Les directions de recherche

Connue depuis près d'un siècle, la maladie d'Alzheimer reste incurable et continue de toucher des centaines de milliers de personnes en France. Après les espoirs, provisoirement déçus, d'un traitement de type vaccinal, vers quelles directions de recherche s'orientent les scientifiques ?

Par Philippe Dorison, le 25/09/2005

Deux approches bien distinctes, mais pas incompatibles

La maladie d'Alzheimer se caractérise par des mécanismes très complexes, qui mettent en jeu toute une cascade de phénomènes. Les neurobiologistes qui cherchent à décrypter son fonctionnement ont mis en évidence deux types de lésions produites par la maladie dans le cerveau :

Les marques de la maladie d'Alzheimer

- la “dégénérescence neuro-fibrillaire“ qui se caractérise par une agrégation anormale de protéines bien spécifiques (les protéines tau) dans les neurones, ce qui provoque leur mort ;

- la formation de plaques, dites amyloïdes, à la surface du cerveau. La présence de ces plaques est associée aux symptômes de la maladie, mais les mécanismes d'une possible relation de cause à effet ne sont pas encore élucidés.

Face à cette double réalité, la plupart des chercheurs ont choisi leur camp : les uns ont décidé d'étudier les plaques amyloïdes, les autres se consacrent aux protéines tau. Mais tous sont bien conscients que le jour où une explication complète des mécanismes de la maladie sera possible, elle devra être capable d'en élucider tous les aspects et de relier ces deux approches.

Qu’est-ce que la maladie d’Alzheimer ?

Les plaques amyloïdes de la maladie d'Alzheimer

Décrite pour la première fois en 1907 par le docteur Aloïs Alzheimer, la maladie qui porte son nom est une affection neurodégénérative qui touche les neurones du système nerveux central. Des lésions caractéristiques apparaissent dans le cerveau des patients : les dégénérescences neurofibrillaires, produites par l'accumulation de protéines Tau à l'intérieur des neurones, et les plaques séniles, qui correspondent à des dépôts toxiques extracellulaires de protéines ß-amyloïdes (peptide A-ß ).

L’apparition de ces lésions est suivie de la mort des neurones. S’ensuit un vieillissement pathologique du cerveau, qui se traduit par une détérioration inéluctable des fonctions cognitives. La maladie débute en général par des troubles de la mémoire, une difficulté à se repérer dans l’espace et le temps et à comprendre le langage. Puis apparaissent des troubles de l’humeur, des comportements inadaptés, une perte progressive des capacités d’autonomie. L’évolution de la maladie conduit à la démence puis, dans un délai très variable (en moyenne dix ans), à la mort.

Quelques dates qui ont marqué la recherche :

1907  : Aloïs Alzheimer découvre des lésions caractéristiques (plaques séniles et dégénérescence neurofibrillaire) chez certains déments.

1963 : La dégénérescence neurofibrillaire est constituée de protéines Tau.

1984 : Le constituant principal des plaques séniles est un peptide, nommé A-ß (amyloïde bêta).

1987 : Le peptide A-ß provient de la protéine APP (amyloid protein precursor).

1987 : Localisation du gène APP sur le chromosome 21.

1991 : Des mutations sur le gène APP sont directement responsables de formes familiales de la maladie, qui apparaissent chez des patients plus jeunes.

1996 : Découverte d'un gène sur le chromosome 14, dont des mutations sont directement responsables de formes familiales de la maladie, qui apparaissent chez des patients plus jeunes.

1999 : Une forme de vaccination (injection de peptide A-ß synthétique) fait disparaître les plaques amyloïdes chez des souris transgéniques.

2001 : Premiers essais thérapeutiques de ce traitement chez l'homme.

Les plaques amyloïdes et la piste d'un “vaccin“

Comment en est-on arrivé à l’idée d’un vaccin ?

De nombreux chercheurs en neurobiologie s'intéressent aux plaques amyloïdes, partant du principe que leur disparition entraînerait la guérison de la maladie. Une des pistes de recherche la plus développée dans ce domaine est de créer, grâce à un vaccin, une réaction immunitaire dirigée contre le peptide A-ß, retrouvé dans les plaques amyloïdes et suspecté de jouer un rôle dans les accumulations.

Dès juillet 2000, un vaccin, nommé AN-1792, avait été testé sur des souris transgéniques avec des résultats prometteurs. Mais les essais sur l'homme, démarrés en octobre 2001, ont du être interrompu en janvier 2002 : plusieurs réactions indésirables graves (inflammations cérébrales) étaient apparues.

Une nouvelle piste thérapeutique, présentée en avril 2005 lors du congrès annuel de l'Académie américaine de neurologie, repose sur l'utilisation d'immunoglobulines intraveineuses (IgIV), un mélange d'anticorps déjà utilisé pour un certain nombre de maladies, notamment des désordres immunitaires chez les enfants. Or parmi ces anticorps, certains semblent dirigés contre le peptide A-ß. Un essai clinique, réalisé à l'Université de Cornell (New York) sur huit patients, s'est révélé prometteur en abaissant de 45 % en moyenne le taux de peptide A-ß. Mais ces résultats préliminaires doivent encore être confirmés sur des effectifs plus importants.

Le feuilleton du “vaccin“ en détails

Juillet 2000 : première annonce

En juillet 2000, lors d'un congrès mondial sur la maladie d'Alzheimer à Washington, le Dr Dale Schenk de la société Elan Pharmaceuticals annonce la mise au point du "vaccin" AN-1792. Son équipe est parvenue à immuniser des souris transgéniques par injection de peptide A-ß : quelques semaines après l'injection, ils ont observé une importante diminution des plaques séniles dans le cerveau des souris vaccinées et une nette amélioration de leurs performances cognitives (orientation dans l'espace en particulier). " Les essais réalisés sur une centaine de sujets normaux ont montré que ce traitement était bien toléré", affirme Dale Schenk.

Une deuxième étude de sécurité a donc été mise en route, chez l'homme malade cette fois. " Car c'est aux malades que s'adresse le vaccin", précise le Pr Bruno Dubois de la Pitié-Salpêtrière à Paris. "Il est en effet destiné à faire régresser les symptômes de la maladie et non pas à en prévenir l'apparition. "

Janvier 2002 : essais cliniques interrompus en Europe

Plusieurs hôpitaux français ont participé à un vaste programme lancé à l'échelle internationale pour tester ce traitement. Les volontaires étaient très nombreux. Mais des réactions inflammatoires cérébrales sévères (méningites) sont apparues chez un certain nombre des patients. Les causes de ces réactions n'étant pas parfaitement expliquées, le protocole d'essais a été interrompu en janvier 2002, en attendant de comprendre les raisons de ces accidents.

Octobre 2002 : nouveaux résultats

Une étude réalisée à Zürich sur 24 patients ayant participé à l'essai clinique montre que ceux-ci ont effectivement produit des anticorps dirigés sélectivement contre les plaques amyloïdes incriminées, ce qui tend à prouver que le « vaccin » atteint ses objectifs.

Par ailleurs, une étude menée au Canada sur des souris montre que certains anticorps dirigés contre une seule portion du peptide A-ß peuvent l'éliminer, sans déclencher de réaction inflammatoire. Il serait donc possible d'affiner la démarche en produisant des anticorps plus ciblés, dénués d'effets néfastes. 

 Ces deux résultats fournissent donc des arguments qui légitiment le principe du « vaccin » et suggèrent des directions de recherche pour améliorer son efficacité.

La piste des protéines tau

En l'absence de maladie, les protéines tau jouent un rôle essentiel dans le transport de divers matériaux biologiques vers l'extrémité des neurones. Elles servent à assurer la solidité des “rails“ (les microtubules) qui véhiculent ces matériaux.

Ces protéines sont synthétisées par un gène situé sur le chromosome 17 et elles existent en 6 “variantes“ ou isoformes. Au cours de la maladie d'Alzheimer, certaines formes de ces protéines s'agrègent et donnent des fibrilles, qui constituent une des signatures de la maladie.

On peut alors observer sur des immuno-empreintes les traces de ces protéines bien spécifiques, et les proportions dans lesquelles les diverses formes sont présentes fournissent un indicateur de la maladie.

André Delacourte est neurobiologiste et directeur de recherche à l'Inserm. Il dirige l'unité U422, nommée VCDN, (vieillissement cérébral et dégénérescence neuronale).

Il a choisi de travailler sur les protéines tau, notamment dans l'espoir de mettre au point un système de diagnostic précoce.

Nous l'avons rencontré dans son laboratoire, à Lille.

Quelques pistes thérapeutiques

À ce jour, il n'existe pas plus de traitement préventif que curatif contre la maladie d'Alzheimer. Des médicaments permettent toutefois de lutter contre certains de ses symptômes.

"On a découvert que certains malades présentent des taux réduits d'acétylcholine, une substance intervenant dans le processus de la mémoire, indique Charles Duyckaerts, du laboratoire de neuropathologie de l'hôpital de la Pitié-Salpetrière, à Paris. D'où l'idée d'utiliser des médicaments, comme la tacrine, capables d'inhiber l'enzyme responsable de la destruction de l'acétylcholine."

Mais l'idéal serait de trouver des traitements susceptibles de ralentir, voire de prévenir l'apparition des lésions cérébrales caractéristiques de la maladie. Les recherches se concentrent sur divers facteurs qui semblent influencer le cours de la maladie. Ainsi, des travaux menés en 2005 en Australie ont mis en évidence le rôle important de l'acide quinolinique dans les lésions cérébrales et la progression de la maladie. Selon les chercheurs, plusieurs médicaments pourraient bloquer le chemin d'accès de cette toxine, ralentissant de fait la maladie.

Autre exemple, celui des œstrogènes. Des études montrent que les femmes ménopausées qui suivent un traitement à base de ce type d'hormones risquent moins de développer la maladie d'Alzheimer.

Le rôle potentiel des hormones a aussi été pointé dans une étude américaine publiée dans la revue Neurology fin janvier 2004. Réalisée à partir de données concernant 574 hommes suivis dans le cadre d'une étude longitudinale sur le vieillissement (démarrée en 1958), elle fait apparaître que chez 19 patients de ce groupe, une importante chute du taux de testostérone dans l'organisme a précédé l'apparition de la maladie, avec parfois dix ans d'avance. Les chercheurs ont évalué qu'une augmentation de 50% du taux de testostérone pourrait réduire le risque de développer la maladie d'Alzheimer d'environ 26%. Toutefois, avant de disposer de résultats complémentaires, les médecins déconseillent la prise additionnelle de testostérone, qui pourrait avoir d'importants effets secondaires (risques de cancer de la prostate et de problèmes cardiaques).

Selon une expérience américaine, présentée en juin 2005 lors de la conférence internationale Prevention of Dementia, l'insuline pourrait aussi jouer un rôle protecteur sur la dégénérescence neuronale. Mais il ne s'agit encore que de résultats préliminaires.

Enfin, les anti-inflammatoires pourraient également avoir un rôle à jouer : "On a remarqué la présence de composés inflammatoires dans les plaques séniles, explique Charles Duyckaerts. Par ailleurs, les personnes prenant des anti-inflammatoires à long terme sont moins sujettes à la maladie que les autres. Les anti-inflammatoires pourraient donc réduire le risque, retarder ou même empêcher le développement de la maladie." Des recherches sont en cour

Philippe Dorison le 25/09/2005