Histoire canine : le gène du court sur pattes

En comparant le génome de 76 races canines, une équipe américaine a trouvé que la petitesse des pattes observée chez certains chiens, n'était causée que par un seul et unique gène. Une découverte dont les retombées dépassent très largement l'univers canin.

Par Viviane Thivent, le 28/07/2009

« You know what ?... I am the hero »*

On les appelle les saucisses à pattes, les paillassons à pieds ou encore les boudins à moignons. Ils gambadent dans les rues, cahin-caha, la truffe en l'air. Forcément, car sinon elle traînerait par terre. Bref, les bassets et autres teckels font si facilement sourire qu'ils sont devenus, malgré eux, les anti-héros préférés du petit écran (Snoopy, Droopy). La faute au nanisme de leurs pattes. Un trait physique appelé chondrodysplasie et qui, d'après une équipe américaine, serait lié à un seul et unique gène (H. Parker et al., Sciencexpress, 16 juillet 2009).

Pour en arriver à cette conclusion, les chercheurs ont analysé le génome de 76 races de chiens hauts ou courts sur pattes à l'aide de quelque 40 000 marqueurs spécifiques de l'ADN. Ils ont ensuite comparé les résultats en tentant de repérer les traits génétiques communs aux chiens courts sur pattes. « C'est ainsi que nous sommes tombés sur la première surprise de notre étude, explique Pascale Quignon des National Institutes of Health, à Bethesda (Maryland, États-Unis). Dans tous ces génomes, seules deux zones marquées, situées non loin l'une de l'autre sur le chromosome 18, ont été identifiées comme communes et propres à tous les chiens courts sur pattes. »

Les chiens courts ou hauts sur pattes

Forts de ce constat, les chercheurs ont entamé le séquençage fin de cette région chromosomique. And you know what ?*

* Répliques de Droopy.

Le premier rétrogène des mammifères

La séquence identifiée par les deux marqueurs correspond en fait à la réplique d'un gène qui existe par ailleurs dans le génome des chiens et qui code pour le facteur de croissance 4 (Fgf4). « Or, ce doublon est actif, continue la chercheuse. Il produit lui aussi de la Fgf4. Ceci conduit à la sur-expression du gène. » Cette surabondance de facteurs de croissance perturberait les récepteurs prévus pour ces protéines et conduirait à l'arrêt prématuré de la croissance des pattes. Voilà donc pourquoi ces chiens ont des jambes si minuscules.

Mais ce n'est pas tout, happy taxpayers*, car ce gène a une autre particularité, celle d'être un complément dépourvu d'introns. Un détail peu anodin. D'ordinaire en effet, un gène est constitué d'introns et d'exons. Les introns sont néanmoins éliminés lors de la maturation de l'ARN messager qui sert de script pour la fabrication de la protéine. Le gène découvert dans l'ADN des chiens courts sur pattes pourrait donc provenir d'un brin d'ARN messager qui se serait intégré dans le génome. Il s'agirait alors d'un rétrogène. « Or, si de tels phénomènes avaient déjà été observés chez des insectes, c'est la première fois qu'un rétrogène actif est découvert dans le génome d'un mammifère ! » insiste Pascale Quignon.

* Réplique de Droopy, signifie « joyeux contribuables ».

Introns, exons, ARN et protéines

Du gène vers la protéine

Un gène est formé d'une succession de paire de nucléotides (ATCG) qui forment des exons et des introns. Lorsque le gène s'exprime, les deux brins d'ADN s'écartent pour permettre la transcription de l'ARN messager. Vient ensuite l'épissage de l'ARN. Les introns sont alors éliminés de la séquence. Ne reste plus sur l'ARN messager que la partie codante de l'information génétique : la succession des exons. C'est à partir de ce canevas qu'est fabriquée la protéine, lors du processus de traduction.

Une vie de chien sélectionnée

De quoi surprendre. En outre, la séquence de ce gène surnuméraire est parfaitement conservée d'une race à l'autre, ce qui indique l'existence d'une forte pression de sélection sur ce gène. Un indice qui met en exergue l'influence de la sélection humaine. « Il est très probable que ce trait physique soit apparu une fois et qu'il ait été jugé intéressant pour la chasse, peut-être parce qu'il permettait au chien de se faufiler dans un terrier de renard. »

Par le jeu des croisements et de la sélection, ce trait physiologique se serait transmis de générations en générations et aurait été utilisé pour créer toute une cohorte de nouvelles races. Une conclusion qui en appelle une autre : tous les chiens courts sur pattes partageraient le même ancêtre commun. Les caprices des hommes dépassent parfois ceux de la nature.

Viviane Thivent le 28/07/2009