OGM : Contre le vandalisme libéral

Trois militants paysans ont été jugés le 22 novembre 2001, devant la cour d’appel de Montpellier, pour avoir participé en juin 1999 à la destruction de plants de riz transgéniques.

le 04/01/2002

La décision prise – et appliquée par plusieurs associations – de détruire systématiquement les plantations d’organismes génétiquement modifiés (OGM) a donné un nouveau tour au débat sur les OGM. Non seulement parce que les opposants revendiquent ainsi au grand jour une forme avérée de violence, mais surtout parce que les parcelles détruites sont qualifiées d’ “essais“ à but scientifique. Il s’agit alors d’un crime de lèse-science, commis par de “nouveaux vandales“ que dénoncent François Ewald et Dominique Lecourt (Le Monde, 4 septembre 2001). Il semble qu’après avoir longtemps pataugé dans l’expertise sanitaire (les OGM sont-ils dangereux pour la santé?) le débat aborde enfin le fond : les procédures de dissémination des OGM sont-elles conformes aux règles scientifiques, d’une part, et aux règles démocratiques, d’autre part.

Une confusion entre science et évaluation

Comment reconnaître "la science" dans des essais dont le but est de savoir si le hasard a bien fait les choses en conférant les qualités espérées à des végétaux bricolés, c’est-à-dire des essais qui se limitent à évaluer des qualités commerciales? En effet, il ne s’agit pas de mieux comprendre des phénomènes moléculaires ou environnementaux pour apporter une pierre à la connaissance mais seulement d’établir le niveau de performance et/ou de nuisance de ces végétaux, afin de leur conférer un éventuel label pour l’usage industriel. Même au prix de cette confusion entre science et évaluation, qu’espère-t-on conclure de tels saupoudrages expérimentaux sur quelques parcelles alors que le continent américain entretient depuis plusieurs années 40 millions d’hectares d’OGM, sans qu’aucune conclusion claire n’apparaisse? Car, ce que les Quichotte en lutte contre "l’obscurantisme" des opposants aux OGM semblent ignorer, c’est ce fait scientifique qu’il n’y a pas de possibilité de conclusion scientifique à partir des expériences abondantes menées dans le monde depuis 1996. Cette évidence est présente dans le rapport du 25 août 2000 de la Commission européenne constatant qu’il n’y a "pas de preuves concluantes quant à la rentabilité des cultures transgéniques pour les agriculteurs". Elle est confirmée dans le récent rapport (juillet 2001) du Commissariat général du plan (groupe présidé par Bernard Chevassus-au-Louis). Selon ce rapport, qui analyse les résultats d’Amérique du Nord, "toutes les données économiques cherchant à appréhender les résultats obtenus par les variétés transgéniques au niveau des exploitations ne marquent pas un avantage incontestable des OGM dans la durée, sur la totalité d’un territoire, pour toutes les plantes et suivant tous les critères retenus". Ce qui signifie que tel OGM avantageux ici sera sans intérêt ailleurs, ou l’année suivante. On ne voit pas comment des essais pratiqués en France sur 100 m2, pendant une saison, viendraient contredire ce bilan navrant, résultat de cultures répétées pendant plusieurs années sur des milliers d’hectares, bilan qui oblige à poser la question "Les OGM, ça sert à quoi ? ça sert à qui ?".

Une carence de science révoltante

La résistance des plantes (et animaux) transgéniques à se comporter selon les désirs des hommes (comme l’échec des thérapies géniques en médecine) révèle seulement l’inconsistance de notre savoir actuel malgré tous les discours prétentieux. Ce qui introduit le plus grand risque dans les démarches de "maîtrise", c’est justement l’absence de maîtrise à moyen terme des actions engagées. C’est donc bien de science dont nous manquons, par exemple pour comprendre comment un être vivant complexe pourrait incorporer et exprimer un gène totalement étranger, sans que cette modification ne soit délétère à d’autres fonctions vitales, car "l’absence total d’interaction entre un transgène inséré dans une zône non codante et le reste du génome est une hypothèse qui ne peut être admise sans être vérifiée concrètement" (rapport du Commissariat général du plan). Ou comprendre comment un virus vecteur non pathogène, chez lequel on incorpore un gène "d’intérêt" (selon une stratégie banale pour fabriquer des OGM) peut devenir un redoutable tueur, ainsi qu’il est arrivé accidentellement dans une expérience australienne (Le Monde, 13 janvier 2001). Plus prosaïquement, il faudrait expliquer la génération d’un OVNI dans l’OGM, telle cette séquence d’un fragment d’ADN non répertorié découverte dans le soja RR de Monsanto (Le Monde, 19-20 août 2001). Nul doute que de tels travaux scientifiques, qui seraient menés en toute sérénité dans des laboratoires échappant sans peine à la vindicte des "nouveaux vandales", seraient utiles pour évaluer le projet OGM. On peut même considérer qu’ils en seraient un préalable et que c’est la carence de science, et l’impossibilité d’évaluer les conséquences à long terme des OGM, qui est révoltante, plus que l’agitation de mouvements citoyens. Méprisant le jugement de ces citoyens, les laudateurs de "l’expertise des savants" voudraient "qu’une expérience réussie parvienne à constituer une expertise certaine". Outre que de telles "expériences" devraient assumer les critères scientifiques habituels, dont la répétitivité, laisser croire qu’il existerait une expertise objective et compétente sur ces sujets économiquement sensibles c’est négliger, par exemple, que la viande de bovins traités aux hormones est acceptée par les experts américains et refusée par les français….

Violence faite à la démocratie

À côté de cette violence faite aux comportements scientifiques usuels par les essais d’OGM, on en vient donc à la violence faite à la démocratie, ces deux attentats ayant une origine commune: la compétition entre industriels pour s’assurer de nouveaux marchés, au prix de perturbations de l’environnement, de bouleversements des modes de production et de risques pour la santé humaine. Car même si les OGM parvenaient dans l’avenir à démontrer les qualités promises, il restera que la terre a été transformée en un immense champ d’expérimentation avant même que la faisabilité du projet eût été démontrée. Tant de légèreté est la rançon des urgences imposées par une vision libérale et archaïque du progrès et ne semble pas avoir eu d’équivalent dans l’histoire des technosciences. Car les peurs nées avec l’électricité n’empêchaient pas les ampoules d’éclairer, et la machine à vapeur pouvait bien inquiéter, elle faisait avancer les trains. À ceux qui s’étonneraient que des milliards de dollars soient actuellement investis dans une stratégie dont la faisabilité ne serait pas démontrée et en conclueraient à la réalité des performances des OGM, nous ferons remarquer que les intérêts des agro-industriels se nourrissent de cette croyance largement partagée, selon le principe du bluff bien connu de nombreuses start-up. Car cette croyance suffit à favoriser la stratégie de concentration des lobbies et la domination de l’alimentation mondiale, depuis la graine jusqu’au supermarché, en passant par la vassalité des paysans. On doit alors s’inquiéter du refus des industriels d’accepter leur responsabilité dans cette expérimentation planétaire, principalement en assumant le principe "pollueur-payeur", et aussi de l’insouciance des politiques qui n’exigent pas cet engagement, malgré la pollution croissante de l’univers végétal par les OGM. C’est le fait accompli de cette pollution (laquelle n’est peut être pas accidentelle) qui a conduit les pouvoirs publics à admettre l’impossibilité de cultures exemptes d’OGM comme l’observe Corinne Lepage (Le Monde, 3 août 2001). Pressentant une telle situation, René Riesel, paysan autoproclamé destructeur de "chimères génétiques d’Etat", soulignait devant le tribunal correctionnel de Montpellier, le 8 février 2001, que «le seul choix qui reste est d’aménager, autant que possible, le cours chaotique de l’innovation automatisée, ses “dégâts collatéraux”, ses regrettables “externalités négatives”…. en repoussant toujours plus loin les seuils d’“acceptabilité sociale”…» Quand ils se demandent ce que fait la police pour protéger des "vandales" les "travaux scientifiques" que seraient les essais d’OGM, François Ewald et Dominique Lecourt argumentent aussi sur "les objectifs d’indépendance nationale" et la menace de voir émigrer chercheurs et industriels, confirmant que s’il devait y avoir débat, ce ne pourrait être sur le principe du recours aux OGM mais seulement sur d’éventuelles “ext

Les jeux sont faits

Ainsi, au mépris de l’opinion publique, les jeux sont faits, sous la pression de quelques puissants lobbies défendus par une poignée de chercheurs, eux-mêmes relayés par un quarteron d’intellectuels souvent abusés par les discours triomphalistes de la technoscience. Et ce sont ces derniers qui amalgament les actes de la Confédération paysanne et d’ATTAC avec ceux de la Terreur révolutionnaire, par une confusion qui, fait remarquable, ne se réclame pas de la démocratie mais de la science et de la "liberté de la recherche". Il reste que cette liberté serait mieux honorée si "le recours aux OGM était systématiquement mis en balance avec l’utilisation de méthodes alternatives lors d’études systémiques", comme le recommande le rapport du Commissariat général du plan. Il est significatif qu’à l’occasion d’un autre plaidoyer pro-OGM (Le Monde, 14 août 2001) le directeur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) se soit résolu à illustrer sa démonstration d’un espoir pour les pays pauvres non par l’exemple du Golden rice, OGM vedette largement surfait, mais par celui d’une variété de riz obtenue selon des méthodes conventionnelles…

En réalité, la dissémination prématurée des OGM n’est qu’un maillon du déchaînement technologique qui s’appuie sur une certaine conception du monde et des rapports humains, au mépris du développement durable. Refuser cette conception, c’est refuser le vandalisme libéral.

Jacques Testart, biologiste, directeur de recherche à l’Inserm, président de la Commission française du développement durable.

le 04/01/2002