Un nouveau type de supernova chahute les modèles

Deux équipes proposent chacune leur interprétation d'ovnis astronomiques découverts en 2005. Des supernovæ à nulle autre pareilles, restées des décennies dans l'ombre à cause de leur manque de luminosité.

Par Viviane Thivent, le 21/05/2010

Un nouveau venu dans le bestiaire céleste ?

En science - a écrit l'écrivain de science-fiction Isaak Asimov - la phrase qui préfigure les nouvelles découvertes n'est pas « Eurêka » mais plutôt « Tiens, c'est drôle ». Et c'est sans doute ce que se sont dit les astrophysiciens lorsqu'en 2005, ils sont tombés, par télescopes interposés, sur deux bizarreries. Des objets faiblement lumineux qui possédaient, d'un point de vue spectral, toutes les caractéristiques d'une supernova. Qu'y a-t-il de « drôle » là-dedans ? C'est tout simple : une supernova est une explosion d'étoile massive, un événement cataclysmique, donc par essence très brillant. Découvrir une supernova terne, c'est un peu comme croiser une Marilyn brune, une orange bleue ou une baleine à poils : cela n'est pas envisageable. A priori.

 

Crise de rangement

Tycho Brahé (14 décembre 1546-24 octobre 1601)

Et pour cause : les supernovæ tiennent leur nom du mot latin "nova" qui signifie "nouveau". C'est ainsi qu'au XVI-XVIIe siècle, des astronomes comme le Danois Tycho Brahé ont commencé à qualifier des lumières qui apparaissaient momentanément dans le ciel. Des stella nova, des nouvelles étoiles, derrière lesquelles se cachent en fait des explosions thermonucléaires, des phénomènes stellaires pouvant conduire, ou non, à la destruction de l'étoile. Une nuance si peu anodine qu'au XXe siècle, les savants ont décidé de créer le terme de "supernova" pour désigner spécifiquement les explosions qui conduisent à la mort de l'étoile (celles-ci sont beaucoup plus lumineuses que les novæ).

Plus tard, les scientifiques ont poussé encore plus loin le travail de classement en se mettant à catégoriser les supernovæ en fonction de la lumière émise. Les classes I sont les supernovæ dont la lumière ne présente pas de raie pour l'hydrogène, les classes II sont les autres. Puis dans les années 1980, les chercheurs ont sous-catégorisé les classes (Ia, Ib, Ic..), là encore en fonction de la nature du spectre lumineux. Une frénésie de rangement qui, évidemment, pose quelque soucis lorsque l'on se retrouve avec un objet inattendu, n'entrant dans aucune case.

Deux approches

Une supernova très brillante à côté d'une galaxie

C'est ce qui s'est passé en 2005 avec la découverte de ces supernovæ peu brillantes. A pareil problème, deux solutions : soit les chercheurs partaient du principe que le scénario standard était bon - il s'agit juste de trouver le moyen de faire rentrer le nouvel objet dans une case -, soit ils remettaient en cause le classement actuel. « Et c'est chacune de ces approches qui est présenté dans les deux travaux publiés cette semaine dans Nature », explique Robert Mochkovitch, de l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP).

Dans le premier camp, celui des "conservateurs", on trouve donc l'équipe japonaise¹. Après avoir analysé le spectre d'émission de la supernova 2005cz, celle-ci affirme en effet que l'objet appartient à la classe Ib. Problème : d'ordinaire, ces supernovæ-là marquent la fin d'étoiles aux durées de vie très courtes, à peine 10 millions d'années. De fait, elles ne s'observent que dans des zones de formation d'étoiles. Or, 2005cz se trouve dans une galaxie elliptique qui, assurément, n'est pas un berceau d'étoiles. Qu'importe, les Japonais s'en sortent par deux pirouettes : d'abord en affirmant qu'après tout, cette région galactique pourrait très bien permettre la formation d'étoiles ; ensuite en postulant que la faible luminosité de la supernova observée est liée au fait que la feue étoile aurait perdu une partie de sa matière (d'où sa faible luminosité), celle-ci ayant été aspirée par une étoile voisine.

  1. K.S. Kawabata et al., Nature, 20 mai 2010

Classe ou pas classe ?

La supernova 2005E dans son environnement

Une explication qui ne satisfait en rien l'équipe adverse, américaine celle-ci  ¹. Après avoir analysé un objet similaire, appelé 2005E et situé dans une région où les formations d'étoiles sont impossibles, elle l'affirme : ces supernovæ ne seraient pas de type Ib mais se rapprocheraient plutôt des Ia.

Le hic, c'est que les supernovæ de type Ia sont connues pour leur constance. Au moment de leur explosion, elles expulsent en effet très exactement 1,4 masses solaires dans l'environnement. Ce point explique d'ailleurs qu'elles aient été utilisées comme chandelles standards pour calculer la vitesse d'expansion de l'univers. Alors, si 2005E est une supernova de type Ia, comment expliquer qu'elle n'ait expulsé que 0,3 masse solaire et qu'elle soit de fait si peu brillante ? Parce qu'elle n'a explosé que partiellement, répondent les chercheurs.

Et c'est dans ce « partiellement » que se trouve toute la nouveauté de leur interprétation. La supernova 2005E serait un peu comme une Ia sans en être une. Il s'agirait d'une nouvelle espèce. Peut-être. Peut-être pas. « Car il est difficile de se représenter la nature exacte d'une explosion partielle d'étoile, commente Eric Gourgoulhon de l'observatoire de Meudon. Nous ignorons encore tellement de choses concernant la façon dont les supernovæ sont générées... » Même réflexion de Robert Mochkovitch qui ajoute : « depuis les observations de 2005, d'autres supernovæ faiblement lumineuses ont été détectées. Et sans doute que beaucoup d'autres restent à découvrir. Ceci montre que notre perception du problème est très biaisé puisque nous ne voyons, et de fait ne considérons dans nos modèles que les objets les plus lumineux. C'est peut-être pour cela que nous avons tant de mal à saisir la mécanique exacte de ces phénomènes. »

  1. H. B. Perets, Nature, 20 mai 2010

Viviane Thivent le 21/05/2010