OGM : le moratoire en fin de parcours

Le moratoire sur la culture des OGM en Europe a pris fin officiellement le 19 mai 2004 avec l'autorisation donnée par la Commission européenne à la firme suisse Syngenta de commercialiser son maïs BT 11, destiné à l'alimentation humaine. La diffusion des OGM en Europe, comme sur les autres continents, reste cependant très controversée.

Par Philippe Dorison, le 25/05/2004

La croisade de David Byrne

Le commissaire européen chargé de la santé et de la protection des consommateurs était persuadé de longue date que le moratoire (décidé en 1997 par 7 pays membres de l'Union européenne et en vigueur depuis 1999), devait être levé et il n 'a pas ménagé ses efforts pour parvenir à ce but. Il s'est fait en ce sens l'écho des préoccupations de la Commission européenne, qui souhaitait éviter une confrontation avec les États-Unis sur le sujet de la liberté commerciale. Il s'est donc employé à mener les négociations qui ont finalement abouti fin 2002 à un accord entre les Quinze sur l'étiquetage et la traçabilité des organismes génétiquement modifiés (OGM). C'est officiellement dans l'attente d'une telle convention que le moratoire avait été appliqué trois ans plus tôt. Les règlements qui en découlent ont été votés par le parlement européen le 2 juillet 2003.

Du cadre juridique à son application

Le point de vue de Gilles Éric Séralini, enseignant chercheur à l'Université de Caen

Le dispositif légal prévu à la suite de cet accord est entré en vigueur le 18 avril 2004, faisant de l'Europe un continent pilote dans le domaine de la juridiction sur les OGM. Il a pour but de donner aux consommateurs les moyens de choisir l'origine des produits qu'ils achètent : issus de cultures transgéniques ou traditionnelles (à plus de 99%, le taux de 0,9% de contamination accidentelle par des OGM ayant été fixé comme limite à l'étiquetage obligatoire). C'est en tenant compte de cette obligation combinée à des mesures de traçabilité, que la commission européenne a autorisé la mise sur le marché du maïs BT 11. Une décision sur laquelle les ministres européens de l'agriculture n'avaient pu se mettre d'accord le 26 avril, faute de réunir une majorité qualifiée.

Toutefois, pour symbolique qu'elle soit, la décision de la Commission européenne ne devrait pas avoir de grandes conséquences pratiques. Tout d'abord parce qu'elle concerne l'importation du maïs transgénique BT 11 et non sa culture en Europe. De plus, la compagnie Syngenta a annoncé que malgré l'autorisation de la Commission, elle ne compte pas commercialiser son produit en Europe, en raison des réticences d'environ 70% des consommateurs.

En France, le soutien des Académies

« C'est un scandale scientifique historique unique... »

Début décembre 2002, à Paris, la levée du moratoire a été recommandée par les Académies de médecine et de pharmacie ainsi que par l'Académie des sciences. Ces institutions ont considéré que, d'une part, la consommation des OGM ne présentait aucun risque scientifiquement avéré pour la santé et d'autre part, les organismes transgéniques étaient susceptibles de permettre des progrès notables dans le domaine de la production de médicaments. Elles se sont donc prononcées en faveur d'une introduction raisonnée et prudente des OGM dans l'agriculture.

Dans le communiqué de l'Académie de médecine, on peut notamment lire : « les risques éventuels des OGM pour la santé sont contrôlables » et : « les avantages escomptés l'emportent sur les risques éventuels ». Dans le rapport de l'Académie des sciences, il est précisé que « la différence établie en Europe entre plantes transgéniques et plantes obtenues par reproduction et / ou recombinaison naturelles n'a aucun sens sur le plan scientifique car elle s'appuie sur des différences de méthodes et non de résultat » et que « les progrès escomptés sont de nature à favoriser l'indépendance alimentaire de l'Europe et à contribuer au développement des pays du Sud. »

Les réactions des associations de consommateurs

En réponse aux déclarations des Académies, Christian Huard de Conso-France y voit des « affirmations sans démonstrations ». « Cela me fait penser à la maladie de la vache folle lorsque les scientifiques soutenaient qu'elle ne franchirait pas la barrière d'espèce », dit-il.

Pour Marie-José Nicoli, présidente de l'UFC-Que Choisir, les OGM ne présentent « pas d'intérêt particulier pour le consommateur » et « du point de vue de la santé publique, on ne dispose pas d'éléments très concrets ». Elle craint aussi que les cultures traditionnelles, notamment la filière bio, n'aient de grandes difficultés à résister aux contaminations induites par les cultures OGM dès lors que celles-ci se généraliseront.

Quant à Olivier Andrault, de la CLCV (Confédération, consommation, logement cadre de vie), il exprime des doutes sur les bénéfices que les pays en développement peuvent tirer des OGM et note que « la tonalité de l'ensemble des recommandations est globalement très pro-OGM , ne fait pas référence aux réserves éthiques que pourraient avoir les consommateurs face aux manipulations sur le vivant et comporte des non-sens du point de vue nutritionnel et environnemental ».

Un bras de fer planétaire

Parallèlement à la montée en puissance des cultures OGM à l'échelle de la planète, les contentieux se multiplient entre les pays exportateurs d'OGM et les États réticents à en importer. Une épreuve de force s'est ainsi engagée entre les États-Unis et la Chine au sujet du soja génétiquement modifié, quelques semaines après l'entrée de la Chine à l'OMC. Ce pays, deuxième importateur mondial de soja après l'Union européenne, représente un marché de 1 milliard de dollars par an pour les producteurs américains.

La surface des cultures OGM sur la planète est de 57,8 millions d'hectares, soit un peu plus que la surface de la France (54 millions d’hectares).

Lorsque la Chine a souhaité adopter une réglementation imposant que l'origine transgénique du soja importé soit stipulée, les États-Unis y ont vu une mesure protectionniste : 70% du soja qu'ils produisent est génétiquement modifié. Et cette bataille autour du soja n'est peut-être qu'une première escarmouche entre deux pays concurrents, qui pourrait s'étendre dans le futur aux marchés du maïs et du coton.

La Chine accroît aujourd'hui à un rythme exponentiel ses surfaces de terres cultivées en plantes génétiquement modifiées. Les raisons de son opposition aux importations américaines sont donc peut-être à chercher dans sa crainte de devenir trop dépendante des semences « made in USA », à un moment où elle n'est pas encore prête à faire face seule à ses besoins.

Mais la lutte est parfois beaucoup plus inégale, lorsque les pays concernés sont plus fragiles que ne l'est, par exemple, la Chine. Si la Croatie et la Corée du Nord ont résisté aux pressions de Washington en matière de politique d'étiquetage des produits OGM, d'autres pays sont revenus sur leurs décisions. C'est ainsi que le gouvernement du Sri Lanka a renoncé à appliquer un moratoire, suite à de vives critiques de l'ambassade des États-Unis en Inde. La Bolivie a aussi annulé son moratoire d'un an, décidé en application du protocole de biosécurité de Montréal. L'Argentine, grand producteur d'OGM, avait averti le gouvernement bolivien de son intention de saisir l'OMC du dossier.

Le Brésil, après de longues hésitations, a autorisé la culture du soja transgénique sur son territoire à compter du 25 septembre 2003 et en principe jusqu'à la fin de l'année. La décision a été prise dans un contexte où 10 à 30 % du soja produit dans le sud du pays était d'ores et déjà contaminé par le soja OGM cultivé en Argentine. Elle satisfait les grands exportateurs et cause la colère des petits exploitants.

Le protocole de biosécurité

Après cinq années de discussions, des ministres et délégués officiels de 138 pays ont adopté , le 29 janvier 2003, le protocole de biosécurité, un texte légal officiellement nommé « Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversité biologique ».

Ce document porte sur les organismes vivants modifiés (OVM), c'est-à-dire sur « tout organisme vivant possédant une combinaison de matériel génétique inédite obtenue par recours à la biotechnologie moderne ».

Son objectif est de contribuer à assurer « un degré adéquat de protection pour le transfert, la manipulation et l'utilisation sans danger des organismes vivants modifiés résultant de la biotechnologie moderne qui peuvent avoir des effets défavorables sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique, compte tenu également des risques pour la santé humaine, en mettant plus précisément l'accent sur les mouvements transfrontières ».

Le texte complet du Protocole de Carthagène en six langues

Après avoir été ratifié par cinquante pays, le protocole de Carthagène peut commencer à entrer en vigueur à compter du 11 septembre 2003.

La liste à jour des pays ayant signé et ratifié le Protocole de Carthagène

Et maintenant ?

La levée du moratoire a été principalement envisagée par les instances européennes sous l'angle des conditions à réunir pour la rendre possible. Mais il serait sans doute faux de réduire le débat sur l'introduction des cultures OGM en Europe à de simples questions techniques. Ainsi que certains producteurs américains l'ont noté, les OGM sont des marchandises qui doivent répondre à une demande des consommateurs afin de trouver de véritables débouchés. Et rien ne prouve aujourd'hui que l'opinion publique soit majoritairement favorable à la présence de cultures transgéniques intensives sur le sol européen. Le dossier est donc loin d'être clos.En ce sens, la décision de la Commission européenne d'autoriser le maïs BT 11 peut être interprétée comme un gage de bonne volonté envers l'OMC qui doit se prononcer en juin 2004 sur la légitimité du moratoire européen, accusé par les Etats-Unis, l'Argentine et le Canada de constituer une entrave déloyale à la concurrence.

Inquiétudes pour les cultures traditionnelles ?

Les OGM, une menace pour l’agriculture biologique ?

Cette crainte avait déjà été prise en compte par le département SAD (systèmes agraires et développement) de l'INRA qui a publié en 2001 une étude sur la faisabilité d'une filière sans OGM. Au fil des travaux réalisés sur ce sujet par différents organismes à travers le monde, il semble que la mise en place de filières totalement exemptes d'OGM aurait un coût plus élevé et serait donc plus difficile à garantir pour les petits producteurs que pour les grands groupes internationaux, qui sont par ailleurs les principaux producteurs de produits transgéniques.

Des doutes, même aux États-Unis

Couverture du rapport « Seeds of doubt » de la Soil Association

Un rapport visant à évaluer l'opportunité pour le Royaume-Uni d'autoriser les cultures OGM sur son sol a été rédigé par Soil Association, une ONG impliquée dans l'agriculture biologique. Il dresse un bilan très négatif de l'expérience des fermiers d'Amérique du nord qui se sont « convertis » à la culture OGM. En particulier, il met en évidence l'augmentation parallèle de la montée en puissance des OGM et des subventions de l'État américain envers ses fermiers, pour compenser leurs pertes de revenus. Il conclut que l'arrivée des OGM sur le sol britannique serait un obstacle aux objectifs que s'est fixé le gouvernement de rendre l'agriculture du Royaume Uni plus compétitive. Ces inquiétudes sont aussi présentes dans les déclarations de l'AGCA (American Corn Growers Association). Cette organisation, qui regroupe 14 000 cultivateurs de maïs dans 35 états d'Amérique du nord, constate la chute libre de ses exportations vers l'Europe, à laquelle elle attribue un manque à gagner de 300 millions de dollars par an. Elle en vient à s'interroger sur le bien-fondé de la production de maïs OGM, dans la mesure où celui-ci ne correspond pas à la demande des consommateurs.

Philippe Dorison le 25/05/2004