OGM : cultures et essais

Le protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques entre en application à partir du 11 septembre 2003. Dans le même temps, le débat sur la légitimité des essais d’OGM en plein champ reste très passionnel en Europe et notamment en France.

Par Philippe Dorison, le 10/10/2003

Les OGM, on se les arrache…

Manifestation anti-OGM

Fin 2002, la question de l’activisme syndical anti-OGM est remise à l’ordre du jour par la confirmation de la condamnation de José Bové, porte parole de la confédération paysanne, à une peine de prison ferme.

Les faits qui lui sont reprochés remontent à 1999 et concernent l’arrachage de plants transgéniques. Quelques mois plus tôt, en Grande-Bretagne, deux procès pour arrachage de plantes OGM se sont conclus par des non-lieux. La justice a considéré que les risques de dissémination évoqués par les militants anti-OGM ne pouvaient être tenus pour négligeables.

Ces deux décisions de justice contradictoires sont de nouveaux rebondissements dans le feuilleton de la contestation qui se manifeste en Europe contre les cultures transgéniques.

Pétitions concurrentes

Le 18 septembre 2003, plus de1 500 chercheurs français ont publié une pétition dans le but de dénoncer les destructions de parcelles d’essais d’OGM, en raison du préjudice qu’elles portent aux activités de recherche. Ce texte répond à un autre, signé par environ 700 scientifiques pendant l’été, qui apporte son soutien à José Bové, considérant les arrachages comme une mise en application du principe de précaution.

Printemps 2002 : le conseil des sages

Réuni par le gouvernement français, un comité de quatre experts est chargé d'organiser un débat public sur la légitimité des essais d'OGM en plein champ. Composé de Christian Babusiaux (président du Conseil national de l'alimentation), de Jean-Yves Le Déaut (président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix technologiques), de Didier Sicard (président du Comité national consultatif d'éthique) et de Jacques Testart (président de la Commission française de développement durable), le comité remet son rapport en mars 2002.

Ce document conclut que la recherche scientifique sur les OGM a besoin des essais aux champs mais que ceux-ci doivent se dérouler dans des conditions très contrôlées.
Les quatre experts souhaitent aussi déplacer le débat du domaine scientifique vers la sphère politique, appelant à une vaste concertation publique et parlementaire sur l'utilité réelle des cultures OGM.

Été 2001 : L’AFSSA fait des mesures…

Dissémination accidentelle d’OGM : un vide juridique. Le point de vue de Simon Charbonneau.

En étudiant des échantillons de semences ou de récoltes conventionnelles, l’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) a relevé de faibles traces d’OGM (moins de 0,2%) dans 17% des lots qu'elle a testés, toutes variétés confondues. Pour le maïs, le nombre de lots contaminés s'éleve à 41%.

L’Agence estime toutefois comme très minime le risque pour la santé publique lié à cette dissémination. De leur côté, les associations anti-OGM voient dans ce résultat la preuve que les craintes de contamination qu'elles expriment depuis plusieurs années ne relèvent pas du fantasme.

Cette étude, publiée le 23 juillet 2001, a des conséquences multiples : d'un côté, elle donne, aux yeux de l'opinion publique, une certaine légitimité aux contestataires responsables de campagnes d'arrachage. De l'autre, elle oblige à redéfinir la notion de pureté et à fixer un seuil ''réaliste'' d'environ 1% de contamination, en dessous duquel un produit peut être considéré non-OGM.

… L’Europe prend des mesures

La Commission européenne adopte en juillet 2001 deux propositions de loi, dont l'entrée en vigueur est prévue pour 2003.

Elles préconisent que tous les produits pour l’alimentation humaine ou animale, élaborés à partir d’organismes transgéniques, doivent faire l’objet d’un étiquetage, même lorsque ces OGM ne sont plus détectables dans les produits transformés.

Traçabilité des OGM, Le point de vue d'Alain Weil

Les produits dans lesquels la présence ''accidentelle'' d’OGM pourrait être détectée dans une proportion inférieure à 1% ne seraient pas soumis à l’étiquetage.

Malgré les critiques sévères émises par les États-Unis contre cette obligation, un accord est finalement signé par les Quinze fin novembre 2002. Il confirme l'obligation d'étiquetage et fixe le ''seuil de contamination accidentelle'' acceptable à 0,9%.

En France, des étiquettes sur les champs

Traçabilté des OGM, Le point de vue de Gilles Éric Séralini

La transparence demandée par les citoyens européens a aussi des conséquences sur les essais réalisés en plein champ. C'est ainsi que le ministère français de l'agriculture publie sur son site Internet la liste des parcelles expérimentales.

Résultat, depuis quelques années, le nombre d'expérimentations diminue. Cette tendance est parfois expliquée par une autocensure des laboratoire de recherche, soumis à la pression de l'opinion publique, aux risques de campagnes d’arrachage et à l'hostilité de nombreuses communes.

De leur côté, les industriels semblent peu passionnés par ce débat sur la légitimité des essais en plein champ, qu'ils considèrent comme un combat d'arrière-garde.Majoritairement, ils restent persuadés que l'extension des cultures transgéniques à l'échelle de la planète est inéluctable et qu'elle représente la seule voie d'innovation pour le secteur agro-alimentaire.

Néanmoins, le calendrier de cette conquête est sans arrêt retardé par la lenteur de la levée des obstacles qui s'y opposent. Autant d'incertitudes qui poussent de grands groupes comme Novartis, Aventis ou Pharmacia à se recentrer pour le moment sur leurs activités pharmaceutiques. Certaines autres entreprises du secteur (comme Monsanto, BASF ou Bayer) multiplient les restructurations dans l'attente d'un véritable décollage des marchés transgéniques.

Des OGM, pour quoi faire ?

Essais OGM en plein champ en France

Les principaux arguments des pro-OGM s'articulent autour des gains de productivité et de la capacité à résoudre le problème de la faim dans le monde. Ainsi présentés, les OGM ont tout pour convaincre à la fois les pays en développement et les pays industrialisés.

Mais de nombreuses ONG, comme Solagral ou Greenpeace, contestent que les OGM puissent aider les plus démunis à se nourrir. Selon elles, la production agricole mondiale est suffisante et les OGM ne font que renforcer la dépendance des agriculteurs vis-à-vis des firmes agro-alimentaires. Elles considèrent que le problème de la malnutrition est lié d’une part à la capacité d'un pays à produire sa propre nourriture et, d’autre part, à un manque de pouvoir d’achat.

Jacques Diouf, directeur général de la FAO

Le point de vue de Jacques Diouf directeur général de la Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO), exprimé au deuxième sommet mondial de l’alimentation à Rome en 2002 :

« Pour moi, les biotechnologies sont marginales dans la lutte contre la faim, même s’il ne faut pas définitivement écarter leur potentiel scientifique. »

“Les OGM servent essentiellement à produire ou à absorber des pesticides...“ Le point de vue de Gilles Eric Séralini.

Par ailleurs, la réduction de l'utilisation des pesticides dans les cultures OGM, qui est souvent mise en avant comme un bénéfice apporté par ceux-ci, ne fait pas l’unanimité.

Science, éthique, ou commerce ?

Quels espoirs suscitent les OGM ? Le point de vue de Alain Weil, directeur scientifique adjoint au CIRAD.

Par quelque entrée que l'on aborde le débat sur les OGM, son aspect commercial finit toujours par émerger. À l'échelle mondiale, le marché de l'agro-alimentaire s’évalue en centaines de milliards de dollars. Il est arbitré par l'Organisation mondiale du commerce, qui motive ses avis sur des critères de liberté de la concurrence et de la circulation des marchandises, selon une démarche qui prend le contre-pied du principe de précaution : les États qui souhaitent s'opposer à l'importation d'une marchandise doivent fournir des preuves scientifiques de sa dangerosité. Dans le cas des OGM, aucune donnée ne permet aujourd'hui un tel recours et seule la ratification du protocole sur la biosécurité peut donner aux pays qui le souhaitent des arguments pour fermer leurs frontières aux aliments transgéniques. Depuis le 11 septembre 2003, ce protocole est donc applicable, bien que les États-Unis ne l'aient toujours pas ratifié, et les prochains mois permettront d'observer de quelle manière il est appliqué dans la pratique.
À ce titre, certains pays d'Afrique australe qui avaient refusé en 2002 l'aide alimentaire américaine (principalement composée d'OGM) alors qu'ils étaient confrontés à une sérieuse famine, font avec le recul figure de précurseurs.

Philippe Dorison le 10/10/2003