Expédition scientifique : BobGeo ou les coraux du golfe de Gascogne

À l'initiative de l'Ifremer, une mission vient d'avoir lieu dans le golfe de Gascogne. Objectif : étudier la structure géologique des fonds sous-marins où vivent les coraux.

Par Romain Lejeune, le 27/11/2009

Mieux connaître l’habitat des coraux d’eau froide

Le golfe de Gascogne entre le nord de l'Espagne et le plateau continental breton

Dans le cadre du projet européen CoralFISH, qui rassemble 16 partenaires dont l'Institut de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), six zones vont être explorées d'ici 2012, depuis la mer de Norvège jusqu'à la mer Ionienne. Parmi elles, le golfe de Gascogne, qui a été étudié du 13 au 28 octobre à partir du navire océanographique « Pourquoi pas ? », avec pour ambition de caractériser la morphologie des fonds sur lesquels vivent les coraux d'eau froide, précisément sur le haut de la marge continentale. « La morphologie des terrains est un facteur important pour la répartition des coraux », explique Brigitte Guillaumont, biologiste à l'Ifremer.

" La première phase d'un programme de quatre années…"

Les données actuellement disponibles sur les coraux d'eau froide pour la façade Atlantique française sont cependant minimes, du fait de leur difficulté d'accès. Ces coraux se développent dans l'obscurité par des profondeurs allant de 40 à 2 000 mètres, et des températures comprises entre 2 et 14°C. « Par rapport aux coraux d'eaux plus chaudes, les coraux d'eaux froides vont avoir une physiologie différente et des taux de croissance plus lent. Et dans des mers encore plus froides que dans le golfe de Gascogne, comme aux abords de la Norvège, ils peuvent vivre à seulement 40 mètres de profondeur », précise Brigitte Guillaumont.

Coraux d'eau chaude, coraux d'eau froide

Le plus grand récif corallien du monde est situé en Australie. Mais les coraux ne se développent pas uniquement dans les mers chaudes. Les mers froides (au large de la Scandinavie, de la Grande-Bretagne et de la péninsule Ibérique) hébergent elles aussi des récifs coralliens. Ainsi, le golfe de Gascogne renferme des types de coraux qui n'avaient jamais été observés auparavant.

" La morphologie des fonds marins à l'étude"

Les coraux constituent pour les chercheurs la base d'un écosystème riche capable de vivre des milliers d'années. Pourtant, ils sont aujourd'hui menacés par la pêcherie profonde ou le changement climatique. « Certains types de coraux vivent dans une gamme de température très précise, avec seulement quelques degrés d'amplitude thermique. Pour ceux-ci, le réchauffement climatique représente une menace réelle tant ils sont sensibles à la variation des températures », poursuit Brigitte Guillaumont.

Les premiers résultats de BobGeo

" BobGeo, quels objectifs ? "

Quatre types d'opérations ont été menés durant cette exploration : reconnaissance des couches géologiques, analyse cartographique, plongées photographiques et prélèvements de sédiments. L'analyse détaillée des résultats, attendue pour la fin 2012, déterminera les caractéristiques géologiques, sédimentaires et hydrologiques des « paysages » sous-marins impliqués dans la distribution spatiale des coraux. « Les modèles numériques offerts par ces travaux géologiques permettent au biologiste d'élaborer des cartes régionales très précises afin de quadriller les zones de coraux », explique Brigitte Guillaumont.

Bathymétrie de la marge du golfe de Gascogne

Grâce à cette expédition, les informations du relief seront désormais disponibles à une résolution de 20 mètres par 20 mètres contre 125 mètres par 125 mètres pour la dernière cartographie de la zone, effectuée il y a quinze ans. Les vidéos et photographies permettront de compléter ces données et enrichiront les connaissances sur la faune associée au fond de mer. « On a trouvé, dans des profondeurs allant de 200 à 500 mètres, différents habitats de coraux d'eau froide comme les interfluves ou les têtes de canyons, explique le chef de la mission BobGeo Jean-François Bourillet, géologue à l'Ifremer, ils présentent des débris de coraux cassés, des traces de courants et de nombreuses traces de chalutage. Dans des zones plus profondes, jusqu'à 1800 mètres, nous avons repéré d'autres types de coraux d'eau froide ; parfois des récifs qui recouvrent certaines surfaces à 100%, ou bien des jardins de coraux plus dispersés. »

Des enjeux environnementaux

La protection de la biodiversité est encadrée par des règlements qui relèvent d'instances supra-étatiques. «Il y a des conventions internationales qui émettent de bons principes, mais souvent sans obligations, constate Jean-François Bourillet, alors que les directives européennes donnent un cadre avec des objectifs quantifiés qui, s'ils ne sont pas respectés par les États membres côtiers, entraînent des pénalités.»

Des décisions politiques à prendre...

Les informations collectées à des fins scientifiques permettront également d'identifier les zones où la faune sous-marine doit être protégée. « La convention sur la diversité biologique demande à chaque État membre de mettre sous protection 30% de sa zone économique exclusive (ZEE) sous forme, par exemple, d'aires marines protégées, précise le chef de la mission BobGeo. La France a annoncé que 10% de sa ZEE serait protégée d'ici 2010 et 20% en 2020. Pour la France, c'est un objectif énorme. La ZEE française à travers le monde (France métropolitaine + Dom-Tom) représente plus de dix millions de km2, 10% de sa ZEE représente donc 1 million de km2. À titre comparatif, la ZEE métropolitaine autour de la France est de 400 000 km2. Sur cet objectif, on a donc beaucoup à travailler. » Sur les 130 canyons de la marge nord du golfe de Gascogne, 85% sont situés dans des eaux sous juridiction française.

Coraux repérés lors de l'expédition BobGeo

Au cours de la mission BobGeo, 34 canyons ont été cartographiés à haute résolution et quatre ont été partiellement visités au cours des onze plongées photographiques. Mais ce n'est pas fini. Comme le rappelle Jean-François Bourillet, « ce programme européen dure quatre ans et d'ici 2011, année du lancement de la deuxième phase du programme, nous allons, entre autres, étudier les zones de coraux menacées et quantifier les surfaces qu'ils représentent ». En 2011, la campagne BobEco (Bay of Biscay – Geology) permettra de comparer les communautés animales associées (plancton, poissons des eaux profondes tel « l'empereur ») aux récifs et la composition génétique des peuplements de coraux.

Romain Lejeune le 27/11/2009