Vieillir jeune : la DHEA est-elle un médicament ?

Des premières conclusions de l'étude DHEÂge en avril 2000 à l'avis rendu par l'AFSSAPS* en juillet 2001, la DHEA a été soumise à des éclairages médiatiques très contrastés et qualifiée tour à tour de pilule miracle et de mirage dangereux. D'un extrême à l'autre, le grand public a bien du mal à s'y repérer : est-il aujourd'hui conseillé ou non de prendre de la DHEA ?

Par Philippe Dorison, le 12/11/2001

L'hormone des médias

C'est une évidence : la DHEA passionne la presse et le grand public. Rien de très surprenant à cela, dans une société qui prend lentement conscience que la longévité augmente et qu'il est certainement possible (et légitime) d'avoir une démarche active pour garder une bonne santé le plus longtemps possible.

Cette passion est partagée par les scientifiques qui travaillent sur cette hormone et elle peut s'expliquer par de multiples raisons. Tout d'abord, l'étude de la DHEA s'intègre dans la logique des traitements hormonaux de substitution, qui ont fait la preuve de leur efficacité depuis plus de vingt ans. Comme dans le cas de la ménopause, il est question de fournir à l'organisme un complément d'une substance qu'il a cessé de produire en quantité suffisante.

Mais déjà, les premières questions se posent : est-il vraiment nécessaire et même utile de compenser la baisse de cette hormone avec l'âge ? Le seul moyen d'y répondre scientifiquement est de conduire de grandes enquêtes, portant sur de nombreuses personnes (cohortes) pendant une longue période de temps.

De telles études, très coûteuses, ont rarement été menées sur des questions liées au vieillissement. On pourrait citer les études PAQUID (sur le vieillissement cérébral et la perte d'autonomie) ou POLA (sur les pathologies oculaires liées à l'âge) mais leur nom et même leur existence sont à peu près inconnues du grand public. Ce n'est pas le cas du programme DHEÂge, dirigé par les professeurs Françoise Forette et Étiennne-Émile Beaulieu, qui a largement été commenté par les médias.

DHEÂge et conséquences :

Dès son lancement, cette étude a connu un énorme succès. Les volontaires affluaient de toutes parts et la presse était friande de leurs commentaires. Fortement mobilisés tout au long de l'enquête, ils ont presque tous souhaité prolonger l'expérience après la fin de la première phase.

Les premiers résultats ont paru encourageant, d'autant que les éléments positifs ont été les plus volontiers mis en avant : des améliorations de l'état de santé, remarquées chez “certains groupes“ de personnes (notamment les femmes les plus âgées) et sur “certains points“ bien précis, comme la densité osseuse, la souplesse de la peau et la libido.

Pourtant, ces résultats n'ont pas convaincu les experts de l'AFSSAPS qui, dans un rapport du 3 juillet 2001, ont conclu que la DHEA n'avait pas fait la preuve de son efficacité contre le vieillissement. Ils ont de plus mis en avant certains risques que la prise régulière de DHEA pourrait comporter, comme la baisse du taux de “bon“ cholestérol (avec d'éventuelles conséquences néfastes pour l'appareil cardio-vasculaire) et une possible aggravation de certains cancers liés aux hormones.

En résumé : pas question de mettre la DHEA en vente libre avant d'en savoir plus. Si cette annonce a fait l'effet d'une douche froide à certains, elle ne semble pas avoir contrarié les scientifiques qui étaient à l'origine de l'étude. Les professeurs Beaulieu et Forette avaient toujours insisté sur la nécessité de mener des recherches poussées et ils ne souhaitaient surtout pas voir la DHEA apparaître dans les supermarchés comme c'est le cas aux États-Unis.

À la recherche d'un statut

Le cas des États-Unis est à ce titre un peu spécial car la DHEA y a reçu l'appellation de complément alimentaire, ce qui lui ouvre les portes d'une très large distribution.

Or, d'après le professeur Beaulieu, il s'agit là d'un contresens total : la DHEA n'étant présente dans aucun aliment que nous consommons, même à dose infime, il n'y a pas de raison de la ranger dans cette catégorie, si ce n'est pour favoriser son commerce. Une démarche exclusivement mercantile et qui ne repose sur aucune base scientifique.

Mais cette classification américaine est pourtant un paramètre dont il faut tenir compte. La liberté de ce commerce outre-Atlantique empêche de fait toute “interdiction“ forte en France ou dans quelque autre pays, sauf à vouloir stimuler un “marché noir“ relayé par internet, déjà très développé avant même le début de l'étude française.

La décision de l'AFSSAPS, qui apparaît au premier abord quelque peu ambiguë, prend dans ce contexte les allures d'un jugement de Salomon : la DHEA n'est pas interdite à la vente (ce qui serait illusoire), mais sa délivrance est réglementée et nécessite une prescription médicale. Ce qui correspond donc au statut d'un médicament.

Pour autant, elle n'est pas tenue d'obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM). Il y a probablement deux raisons à cette dispense. La première est que l'AFSSAPS, considérant que ce produit n'a pas d'action prouvée contre le vieillissement, se contredirait en lui imposant une AMM. Et d'autre part, cette obligation risquerait actuellement d'avoir les conséquences d'une interdiction.

En effet, les démarches d'obtention d'une AMM représentent de gros investissements, en général consentis par des laboratoires qui espèrent en retour d'importants bénéfices. Or, la DHEA n'est pas une molécule brevetable, sa fabrication est relativement peu coûteuse et, avant même d'obtenir le statut de médicament, elle s'inscrit déjà dans un contexte de forte concurrence. Autant de conditions qui hypothèquent sa rentabilité pour un industriel de la pharmacie.

L'histoire continue ...

La DHEA entre donc dans le paysage médical français par la petite porte, accompagnée de mises en garde du Conseil de l'Ordre des médecins, qui déconseille aux praticiens de la prescrire. En parallèle, des études continuent pour évaluer ses effets, positifs ou négatifs. Et l'on peut déjà prévoir que le chemin sera long avant de pouvoir en tirer un bilan. Car la DHEA s'inscrit dans la chaîne des hormones qui régissent de nombreuses fonctions de l'organisme. Des actions qui ne sont pas toutes parfaitement connues mais dont on sait qu'elles sont d'une très grande complexité, notamment en raison des actions réciproques que les différentes hormones exercent les unes sur les autres.

Ainsi, la DHEA est un des “précurseurs“ des hormones compensées par le traitement substitutif de la ménopause, c'est à dire qu'elle participe à leur synthèse par l'organisme. Il est donc fort probable que des interactions difficiles à maîtriser se produiraient en cas de prise de DHEA en parallèle à ce type de traitement. Et le professeur Françoise Forette a clairement signalé qu'à l'heure actuelle, elle déconseille formellement de tels mélanges. Selon le Dr. Christophe de Jaeger, ce délicat dosage des hormones sera peut-être un des principaux obstacles à la prescription de DHEA car il demande une grande connaissance des mécanismes hormonaux, considérés par les spécialistes comme particulièrement complexes.

La science n'a pas encore fait toute la lumière sur ce sujet et les médecins qui exercent au quotidien ne sont pas toujours spécifiquement formés aux dernières découvertes dans ce domaine.

* AFSSAPS: Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé


Philippe Dorison le 12/11/2001