Antibiothérapie : les bactéries font de la résistance

La découverte des antibiotiques a constitué une véritable révolution dans le domaine des maladies infectieuses. Mais ce brillant tableau est assombri par l’apparition et l’extension du phénomène de résistance : les antibiotiques perdent de leur efficacité.

Par Isabelle Huau, le 23/01/2002

Une alerte mondiale

Salle d'opération : suivi d'un patient en anesthésie.

''Si nous n’agissons pas pour préserver les progrès miraculeux de la médecine, nous allons entrer dans une ère post-antibiotique qui verra de nombreuses avancées médicales et chirurgicales sapées par le risque des infections incurables'', s’insurge Gro Harlem Brundtland, directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Elle a lancé en septembre 2001 une stratégie d’ensemble pour une meilleure utilisation des remèdes afin de minimiser le phénomène de résistance et de maintenir l’efficacité des traitements pour les générations futures. En France également, Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, a annoncé en novembre 2001 un plan pour préserver l’efficacité des antibiotiques en sensibilisant médecins et patients.

Qu'est-ce qu'un antibiotique ?

Les antibiotiques sont des substances naturelles produites par des bactéries du sol et certains champignons qui, à faibles concentrations, sont toxiques pour d’autres bactéries sans l’être pour l'homme. Les antibiotiques peuvent être obtenus également par synthèse chimique.

Ces médicaments peuvent avoir divers moyens d'actions sur les bactéries :

  • Perturber la formation de la paroi bactérienne (pénicilline…)
  • Inhiber la synthèse de protéines (streptomycine…)
  • Bloquer la réplication du matériel génétique de la bactérie (quinolone…)
  • Modifier le métabolisme de la bactérie (sulfamides…)

Le premier antibiotique a été découvert en 1928 par Alexandre Fleming et introduit en thérapeutique en 1941 : il s'agit de la célèbre pénicilline G produite par un champignon qui avait contaminé une culture de laboratoire.

La tyrothricine, isolée à partir de bactéries vivant dans la terre, est le premier antibiotique utilisé en 1939 pour traiter une maladie. Mais cette substance trop toxique pour un usage interne, est uniquement utilisée comme traitement externe pour certaines infections. Puis, en 1943, la streptomycine, le premier antituberculeux efficace était découverte.

Une perpétuelle évolution

Quels sont les éléments qui ont fait prendre conscience de l’urgence à agir ? Dr Anne-Claude Crémieux...

La première alerte a été donnée par la découverte de multirésistances en milieu hospitalier exclusivement, lieu où sont associés une concentration élevée de personnes et une utilisation massive d’antibiotiques. Certaines bactéries, comme les staphylocoques dorés, étaient devenues peu sensibles aux antibiotiques.

Bactéries : comment deviennent-elles résistantes ?

Une inéluctable évolution des bactéries…

La plupart des bactéries sont détruites lorsqu’elles sont exposées à des antibiotiques auxquels elles sont sensibles. Certaines parmi elles peuvent avoir évolué et être devenues résistantes à ces antibiotiques.

Deux mécanismes différents sont à l’origine de l’évolution :

  • une mutation ''naturelle'' de l’ADN de la bactérie peut, par hasard, rendre la bactérie résistante. Ce nouveau caractère sera alors transmis à la descendance. Le bacille de la tuberculose, par exemple, présente un taux de mutation particulièrement élevé.
  • une mutation par acquisition d’un fragment d’ADN (que l’on appelle plasmide) provenant d’une autre bactérie. L’échange de fragments entre bactéries est un phénomène courant. Le plasmide peut contenir, par exemple, un gène porteur d’une résistance à un antibiotique. Ce type d’acquisition de la résistance est le plus répandu.

L'administration répétée d'antibiotiques chez l'homme ou l'animal tend à éliminer les bactéries sensibles. La place est laissée libre aux bactéries résistantes qui peuvent alors se développer et se transmettre d’un individu à l’autre lors d’un éternuement par exemple.

Une mauvaise consommation

Taux de pneumocoque de sensibilité diminuée à la pénicilline G en Europe.

L’utilisation des antibiotiques est bien souvent capitale. Elle a permis de faire des progrès gigantesques dans les thérapies et les préventions, que ce soient l’implantation des prothèses, les infections bactériennes, les septicémies… Le bénéfice de l’antibiothérapie est alors bien supérieur au risque de voir se développer des résistances. En revanche, ils sont trop souvent prescrits systématiquement ou sans raison d’être – les antibiotiques ne s’attaquent qu’aux bactéries et sont inoffensifs sur les virus.

Consommation d’antibiotiques en France

Consultation médicale chez l'enfant....

Avec 100 millions de prescriptions d’antibiotiques par an, la France fait figure de mauvais élève. Elle se situe au premier rang européen pour la consommation de ces médicaments par habitant en ville et au deuxième rang pour l’hôpital.

Dans au moins 30 millions de cas, ces antibiotiques sont inutiles car prescrits dans des infections respiratoires. Ainsi, 40% des rhinopharyngites, 80% des bronchites aiguës, 90% des angines sont traitées par antibiotiques, ce qui n’est pas justifié dans la majorité des cas.

Contrairement à d’autres pays qui ont déjà pris des mesures à l’échelon national, la consommation d’antibiotiques est en augmentation de 2 à 3% par an depuis dix ans.

Vente d'antibiotiques au sein des pays de l'Union européenne (en 1997).

La médecine de ville représente environ 80% du volume d’antibiotiques prescrits. Deux tiers des prescriptions sont faites pour le traitement d’infections respiratoires et ORL concernant principalement les jeunes enfants, ces infections étant majoritairement virales.

Leur usage ne peut être d’aucune aide pour une banale grippe ou des infections virales. Il faut oublier l’adage ''si ça ne peut pas faire de bien, ça ne fait pas de mal''.
''On en a tellement besoin, supplie le docteur Crémieux, s’il vous plaît, réservez leur utilisation quand c’est nécessaire !''

Test pour économiser les antibiotiques : le dépiste angine

Si la prescription d’antibiotiques se justifie pleinement pour les angines aiguës à streptocoques (qui représentent 20% des angines), les angines virales beaucoup plus fréquentes ne nécessitent pas ce type de traitement car elles évoluent naturellement vers la guérison. Le simple examen clinique de la gorge ne permet pas d’identifier l’origine de l’angine. Dans le doute, les médecins respectaient les recommandations médicales précisant d’employer les antibiotiques face à une angine.Un test de diagnostic rapide va faire son entrée chez les généralistes : le ''test-angine'', financé par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Cet appareil permettra, après un prélèvement dans la gorge du patient, de déterminer si une angine est d’origine virale ou bactérienne.

En Bourgogne, près de 4 000 tests ont été réalisés :

  • 72% des tests étaient négatifs et dans 18% de ces cas les médecins ont prescrit des antibiotiques ;
  • 94% des médecins pensent que la généralisation de cette pratique serait une bonne chose ;
  • néanmoins, 32% ne l’utilisent plus – essentiellement à cause du temps nécessaire à la pratique de ce test.

Ce test a permis d’éviter l’utilisation d’antibiotiques chez 60% des patients. De plus, il devrait permettre de faire des économies : d’un coût d’environ 1 € l’unité, il éviterait quelque 5 à 6 millions d’antibiothérapies à environ 15 € chacune. Il devrait également contribuer à combattre les idées reçues sur ces médicaments.

Utilisation des antibiotiques chez les animaux

Volume d'antibiotiques utilisés chez l'homme et chez l'animal.

L’usage des antibiotiques chez les animaux compte également une part de responsabilité dans le développement général de la résistance. Ils sont utilisés de deux façons distinctes : soit comme des médicaments vétérinaires pour soigner une infection déclarée ou prévenir une possible infection, soit comme facteur de croissance destiné à obtenir un gain de poids des animaux de l’ordre de 2 à 5%. Selon une récente étude publiée dans New England Journal of Medicine, aux Etats-Unis, les animaux de ferme consomment environ dix fois plus d’antibiotiques que la population humaine.

New England Journal of Medicine, 2001, vol.345
* FEDESA (European Federation of Animal health Industries) 1998

Cette administration massive a favorisé l’apparition de souches résistantes notamment chez la salmonelle. Pendant les dix dernières années, des salmonelles résistantes à au moins trois antibiotiques différents – en particulier à la ceftriaxine, le médicament de choix pour traiter les salmonelloses chez les enfants – ont été isolées dans diverses parties du monde, chez les animaux comme chez les hommes. Le même phénomène est apparu chez Escherichia Coli, Campylobacter…

Un usage remis en cause

Que pensez-vous de la situation en Europe? François Dufour, commission sanitaire...

L’usage des antibiotique comme additifs alimentaires a été remis en cause, notamment par les pays du Nord de l’Europe. Actuellement, deux facteurs de croissance à activité antibiotique sont encore utilisés : le flavophospholipol et l’avilamycine, ceux-ci n’étant proches d’aucun antibiotique utilisé en thérapie humaine ou vétérinaire. La législation européenne a également défini, depuis janvier 1997, les limites maximales de résidus (LMR), c’est-à-dire la quantité acceptable d’antibiotiques que l’on pouvait trouver dans les carcasses, ainsi que les délais d’attente entre l’arrêt du traitement et l’arrivée à l’abattoir. Pour Elisabeth Chaslus-Dancla, chercheur à l’Inra, ''la législation en Europe est très en avance'', notamment par rapport aux Etats-Unis qui utilisent certains facteurs de croissance interdits depuis 1975 en Europe, comme les bêta-lactamines et les tétracyclines, et ce, en quantité très importante.

Une course de vitesse

Pourquoi la recherche sur les antibiotiques semble s’essouffler ? Dr Anne-Claude Crémieux,...

Il existe une sorte de course de vitesse entre les bactéries et les chercheurs. Les chercheurs inventent de nouvelles armes antibiotiques auxquelles les bactéries s’adaptent à nouveau en développant une nouvelle résistance et ainsi de suite… Jusqu’à présent, l’homme avait quelques longueurs d’avance sur les microbes, mais aujourd’hui cette avance se réduit, ce qui rend la situation critique.

Est-il trop tard ? Dr Anne-Claude Crémieux,...

Aucune solution ou parade simple n’existe. La prise de conscience des milieux hospitalier et vétérinaire a conduit à la remise en cause de certaines pratiques et à un usage plus raisonné des antibiotiques.

La surveillance de la résistance s’est également renforcée. L’information est l’élément clé de tous les dispositifs. Mieux informés, les patients auront moins tendance à réclamer des antibiotiques à leur médecin et ceux-ci pourront limiter leurs prescriptions.

Cela fait des années que bon nombre de médecins crient ''au loup''. Il semblerait qu’enfin ils soient entendus. 

Isabelle Huau le 23/01/2002