Nobel de physique 2009 : les années 60 à l'honneur

Le prix Nobel de physique 2009 récompense trois retraités dont les travaux, publiés dans les années 60, ont radicalement changé la société des années 2000 en permettant l'émergence des nouvelles technologies de l'information. Charles Kuen Kao, pionnier de la fibre optique, partage le prix avec Willard Sterling Boyle et George Elwood Smith, inventeurs du capteur d'image numérique.

Par Paloma Bertrand, le 07/10/2009

La révolution numérique commence dans les années 60

Les trois prix Nobel

Lorsque le prix Nobel a été annoncé ce matin du 6 octobre, la nouvelle, photos et textes à l'appui, a fait le tour du monde en quelques secondes, quasiment à la vitesse de la lumière. Une prouesse technologique qui doit beaucoup aux trois lauréats. L'un a joué un rôle essentiel dans la conception d'une fibre optique optimale, celle qui permet aujourd'hui aux milliards de données de transiter de par le monde, les autres ont inventé un dispositif essentiel à la numérisation des images.

Dans les années 60, il en allait tout autrement. Lorsque les trois ingénieurs publièrent les travaux qui leur valent aujourd'hui de recevoir le prix Nobel, les communications transatlantiques balbutiaient (le premier câble transatlantique posé en 1956 n'autorisait que 36 conversations téléphoniques simultanées) et les cinéastes amateurs découvraient le film Super 8 tout juste commercialisé par Kodak.

Une idée lumineuse

Bouquet de fibres optiques

Pourtant, en 1966, Charles Kao, jeune ingénieur en électronique dans une société anglaise The Standard Telecommunication Laboratories, pressent déjà que la fibre optique, un tube de verre capable de conduire de la lumière, est une technique d'avenir. Mais il se heurte à un problème de taille : les fibres optiques d'alors ne tiennent pas la distance. Après un parcours d'une vingtaine de mètres, il ne reste plus qu'1% du faisceau lumineux qu'elles sont chargées de faire voyager. Lui vient alors l'idée, lumineuse, que cette déperdition de lumière n'est pas tant un problème lié à la structure de la fibre mais plutôt à sa matière. Selon lui, il faudrait purifier le verre pour obtenir un meilleur résultat. Mais à l'époque personne ne connaît la recette. Charles Kao suggère, avec raison, de s'intéresser à un ingrédient clé : la silice. Puis il emploie toute son énergie, et c'est aussi cela qui lui vaut le prix Nobel, pour convaincre chercheurs et industriels de se concentrer sur cette recherche de transparence du verre. Et quatre années plus tard, son obstination porte ses fruits : 1 km d'une nouvelle qualité de fibre optique sort d'usine.

L'histoire à suivre ne lui appartient plus. Elle verra, en 1988, s'installer le premier câble en fibre optique reliant l'Europe à l'Amérique, sur 6 000 km. Vingt ans plus tard, 1 milliard de km de fibre parcourt la planète. Et ce n'est pas fini : l'enjeu majeur aujourd'hui est l'arrivée de la fibre optique jusque dans les foyers. Parallèlement à cet essor des télécommunications, la fibre a trouvé de nombreuses applications dans les domaines médical et industriel.

Un « brainstorming » fructueux

8 septembre 1969, notes du brainstorming

En 1969, Willard Boyle et George Smith sont tous deux employés aux laboratoires américains Bell. Un jour de septembre, ils s'organisent un « brainstorming » pour répondre à la question qui les préoccupe : comment améliorer la qualité des mémoires électroniques ? Une petite réunion, conclue par quelques lignes griffonnées sur une feuille qui font désormais partie de l'histoire des sciences. Car sans même avoir deviné les applications qui en découleront, les deux ingénieurs viennent d'inventer ce qui est appelé aujourd'hui le capteur d'image numérique CCD (Charge-Couple Device ou dispositif à couplage de charge). Un dispositif qui ne servira en rien le développement des mémoires électroniques mais qui va révolutionner les techniques de l'image. Un an après leur découverte, les deux ingénieurs installent un CCD dans leur caméra vidéo, prennent des images et, en 1975, construisent une première caméra numérique capable de produire des images de qualité suffisante pour la télévision.

Il faudra attendre 1981, pour que les premiers appareils équipés de ce dispositif apparaissent sur le marché. Et quelques décennies plus tard, le CCD, cette petite plaque en silicium tapissée de cellules photoélectriques sensibles à la lumière, signe la fin de la pellicule photo. Une ère de l'histoire de la photographie ouverte par Louis Daguerre en 1839 arrive à son terme.

Trois parcours dissemblables

Willard Boyle et George Smith en 1974.

Charles Kao est né à Shanghai en 1933, sa famille émigre quelques années plus tard à Hong Kong. Il est aujourd'hui citoyen anglais et américain. Âgé de 75 ans, il reçoit la moitié du montant du prix Nobel, soit la moitié de 980 000 euros.

George Smith et Willard Boyle, qui se partagent le reste de cette somme, ont eu des carrières riches en découvertes. Le premier, né en 1930 aux États-Unis, a déposé plus de trente brevets durant une carrière commencée en 1959 aux laboratoires Bell.

Quant à son aîné, William Boyle, né en 1924 dans une contrée reculée de Nouvelle-Écosse au Canada, il n'a pas été à l'école avant l'âge de quinze ans, sa mère s'occupant de son enseignement à la maison. Il participera à l'épopée de l'homme sur la Lune et contribuera au développement du laser infrarouge. Comme quoi, tous les chemins peuvent mener à Stockholm, là où leur prix leur sera remis en décembre prochain.

Paloma Bertrand le 07/10/2009