Quand l'industrie pharmaceutique se met à la génétique

Un des grands espoirs provoqués par les avancées de la génétique et le séquençage du génome humain est de voir naître de nouveaux médicaments. Ceux-ci ne seront plus issus des recherches traditionnelles sur les molécules mais proviendront directement de ces nouvelles connaissances. Nous vivons les premiers temps d'une réelle révolution dans les techniques de travail à laquelle les grands laboratoires pharmaceutiques doivent s'adapter rapidement. Mais quel en sera l'avenir ?

Par Isabelle Huau, le 20/09/2002

Une cible précise

Les nouveaux médicaments tendent à cibler la molécule déficiente.

Pendant des années, pour concevoir un nouveau médicament, l'industrie pharmaceutique a trié puis testé au hasard des millions de molécules. Travail long et fastidieux requérant une armée de chimistes, avec des résultats souvent décevants, particulièrement face aux pathologies graves et complexes telles que les cancers.

La recherche pharmaceutique a évolué et il ne s'agit plus de rechercher à l'aveuglette une nouvelle molécule en espérant que ses effets secondaires sur l'organisme seront acceptables. Les nouvelles techniques visent au contraire à cibler uniquement LA molécule déficiente, à n'atteindre dans un traitement que celle-ci et avant tout pouvoir dépister le plus tôt possible toute pathologie.

Deux nouvelles biotechnologies sont les piliers de cette nouvelle recherche :

 -  la “protéomique”

Découvrir la fonction des protéines ou la protéomique :

La protéomique est non seulement la suite logique du séquençage du génome mais, dans une large mesure, sa raison d'être. Elle se propose d'étudier les protéines que notre corps synthétise à partir de l'ADN et de déterminer les protéines spécifiques à certaines maladies. Car ce sont elles qui sont en jeu lorsqu'une maladie se déclare : déficientes, absentes, trop nombreuses…

Les enjeux de cette recherche sont colossaux car il s'agit de parvenir à fabriquer des molécules thérapeutiques pouvant s'accrocher à une protéine pour activer ou bloquer son fonctionnement.

Mais cette science s'annonce bien plus délicate que la génomique. La fonction d'une protéine dépend non seulement de l'enchaînement des acides aminés qui la composent mais également de sa structure dans l'espace et de ses interactions avec d'autres protéines ou d'autres molécules. Beaucoup d'espoirs de nouvelles thérapies mais, à quel prix ? Les investissements sont lourds et les résultats longs à venir.

- et la “pharmacogénomique“ :

Trouver le médicament adapté à chacun ou la pharmacogénomique

Les médicaments n'agissent pas à l'identique chez tous les malades. Un traitement contre le cholestérol par exemple sera efficace chez l'un et pas chez l'autre. L'efficacité, ou la toxicité, varie d'un individu à l'autre suivant son profil génétique.

En effet, de petites différences semées le long de l'ADN de chacun, appelées les SNP, Single Nucleotide Polymorphisms, (prononcer snip), font que le patrimoine génétique de deux personnes n'est pas identique à 100% mais présente 0,1% de différences. Et ce sont ces 3 millions de variations qui peuvent être à l'origine des différences de réactions aux médicaments.

La pharmacogénomique se propose donc d'identifier et d'étudier les snips. Ce qui devrait permettre d'éviter de donner des traitements lourds aux malades qui ne répondent pas au traitement. Mais pouvoir choisir quelle thérapie administrer et à quelle dose signifie une médecine sur mesure et donc un marché réduit pour chaque découverte. Les laboratoires préfèrent encore trouver des traitements efficaces sur le plus grand nombre. Quel sera l'avenir de cette nouvelle discipline ?

Des ''jeunes pousses'' au secours de l'industrie pharmaceutique

Dans ces nouvelles recherches, les start-up, avec leurs petites équipes spécialisées dans un projet précis, s'avèrent beaucoup plus efficaces que les grands groupes pharmaceutiques. Elles disposent actuellement de plus de 350 produits en phase 3 (essais sur l'homme) contre 75 pour les vingt premiers laboratoires mondiaux. Une révolution qui se produit au moment où l'industrie pharmaceutique va être confrontée à l'expiration des brevets sur des molécules majeures représentant une perte potentielle de son chiffre d'affaires.

Des alliances à foison

Si ces grands groupes ont des difficultés à gérer l'innovation, ils sont en revanche très performants dans le développement clinique des médicaments et le marketing. Des alliances, extrêmement ciblées et coûteuses, se tissent entre les groupes pharmaceutiques et les start-up de biotechnologies. Ainsi, par exemple, la firme pharmaceutique Novartis a conclu un contrat de 41 millions de dollars avec la société GeneProt qui lui fournira l'identification de certaines protéines, la firme Abbott a acquis 250 millions de dollars d'actions de Millenium, entreprise spécialisée dans la recherche sur l'obésité, les diabètes et le cancer…

Quelle sera la médecine de demain ?

Quel avenir pour les médicaments? Axel Kahn,Institut Cochin...

Vaincre le cancer, le sida, le paludisme, dépister plus tôt les maladies, augmenter l'efficacité des traitements… La révolution inaugurée par le séquençage du génome humain avance déjà à grands pas.

Ainsi, en 2002, la moitié des demandes de mise sur le marché aux Etats-Unis concernera des traitements issus des biotechnologies. La recherche est très lourde, la technologie de fabrication de plus en plus sophistiquée et une question demeure quant au prix des nouveaux traitements. Le problème existe déjà avec les nouveaux traitements contre le cancer. Les hôpitaux ne peuvent faire face à l'augmentation des prix. Faudra-t-il choisir les patients à traiter ? Et selon quels critères ? Une médecine de riches et de pauvres verra-t-elle le jour ?

Isabelle Huau le 20/09/2002