La prise en charge

La maladie d'Alzheimer est la plus répandue des affections neuro-dégénératives. Face à cette maladie, pour l'heure incurable, se pose la question de la charge qu'elle fera peser sur nos sociétés et plus particulièrement sur les proches des malades.

Par Philippe Dorison, le 18/10/2004

80% des plus de 80 ans sont indemnes

Plus on vieillit, plus on risque de contracter la maladie d'Alzheimer. Cette constatation, prouvée par de nombreuses études épidémiologiques, ne signifie pas pour autant que l'âge soit la cause systématique de l'apparition de cette démence.

Le vieillissement cérébral ''normal'' produit des effets très différents d'un individu à l'autre et il n'évolue vers la maladie d'Alzheimer que dans un nombre limité de cas. En revanche, il est probable que certains mécanismes du vieillissement ''préparent le terrain'' et fragilisent la résistance du cerveau, permettant à d'autres facteurs de s'exprimer et de contribuer au déclenchement de la maladie.

Qui est concerné ?

Prévalence de la maladie d'Alzheimer par groupe d'âge

La maladie d'Alzheimer est rare chez les personnes de moins de 75 ans, mais sa prévalence augmente rapidement aux âges plus élevés.

On l’évalue à 5% au-delà de 65 ans et à 20% chez les plus de 80 ans.

On évalue à plus de 800 000 le nombre de malades en France, avec 165 000 nouveaux cas par an et 40 000 à 65 000 décès.

Une affaire de famille ?

La maladie d'Alzheimer ne se transmet pas verticalement d'une génération à l'autre, sauf dans sa forme héréditaire qui reste très rare. En revanche, son retentissement sur les proches d'un patient est très important et souvent destructeur.

Quel est l'impact de la maladie d'Alzheimer sur les patients et leurs proches ? Alain Colvez, directeur de recherche à l'Inserm

Compte tenu de la fréquence de cette maladie, ce phénomène devient une question de santé publique dont l'impact ne se limite pas à la France. Tous les pays dans lesquels l'espérance de vie a tendance à augmenter voient les patients Alzheimer apparaître en nombre croissant.

Dans la plupart des cas, la prise en charge de cette maladie est une affaire de famille et l'aide apportée par les pouvoirs publics à l'entourage des patients est très insuffisante. Mais pour améliorer cette situation, encore faut-il bien évaluer les moyens à mettre en oeuvre et les stratégies à engager.

Quel coût pour la société à l'horizon 2030 ?

Une étude a été publiée en janvier 2003 par la « London School of Economics and Politcal Science » (L.S.E.). Elle avait été réalisée à la demande du « Alzheimer Research Trust » et se fixait pour but d’évaluer le coût des soins à dispenser aux personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives dans les trois décennies à venir. La maladie d’Alzheimer est responsable d’environ 72% des troubles cognitifs liés à l’âge.

Selon cette étude, le nombre de personnes atteintes de troubles cognitifs augmentera en Angleterre de 66% entre 1998 et 2031, passant de 461 000 à 765 000. Environ la moitié de ces personnes subiront une perte d’autonomie qui demandera une assistance quotidienne.

Le coût des services de soins de longue durée devrait être multiplié par 2,4, passant de 6,9 à 16,4 milliards d’euros.

De nombreux facteurs peuvent venir influer sur ces prévisions, avec des effets contradictoires.

Par exemple, un plus faible engagement des familles (notamment des enfants) dans les soins informels donnés aux patients ferait augmenter les coûts de prise en charge en institution, tandis que la découverte de traitements ralentissant l’évolution de la maladie permettrait de les réduire.
Selon les divers scénarios évoqués, les experts du L.S.E. estiment que le coût de la prise en charge des patients âgés souffrant de problèmes cognitifs se situera en 2031 dans une fourchette allant de 0,5% à 0,8% du produit intérieur brut britannique.

Quelles solutions en Europe ?

A l'échelle européenne, cinq stratégies ont été répertoriées pour la prise en charge des patients Alzheimer. Une étude menée en 1999 sous la direction d'Alain Colvez (Inserm U 500, “Épidémiologie des maladies chroniques et du vieillissement”, Montpellier) et de Marie-Ève Joël (LEGOS, université Paris-Dauphine) se fixait pour but d'évaluer ces stratégies de prise en charge selon plusieurs critères, dont la charge pesant sur les personnes de l'entourage, au niveau économique mais aussi en termes de conséquences sur leur qualité de vie et leur santé.

Comment aborder la question de la prise en charge des patients Alzheimer ? Alain Colvez, directeur de recherche à l'Inserm

Car, comme l'explique Alain Colvez, sans prise en compte de ''l'aidant informel'', on ne comprend pas les réelles implications de cette maladie.

Tous les experts reconnaissent le rôle clé joué par les proches, y compris dans le ralentissement de la maladie grâce à la stimulation permanente des facultés cognitives.

En France, l'étude ''Pixel'', coordonnée par le Dr. Philippe Thomas (psycho-gériatre au CHU de Poitiers) et publiée en 2002, confirme l'ampleur de l'engagement de l'entourage : plus de 7 patients sur 10 vivent à leur domicile grâce à l'aide de leurs conjoints ou enfants qui, dans près de la moitié des cas, déclarent que cette situation les prive de la quasi-totalité de leur temps libre. Et c'est plus d'une famille sur trois qui assume cette situation sans aucune aide extérieure.

En 2020, la maladie d'Alzheimer pourrait concerner 1 million de patients français et leur entourage.

Le poids économique supporté par les familles est lui aussi très élevé car on estime que moins de 40% des frais est pris en charge par les caisses d'assurance maladie. De nombreuses revendications pour un meilleur remboursement sont relayées par des associations comme France-Alzheimer. Elles portent sur des points précis comme la classification de cette maladie en affection de longue durée par la Sécurité sociale ou l'existence d'aides spécifiques lorsque la maladie apparaît très tôt, avant 60 ans.

En réponse à ces demandes, le gouvernement français vient de mettre en place un nouveau plan de lutte contre cette maladie qui propose un certain nombre de mesures pour soutenir les familles : prise en charge à 100% par la Sécurité sociale (maladie désormais classée en affection de longue durée), facilitation de l'accès à l'Allocation personnalisée d'autonomie (APA), développement des gardes itinérantes de nuit...

Reste à savoir si ces mesures réussiront à combler le réel décalage qui existe entre la détresse des familles et la réponse apportée au titre de la solidarité nationale.

Cinq stratégies de prise en charge

Dans leur démarche d'évaluation des structures d'accueil pour les personnes atteintes de démence sénile à travers l'Europe, les chercheurs ont classé les pratiques employées en cinq groupes, que l'on retrouve avec une fréquence variable selon les différents pays :

  • services à domicile, pour aider le maintien des patients dans leur environnement familier ;
  • centres de jour dans lesquels les malades sont accueillis pour soulager les proches ;
  • centres experts où le traitement médical est étendu à un suivi du patient au cours du temps ;
  • ''cantous'' ou ''group-livings'' où les patients pensionnaires disposent à la fois de structures communes et d'un espace privé ;
  • hospitalisations ''de répit'' venant en complément d'un maintien à domicile pour aider à surmonter les phases les plus critiques de l'évolution de la maladie.

L'épidémiologie peut-elle proposer des directions de prévention ?

La première étude française liée aux démences et portant sur une importante cohorte (plus de 4 000 personnes) a été lancée à Bordeaux en 1988, sous le nom de PAQUID (Personnes âgées, Quid ?). Elle a permis d’obtenir des connaissances sur la prévalence* réelle de la maladie d’Alzheimer et a mis en évidence un lien entre le niveau d’étude et le risque de démence.

* pourcentage d'une population qui, à un moment donné, est atteint par une maladie

Une autre étude, baptisée EVA (Epidémiologie du vieillissement artériel) a démarré en 1991 à Nantes. Les 1 400 personnes de 60 à 70 ans qui constituaient son échantillon ont subi des examens très complets : évaluation neuro-psychologique, bilan vasculaire, IRM.

C’est en tenant compte des résultats de ces deux programmes et pour les compléter, qu’a été mise en route l’étude ''3C'' (comme [qactu:2343]3 Cités)[/qactu], en 1997.

Comme pour la plupart des pathologies, l'apparition de la maladie d'Alzheimer est conditionnée par de multiples facteurs, qui peuvent faire intervenir le patrimoine génétique mais aussi l'histoire de la vie de chaque individu et son environnement. Des facteurs si nombreux que le fait d'en isoler un peut paraître anecdotique...

Du point de vue génétique, un facteur de suceptibilité a déjà été repéré : une variante, nommée ''e4'', du gène de l'apolipoprotéine E (impliqué dans le métabolisme du cholestérol). Mais les scientifiques s'accordent à reconnaître que le déclenchement de la maladie d'Alzheimer n'est certainement pas programmé par ce seul gène et que de nombreux autres mécanismes, encore inconnus, sont impliqués dans le processus.
Une démarche de prévention pourrait donc consister à rechercher d'autres facteurs de risque, liés à une probabilité accrue d'apparition de la maladie et sur lesquels il serait possible d'intervenir. À ce niveau, le but des chercheurs n'est pas tant d'empêcher la maladie d'apparaître (car aucune stratégie thérapeutique n'est réellement disponible) que de retarder son expression clinique.

Un résultat qui aurait déjà des conséquences importantes en termes de santé publique, car on estime que le simple fait de reculer d'un an l'apparition des symptômes réduirait la prévalence de la maladie dans une proportion de 25%.

Philippe Dorison le 18/10/2004