Le cannabis banalisé chez les jeunes

Au sein de l’Union européenne, le cannabis est le produit illicite le plus consommé. Mais sait-on réellement quels sont ses effets sur le comportement et la santé ? À la demande de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, l’Inserm a réalisé une expertise collective

Par Isabelle Bousquet Maniguet, le 19/02/2002

Qui consomme ?

Évolution de l’expérimentation de cannabis chez les jeunes de 15 à 16 ans dans différents pays européens.

En Europe, l’expérimentation de cannabis (avoir au moins consommé une fois le produit en fumant un “joint”) concerne essentiellement les jeunes de 15 à 19 ans, avec peu de différences entre filles et garçons. En revanche, la proportion de garçons est plus importante pour des consommations répétées (au moins dix fois dans l’année).

Au cours des dernières années, l’expérimentation de cannabis a augmenté dans les pays qui avaient une consommation initiale faible et elle s’est stabilisée dans les autres pays.

Quantités de drogues saisies en 1996 dans les pays de l’Union européenne.

Source : Données de l’enquête européenne Espad (European School Survey Project on Alcohol and other Drugs) recueillies par autoquestionnaire anonyme sur un échantillon en milieu scolaire.

Les pays où s’effectuent les saisies les plus importantes sont la France, la Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-bas et l’Espagne. Source : Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie.

Les facteurs de vulnérabilité

La consommation de cannabis se banalise chez les jeunes en France.

Tous les jeunes ne sont pas égaux face à l’abus de cannabis. Divers facteurs, individuels, sociaux, familiaux entrent en jeu. Par exemple, certains traits de personnalité, tels qu’une faible estime de soi ou la recherche de sensations fortes, sont souvent associés à un risque accru de consommation abusive de cannabis.

Les antécédents familiaux (alcoolisme ou toxicomanie) sont aussi des facteurs de risque. De plus, il y aurait, selon des études menées sur des jumeaux, des facteurs génétiques à l’origine d’une vulnérabilité commune au cannabis et à l’alcool.

Les effets immédiats

Ils sont bien connus et durent en moyenne deux à dix heures selon la dose consommée et la sensibilité individuelle. Ils se caractérisent par une sensation de bien-être, une euphorie, un état de somnolence, une modification de la perception visuelle et temporelle, voire des troubles de la mémoire à court terme.

A un niveau de consommation plus élevé, l’Inserm fait état de troubles du langage et de la coordination motrice. Enfin, la prise de cannabis peut déclencher un trouble psychotique, appelé psychose cannabique, qui s’accompagne d’hallucinations visuelles. Ce syndrome touche environ 0,1% des consommateurs et disparaît avec la prise de neuroleptiques. Aucun cas de décès n’a jamais été signalé suite à une prise isolée de cannabis.

Les effets différés

En outre, il semble qu’à long terme, une consommation régulière (dix fois et plus au cours des trente derniers jours) et répétée de cannabis induise des effets très sérieux sur la santé. Or, ce type de consommation concerne, en France, 13% des garçons de 17 ans et 7% des filles du même âge.

Depuis les années 80, des cas de cancers bronchiques et des voies aérodigestives supérieures (bouche, pharynx, œsophage et larynx) ont été rapportés chez des jeunes fumant exclusivement du cannabis. Des observations renforcées par certaines études suggérant que la prise répétée de cannabis est un facteur de risque de cancer bronchique chez les moins de 45 ans.

Ce risque cancérigène est dû au mode de consommation : la fumée de cannabis contient plus de goudrons que la fumée de tabac (50 milligrammes contre 12) et dans ces goudrons, la concentration en produits cancérogènes (benzopyrène, nitrosamines, aldéhydes) est également plus élevée.

De plus, la rétention des goudrons dans les poumons est favorisée par le principe actif du cannabis lui-même (delta9-tétrahydrocannabinol) qui possède des propriétés bronchodilatatrices.

Hormis ces premières observations, qui doivent encore être validées par d’autres travaux, les effets à long terme du cannabis sur la santé sont encore méconnus, car mal documentés : il est difficile de recueillir des données sur un produit illicite (voir Points de repère Le cannabis et la loi) et les études épidémiologiques, lorsqu’elles existent, ne renseignent pas sur la consommation de cannabis à l’échelle quotidienne. On est donc encore loin de pouvoir dresser un lien de cause à effet entre la consommation de cannabis et l’apparition de troubles de santé.

Isabelle Bousquet Maniguet le 19/02/2002