Clonage humain : premiers effets d’annonce en 2001

Lundi 26 novembre 2001 : plusieurs quotidiens de la presse écrite consacrent leur première page au clonage humain. L'actualité du jour est relative aux récents travaux d'une société américaine de biotechnologie. Y a-t-il là une réelle nouveauté au plan scientifique?

Par Philippe Dorison et Isabelle Bousquet, le 29/01/2003

Revue de presse

“Premier clonage d'embryons humains” pour Le Figaro ou “Tabou du clonage humain brisé” pour La Tribune… À la lecture de tels gros titres, le passant pourrait croire qu'une avancée scientifique majeure vient de se produire et que les premiers êtres humains, clones de leurs “parents” se préparent à voir le jour dans les neuf mois à venir.

Toutefois, le survol de la première page de Libération ou du Monde permet de lire l'adjectif “thérapeutique” associé au terme de clonage. Une précision qui n'est pas sans importance, car la société Advanced Cell Technology (ACT), dont il est question ici, se défend de vouloir fabriquer des embryons humains à des fins de reproduction.

Figaro et La Tribune du 26 novembre 2001...

Confusion, réactions et communication

et dans Libération du 27 novembre....

L'annonce faite aux médias par ACT n'est pas passée inaperçue : elle permet aux responsables politiques et religieux de réaffirmer leur position sur le délicat sujet de l'utilisation scientifique d'embryons humains, à quelque fin que ce soit.

Une occasion de rappeler qu'à de très rares exceptions près, un large consensus international se dégage pour condamner le clonage à des fins de reproduction.

Toutefois, sur le thème du clonage à des fins exclusivement thérapeutiques, les avis sont plus nuancés. Si le président George W. Bush s'élève à titre personnel contre cette pratique et interdit que des fonds publics soient utilisés à cette recherche, rien n'interdit aux sociétés américaines d'utiliser des fonds privés pour avancer dans cette direction. Ce qu'a fait ACT.
En revanche, le Royaume-Uni autorise déjà les scientifiques à travailler sur ce sujet – sans que l'on sache précisément aujourd'hui où en sont leurs travaux – tandis que la France l'interdit, malgré l'avis plutôt favorable (à une courte majorité) du Comité national d'éthique.

Pourquoi maintenant ?

Une première publication dans le Journal of Regenerative Medicine...

Cette actualité relance fort opportunément le débat sur l'utilisation d'embryons humains, peu avant la date symbolique de la fin de l'année 2001. Une date annoncée par plusieurs sociétés de biotechnologie comme une échéance pour aboutir à des résultats probants. Ce n'est sans doute pas un hasard si cette période précède de peu celle prévue pour un débat au Sénat américain, qui risquerait d'aboutir à une interdiction ferme de tous travaux sur l'embryon aux États-Unis.

...suivie d'une autre prévue en janvier prochain dans Scientific American.

Le planning de communication de ACT est donc parfaitement au point : une première publication dans le Journal of Regenerative Medicine du 26 novembre et une autre prévue dans le numéro de janvier de Scientific American.

Mais au-delà de la stimulation du débat d'idées, le bénéfice majeur de cet effet d'annonce est sans doute à attendre au niveau du capital de la compagnie ACT, soucieuse d'attirer des investisseurs. Et le fait qu'un quotidien spécialisé dans l'économie (La Tribune) consacre lui aussi sa première page à ce sujet laisse supposer que l'événement aura probablement plus de conséquences sur le plan financier que dans le domaine scientifique.

Quoi de neuf ?

Est-ce qu’une étape a réellement été franchie par Advanced Cell Technology?

ACT a réussi à créer au laboratoire un embryon en introduisant dans un ovocyte énucléé, prélevé chez une donneuse, le noyau d’une cellule somatique* (celui d’une cellule ovarienne appelée cellule cumulus, dont le rôle est de nourrir l’œuf qui se développe dans l’ovaire).

Mais l’embryon est mort au stade six cellules et était l’unique survivant de 71 tentatives, la plupart (63) faites avec des cellules de peau et quelques-unes (8) avec des cellules ovariennes. Or, en se lançant dans le clonage thérapeutique, ACT a pour objectif de produire des cellules souches embryonnaires “sur mesure”, à partir desquelles il serait possible de faire pousser toutes sortes de tissus et dont les greffes seraient parfaitement tolérées. Mais pour cela, il faudrait que l’embryon cloné vive jusqu’au stade blastocyste, c’est-à-dire environ 100 cellules.

*Une cellule somatique est une cellule non reproductrice de l'organisme. Opposée à cellule germinale ou gamète (ovule ou spermatozoïde).

Est-ce qu’un pas de plus vers le clonage thérapeutique est forcément un pas de plus vers le clonage reproductif ?

Aussi, hormis le fait qu’il s’agisse de la première publication sur le sujet, le résultat scientifique d’ACT ne fait que confirmer ce que l’on savait déjà : la technique de clonage est encore loin d’être applicable à l’homme et ce, en dehors de toute considération éthique. Pas de quoi s’emballer donc…

Philippe Dorison et Isabelle Bousquet le 29/01/2003