Nobel de médecine 2009 : un passeport pour l'immortalité cellulaire

Le prix Nobel de médecine 2009 vient d'être remis à trois Américains pour la découverte de la télomérase, une enzyme qui répare les chromosomes et dont l'activité anormalement accrue serait impliquée dans 85% des cancers humains.

Par Viviane Thivent, le 05/10/2009

Et de trois !

Elisabeth Blackburn et Jack Szostak

Pour la troisième fois dans l'histoire des Nobel, des travaux portant sur les extrémités des chromosomes – les télomères – sont primés. Après Hermann Muller en 1946 et Barbara McClintock en 1983, c'est au tour de trois Américains, Elisabeth Blackburn, Carol Greider et Jack Szostak, de se voir décerner le prix Nobel de physiologie.

« Une annonce assez peu surprenante, admet Jean-François Riou, chercheur dans l'équipe "Acides nucléiques, dynamique, ciblage et fonctions biologiques" au Muséum national d'histoire naturelle. En 2006, ces mêmes chercheurs avaient déjà reçu le prix Lasker, une récompense souvent considérée comme un tremplin pour le Nobel de physiologie. C'est dire si l'intérêt de leurs travaux ne porte pas à débats. » Des travaux qui ont conduit à deux découvertes distinctes, celle d'un mécanisme de protection chromosomique et celle d'une molécule qui empêche, un temps, le vieillissement des cellules.

Un mécanisme de protection

Quelle est la particularité du modèle d'étude de ces chercheurs ?

L'histoire commence en 1980 avec une conférence. Sur l'estrade, Elisabeth Blackburn, alors chercheuse à l'université de Berkeley en Californie, présente le résultat d'une étude menée sur le génome d'un organisme unicellulaire (tetrahymena), un protozoaire cilié particulier puisqu'il possède plusieurs milliers de chromosomes (contre 46, par exemple, chez l'homme). Un foisonnement qui, explique-t-elle, lui a permis de s'apercevoir qu'aux extrémités de chaque chromosome se trouvait toujours la même séquence génétique : une succession de CCCCAA, un « bégaiement génétique » bien difficile à expliquer.

Schéma du télomère

Sauf pour l'un des auditeurs de ce colloque. Jack Szostak, professeur de génétique au Massachusetts General Hospital de Boston vient en effet de finir une expérience dans laquelle il montre que des bouts d'ADN enroulés – des « minichromosomes » – injectés dans des levures sont grignotés aux extrémités lors des divisions cellulaires successives. La présentation d'Elisabeth Blackburn lui donne alors l'idée suivante : se pourrait-il que les répétitions présentes chez les ciliés mais absentes de ces minichromosomes servent en quelque sorte de protection et empêchent le raccourcissement des chromosomes ? Pour tester cette hypothèse, les deux chercheurs s'associent et reprennent l'expérience de Jack Szostak en ajoutant aux extrémités de chaque minichromosome les étranges répétitions génétiques observées chez le cilié. Résultat : coiffés de ces séquences, les petits chromosomes conservent leur taille de division en division. Les télomères servent donc bel et bien de protection pour les chromosomes. Depuis, ils ont été détectés dans la grande majorité des organismes végétaux ou animaux.

Joyeux Noël !

Carol Greider

Mais reste quand même un problème : si ces télomères protègent les chromosomes, comment apparaissent-ils ? C'est en 1984, le jour de Noël, que l'étudiante d'Elisabeth Blackburn, Carol Greider, obtient la réponse : elle détecte dans un extrait de Tetrahymena une activité enzymatique capable de rajouter des séquences CCCCAA aux chromosomes. Les chercheuses baptisent la molécule « télomérase ». Une découverte de taille car l'enzyme se révèle essentielle pour lutter contre le processus de vieillissement cellulaire. La preuve : à compter du moment où son activité cesse, les télomères disparaissent et les chromosomes se mettent à raccourcir. Dès lors, la cellule devient incapable de se diviser. A contrario, une activité anormalement élevée de télomérase serait à l'origine de l'immortalité des cellules cancéreuses dans au moins 85 % des tumeurs humaines. 

Quelles sont les conséquences de cette découverte ?

« Des molécules anti-cancéreuses visant à inhiber l'activité de la télomérase sont d'ailleurs à l'étude », explique Jean-François Riou. De façon générale, nombre de travaux tentent de moduler l'activité de la télomérase, que ce soit pour lutter contre le cancer ou... contre le vieillissement. Cette dernière idée, pour alléchante qu'elle soit, ne semble néanmoins pas réalisable : jusqu'à maintenant, chaque fois que l'activité de la télomérase a été relancée dans une cellule normale, celle-ci est devenue cancéreuse.

Viviane Thivent le 05/10/2009