Multiples maladies de Creutzfeldt-Jakob

Si la variante humaine de l'ESB a été largement médiatisée, les autres formes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob passent quasiment inaperçues. Elles sont pourtant beaucoup plus meurtrières et l'une d'entre elles est associée à une affaire médico-judiciaire.

Par Philippe Dorison, le 10/01/2004

Une nouvelle variante rarissime

Proportion des diverses formes de la maladie constatées entre 1992 et 2003

De 1996 à 2002, six personnes sont décédées en France de la nouvelle variante liée à l’ESB et aucun nouveau cas n'est apparu en 2003. Dans le même temps, 690 patients ont été frappés par la forme sporadique de la maladie et 55 ont été victimes de la forme iatrogène, consécutive au traitement par hormone de croissance.

Les différentes formes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob

  • La forme sporadique

C'est le nom que l'on donne à la maladie de Creutzfeldt-Jakob lorsqu'elle apparaît sans aucune raison qui puisse la laisser prédire. On peut penser qu'elle est alors causée par la mutation spontanée d'un gène du patient, ce qui reste encore une supposition. Ces cas aux origines non identifiées sont de très loin les plus nombreux (85%) et ils concernent en général des personnes âgées.

  • La forme familiale

Très semblable à la forme sporadique, elle apparaît de façon récurrente dans certaines familles, ce qui tendrait à prouver son origine génétique. Elle est environ dix fois plus rare que la forme sporadique.

  • La forme iatrogène

Le nom de cette variante indique la façon dont elle a été transmise au malade : par un acte médical ou chirurgical.
Des cas ont par exemple pu être observés après une greffe de cornée, prélevée sur un sujet atteint de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
On peut aussi envisager que l'infection se transmette par des instruments chirurgicaux, car le prion garde son pouvoir contaminant malgré toutes les procédures classiques de désinfection.
Mais les cas les plus nombreux sont apparus depuis les années 80 suite à l'utilisation d'hormone de croissance. Ce produit, destiné au traitement d'enfants qui ne grandissaient pas assez, était fabriqué suite à des prélèvements réalisés dans les cerveaux (plus précisément l’hypophyse) de personnes décédées. Or, certaines étant porteuses de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, la contamination s'est transmise aux enfants qui ont reçu cette hormone.
On évalue à près de 90 le nombre de cas qui se sont ainsi déclarés en France. De plus, la très longue durée d'incubation de la maladie laisse craindre que, parmi le millier d'enfants traités, d'autres pourraient encore être touchés.

  • La nouvelle variante : v-MCJ ou nv-MCJ

Il s'agit là de la transmission à l'humain de l'encéphalopathie spongiforme bovine ou maladie de la ''vache folle''. Si les neuropathologistes s'accordent à la rapprocher de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, elle diffère pourtant des autres formes par un certain nombre de signes sans équivoque, notamment en ce qui concerne la forme des lésions observées dans les cerveaux atteints. Pour cette raison, la certitude formelle du diagnostic ne peut être acquise qu'après le décès du patient.
Particulièrement médiatisée, la nouvelle variante a été la cause de six décès en France.
Le principal foyer d'apparition de la nv-MCJ se situe au Royaume-Uni, pays où l'exposition des consommateurs à l'ESB a été la plus grande. Ce sont environ 140 cas qui y ont été signalés depuis le milieu des années 90 et il est particulièrement difficile pour les scientifiques de prévoir l'évolution future de cette épidémie.



Le professeur Jean-Jacques Hauw est un spécialiste des maladies neuro-dégénératives et plus particulièrement des maladies à prions. Tous les cas de suspicions de maladie de Creutzfeldt-Jakob signalés en France sont étudiés dans son service, à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière (Paris).

L’hormone de croissance en procès

À travers le monde, ce sont environ 140 enfants et jeunes adultes qui sont morts depuis le milieu des années 80, pour avoir subi un traitement à base d’hormone de croissance extraite de cerveaux humains. Sur ce total, environ 90 décès sont survenus en France et une procédure d’instruction pénale a démarré en 1991, suite aux plaintes des familles de victimes.

Pourquoi avoir créé la MCJ-Apev et intenté une action en justice ? Jean-Bernard Mathieu, MCJ-Apev

L’association dans laquelle elles se sont regroupées (MCJ-Apev) constate avec amertume que la presse s’intéresse moins à ces enfants qu’aux très rares victimes humaines de la maladie de la vache folle. Pourtant, ils sont près de mille à avoir été traités et rien ne permet de savoir s’ils risquent de développer la maladie dans un avenir plus ou moins proche.

Le principal reproche adressé au corps médical français est d’avoir trop tardé à interdire l’utilisation de cette hormone extractive, alors que de nombreux pays l’avaient déjà bannie. Depuis 1988, des hormones de synthèse, obtenues par génie génétique, ont remplacé ce produit et les risques de contamination ont disparu.

Réponse de Jean-Bernard Mathieu, président de l'association MCJ-Apev.




Le grand public a beaucoup moins entendu parler des contaminations par l'hormone de croissance que de celles liées à l'ESB. Qu'en pensez-vous ?

La “suspicion“ augmente, surtout en France

Le nombre de suspicions de maladie de Creutzfeldt-Jakob a énormément augmenté en France ces dernières années, sans toutefois que le nombre de cas avérés ne suive la même tendance. On peut donc penser que l’incidence de ces maladies reste stable malgré une surveillance de plus en plus serrée et une implication croissante des praticiens.

Les cas de suspicions de MCJ en France et au Royaume-Uni.

En revanche, on observe une tendance différente au Royaume-Uni où le nombre de cas rapportés comme suspects n’a guère évolué depuis l’apparition des premiers cas de nouvelle variante.

Faut-il y voir une nouvelle preuve du “flegme britannique” et une grande précision du premier diagnostic des médecins d’Outre-manche ? La réponse n'est probablement pas aussi simple et il faut s'abstenir de tirer des conclusions hâtives de la comparaison de ces deux courbes. Notamment, les critères de ''suspicion'' varient d'un pays à l'autre.

MCJ : outils de diagnostic

Dans l'état actuel de la science, aucun test ne permet de diagnostiquer à coup sûr une maladie de Creutzfeldt-Jakob du vivant du patient. En dehors des signes cliniques qu'ils observent, les praticiens disposent cependant de divers outils pour affiner leur diagnostic jusqu'à une très forte probabilité.

  • La ponction lombaire

Permet d'examiner le liquide céphalo-rachidien. On n'y trouve jamais de protéine prion mais on peut y doser la protéine nommée “14-3-3”. Elle n'est pas spécifique à la maladie de Creutzfeldt-Jakob mais témoigne d'atteinte des cellules nerveuses.

Commentaire d'Annick Alpérovitch, directeur de l’unité Inserm U360 (recherches épidémiologiques en neurologie et psychopathologie) :
“En France, toute demande de test 14.3.3 sur le LCR est assimilée, de manière très abusive, à une suspicion de MCJ. Dans de très nombreux cas, les cliniciens ont fait un autre diagnostic avant même d'avoir reçu le résultat du test. Le très grand nombre de suspicions n'est donc pas vraiment un indicateur de la qualité de la surveillance. Il traduit surtout des cultures médicales différentes en matière de prescription de tests, de celui-là comme probablement de beaucoup d'autres. La France est le seul pays européen à utiliser de manière aussi large et non spécifique la notion de suspicion de MCJ. Les autres pays européens sont plus restrictifs. Mais il serait extrêmement difficile de définir des critères de ''suspicion'' utilisables partout et par tous.“

  • La biopsie des amygdales

Peut mettre en évidence la présence de protéine prion pathologique, uniquement dans les cas de nouvelle variante liée à l'ESB.

  • L'IRM (Imagerie par résonance magnétique)

Capable de montrer certaines anomalies, particulièrement dans le cas de nouvelle variante. Mais l'interprétation des images demande une très grande expérience. L'équipe du professeur RG Will, au Royaume-Uni, est la seule à posséder pleinement ce savoir-faire.

  • L'EEG (électro-encéphalogramme)

Permet dans certains cas de repérer des caractéristiques qui apparaissent dans la forme sporadique mais pas dans la nouvelle variante.

  • Le scanner

Ne met en évidence aucune anomalie relative aux diverses formes de maladie de Creutzfeldt-Jakob mais il est souvent pratiqué pour exclure d'autres hypothèses.

Dans la famille des maladies à prions…

La maladie de Creutzfeldt-Jakob fait partie des ESST, comme toutes les maladies à prions qui frappent les humains ou différentes variétés animales. Chez [qactu:2051]les animaux[/qactu], les plus connues sont la tremblante du mouton et l’ESB, maladie de la ''vache folle''.

Le cerveau “malade“

Les maladies humaines qui appartiennent à cette catégorie sont par exemple le Kuru (apparu en Papouasie-Nouvelle-Guinée au milieu du XXe siècle), le syndrome de Gerstmann-Straüssler-Scheinker, ou l’insomnie familiale fatale.

Chacune de ces maladies, y compris les différentes formes de maladie de Creutzfeldt-Jakob, possède une “signature” particulière qui permet aux neuropathologistes de l'identifier par la forme des lésions qu'elle cause dans le cerveau.

L'examen des lésions du cerveau est nécessaire pour aboutir à une certitude mais il ne peut être réalisé qu’après le décès du patient.

Risques de confusions

La maladie de Creutzfeldt-Jakob, dans ses différentes formes, partage avec les autres affections du système nerveux central une grande difficulté à être diagnostiquée à coup sûr du vivant du malade. Le risque de confusion est donc présent, d'autant que la pratique d’une autopsie n’est pas systématique (environ 60% des patients soupçonnés d'être atteints d'une forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob en subissent une). Elle est même parfois rendue très complexe par la législation.

Pour mesurer ce risque, deux études réalisées aux États-Unis ont montré que des patients supposés avoir succombé à la maladie d'Alzheimer ou à d'autres formes de démences étaient en fait atteints de maladie de Creutzfeldt-Jakob. Le pourcentage d'erreur s'élèverait à 5,5% selon des travaux menés à l'université de Pittsburgh en 1989 (Boller et al.) et à 13% selon une enquête similaire conduite à Yale (Manuelidis and Manuelidis, 1989). On peut regretter qu'aucune enquête n'ait été menée récemment pour voir l'évolution de ce chiffre.

Confrontée à l'incidence de la maladie d'Alzheimer, qui se compte en centaines de milliers de patients, cette marge d'incertitude pourrait, si elle était confirmée, changer dans de grandes proportions la vision actuelle de l'épidémiologie de la maladie de Creutzfeldt-Jakob à l’échelle mondiale.

Philippe Dorison le 10/01/2004