dont il s'est péniblement extrait il y a quatre mois…

Que se passera-t-il lorsque les robots seront arrivés en fin de vie, certains composants étant irrémédiablement atteints, ou les batteries ne suffisant plus à les faire fonctionner ? Ils mourront alors de mort naturelle… Et pas question de les débrancher depuis la Terre : « Cette commande n'existe pas, et c'est tant mieux, s'exclame Nathalie Cabrol, car pour l'équipe de MER, ce serait comme prendre la décision de débrancher le respirateur artificiel d'un membre de la famille ! »

Pedro Lima le 27/01/2009