Chasseurs d'images et de pigeons urbains

Dans la série « opération bizarre du printemps », une vingtaine de chercheurs proposent aux Franciliens d'intégrer leur programme de recherche. Comment ? En mitraillant les pigeons d'Île-de-France... à l'aide de leur appareil photo. Une première mondiale.

Par Viviane Thivent, le 11/05/2009

Shoot the pigeons

Des pigeons bisets sur une place

Ils ont mauvaise presse. On les dit bêtes, sales, nuisibles. On les accuse de ruiner les voitures ou les vestes des élégantes. Bref, à écouter les citadins, les pigeons ne sont vraiment pas le genre de bestioles sur lequel on aime à s'appesantir. Alors les photographier ? C'est pourtant la proposition qui est faite aux Franciliens par une vingtaine de biologistes et anthropologues de trois universités parisiennes, du Muséum national d'histoire naturelle et du CNRS dans le cadre de l'opération « couleurs de pigeons ». Jusqu'à la fin du mois de juin, il leur est ainsi demandé de photographier les pigeons urbains (Columba livia), si possible lorsqu'ils sont en groupe, si possible au hasard des rencontres, précise-t-on dans le protocole d'expérience. De quoi faire sourire. Attention toutefois aux préjugés, car l'affaire est sérieuse. Il s'agit même d'une première mondiale !

Ramiers et bisets

Le pigeon ramier

« En ville, on trouve deux espèces de pigeons, explique Anne‑Caroline Prévot‑Julliard, écologue et coordinatrice du projet. Il y a d'abord, les ramiers (Columba palumbus), gros pigeons bleu-gris au poitrail rosâtre possédant une tache blanche de part et d'autre du cou. » Ces pigeons-là sont arboricoles. C'est donc à eux que l'on doit les ornementations verdâtres laissées sporadiquement sur le capot des véhicules. Les automobilistes apprécieront la nuance.

L'autre espèce, majoritaire, est celle qui tue le temps dans les parcs, les places ou les trottoirs des capitales du monde. Ce sont les pigeons bisets, les descendants directs de pigeons élevés jusqu'au début du XXe siècle pour leur beauté, leur viande ou leur capacité à transmettre des messages. Avec l'abandon de cet art de vivre, l'image de ces volatiles change radicalement (Source : C. Jerolmack , The Cultural-Spatial Logic of Problem Animal, 2006).

Le pigeon biset

« Résultat : aujourd'hui les pigeons bisets ont une si mauvaise réputation que l'on ignore à peu près tout d'eux », regrette Anne‑Caroline Prévot‑Julliard. Boudés y compris par les ornithologues les plus chevronnés, leur dénombrement n'a jamais été effectué. Selon la légende urbaine, il y aurait dans la capitale entre 80 et 100.000 spécimens. Sur ce point, les spécialistes restent très vagues. « D'où l'idée de demander à la population de participer à notre expérience, afin qu'elle porte un nouveau regard sur ces oiseaux qui appartiennent à son patrimoine culturel et historique.» Mais au-delà du prétexte de la sensibilisation, l'opération « couleurs de pigeons » répond à une vraie question scientifique.

Si ton plumage ressemble à ton immunité…

Quiconque s'est déjà assis sur un banc le sait, les pigeons n'ont pas tous la même couleur. Certains sont gris, d'autres, noirs, d'autres encore sont blancs ou roux. « Ces colorations sont liées à la quantité de mélanine (pigment coloré) présente dans le plumage, continue Anne‑Caroline Prévot‑Julliard. Plus les plumes contiennent de la mélanine, plus elles sont sombres. » Or, il y a peu, une équipe internationale* a montré que la couleur des chouettes (Strix aluco) était liée à leur immunité.

Des pigeons, entre gris et gris foncé

Plus les oiseaux sont sombres, farcis de mélanine donc, plus ils résistent aux parasites ou aux maladies. Le même processus serait-il à l'œuvre chez les pigeons ? Pour le savoir, les scientifiques ont besoin d'avoir une idée de la diversité des plumages de pigeons bisets… en Ile de France puisque c'est la zone d'étude qui a été choisi.

* J. Gasparini et al. Journal of Animal Ecology, 2009 

« Si les pigeons présentent des plumages très diversifiés, on pourra en conclure que : soit l'immunité n'est pas liée au plumage chez cette espèce, soit l'environnement est suffisamment favorable pour n'exercer aucune pression de sélection », explique Anne‑Caroline Prévot‑Julliard. Par contre, si des sous-populations plus sombres sont observées localement, alors les choses pourraient devenir intéressantes. « Cela signifierait que, dans certains secteurs, les individus clairs qui, d'après notre hypothèse, présentent une moins bonne immunité, ne réussissent pas à survivre. En nous concentrant sur ces populations, nous pourrions alors tenter d'identifier les raisons (maladies, pollutions) de l'émergence de ces traits. »

La couleur des pigeons comme indicateur environnemental, il fallait y penser. Alors Franciliens, soyez urbains et devenez chasseurs d'images... de pigeons urbains !

Comment participer ?

C'est très simple. Il suffit de vous inscrire sur le site du programme http://pigeons.u-psud.fr/. Vous pourrez y poster vos clichés et trouver des informations complémentaires sur les pigeons.

Viviane Thivent le 11/05/2009