Polémique : une chambre secrète dans la grande pyramide ?

Selon deux égyptologues amateurs, la Grande Pyramide pourrait cacher une quatrième chambre renfermant, peut-être, la sépulture du pharaon Khéops. Reste à vérifier cette hypothèse sur le terrain, ce que refusent pour l’instant les autorités égyptiennes.

Par Olivier Boulanger, le 04/10/2004

Au congrès d'égyptologie...

Gilles Dormion et Jean-Yves Verd'hurt

Grenoble accueillait, du 6 au 12 septembre dernier, le IX° congrès international des égyptologues. L'occasion pour des centaines de chercheurs venant du monde entier d'échanger leurs idées, de présenter leurs derniers travaux… C'est pourtant une conférence réalisée par des « non-professionnels » qui fit le plus de bruit.

Au troisième jour de la manifestation, l'architecte Gilles Dormion et son compagnon de terrain Jean-Yves Verd'hurt présentaient en effet le résultat de plusieurs années de travail sur la Grande Pyramide de Gizeh. Or, l'une des conclusions à laquelle les deux hommes sont parvenus, est qu'il pourrait exister dans l'édifice, une chambre inviolée renfermant peut-être la dépouille du roi Khéops ! Cette thèse, objet d'un livre de 300 pages – La chambre de Chéops –, agite actuellement le monde de l'égyptologie.

Une enquête architecturale

« La chambre de Chéops »

Gilles Dormion et Jean-Yves Verd'hurt étudient les pyramides depuis près de dix-sept ans. Mais à la différence des égyptologues professionnels, les deux hommes s'attachent essentiellement à l'aspect structurel des monuments.

Leur méthode, que l'on pourrait qualifier « d'enquête architecturale », consiste ainsi à étudier la structure de l'édifice dans ses moindres détails et, surtout, à relever chaque anomalie : alignement inhabituel des joints ou des dallages, fissures, brèches… autant d'indices trahissant la structure interne du bâtiment.

La méthode a déjà fait ses preuves puisque, en 2000, Gilles Dormion et son compagnon ont mis au jour deux « chambres de décharge » dans la pyramide de Meïdoum.

Trois chambres vides

La grande pyramide de Khéops

La pyramide de Khéops, la dernière des Sept merveilles du monde, est unique en son genre. Par sa taille d'abord, puisque, avec ses 137 m de hauteur, c'est la plus haute pyramide jamais construite. Mais aussi parce qu'elle est la seule à posséder trois chambres distinctes.

La première, qui se situe sous la pyramide, aurait pu constituer une chambre funéraire royale, mais pour des raisons que l'on ignore, elle n'a jamais été terminée.

Plan de la Grande Pyramide

La seconde, appelée « chambre de la Reine » (bien que l’épouse du roi Khéops n’y repose pas), se situe au milieu de l’édifice. C’est une pièce relativement petite – trop petite pour un pharaon, selon Gilles Dormion –, et personne ne connaît sa fonction réelle.

C’est donc dans la dernière, située au niveau supérieur, que devrait reposer la momie de Khéops. La « chambre du Roi » est cependant vide. A-t-elle été pillée ? Gilles Dormion ne croit pas à cette thèse. Selon lui, plusieurs indices montrent que, lors de la construction, le plafond de la chambre menaçait de s’effondrer et, qu’en conséquence, les bâtisseurs de l’époque n’ont pas pris le risque d’y entreposer la dépouille de leur souverain. Mais alors, où se trouve Khéops ?

Une étrange niche

Une étrange niche...

C’est en réalité dans la chambre de la Reine que Gilles Dormion et Jean-Yves Verd’hurt ont relevé les indices les plus déterminants.

La présence d’une niche dans la façade Est de la pièce est troublante. Certains égyptologues affirment qu’elle devait abriter une statue. « C’est en effet l’explication la plus simple […], note Gilles Dormion. Il faut cependant prendre acte qu’elle ne repose sur aucun élément tangible et n’est proposée que par défaut. »

En s’approchant de cette niche, on peut constater que des pilleurs y ont creusé un passage d’une quinzaine de mètres de profondeur. Vraisemblablement en vain puisque celui-ci ne mène nulle part. Cependant, en y pénétrant, Gilles Dormion a pu constater que, au regard de la maçonnerie, ce boyau devait être à l’origine un « couloir de service » construit avec la pyramide, long de cinq coudées (2,62 m) et finissant en cul-de-sac.

En étudiant le sol de plus près, Gilles Dormion a pu trouver un trou rectangulaire (de 10 x 12 cm de côté), dirigé vers le bas et fermé par un bouchon de calcaire. Un trou comme ceux utilisés pour faire passer les cordes d’une herse… Or, qui dit « herse », dit « couloir ». Et un couloir doit forcément mener quelque part ! On sait, en particulier, que les chambres funéraires des pharaons, comme la « chambre du Roi », sont précédées par un tel système.

Une ''structure'' sous la chambre de la Reine ?

Sondage géoradar effectué dans la chambre de la Reine

Gilles Dormion relève un second indice : le dallage de la chambre de la Reine semble avoir été « remanié ». En l’étudiant de manière approfondie, l’architecte est ainsi arrivé à la conclusion que les dalles ont été démontées afin d’accéder au niveau inférieur : il y aurait donc quelque chose sous la chambre de la Reine...

Pour vérifier son hypothèse, Gilles Dormion a été autorisé, en septembre 2000, à sonder le sol de la pièce à l’aide d’un géoradar. Les résultats ne se sont pas fait attendre : il existe vraisemblablement à 3,50 m sous la chambre de la Reine une structure inconnue de 2 coudées de large (environ 1 m). La chambre de Khéops se situe-t-elle au bout ?

« À ce stade, nous pouvons dire qu’il existe une très forte probabilité qu’il y ait un couloir sous la chambre de la Reine, soutient Gilles Dormion. Mais tant que nous n’aurons pas vérifié visuellement, nous ne pourrons pas être sûr à 100% ».

La chambre hypothétique, selon Gilles Dormion, se situerait sous la chambre de la Reine et à l'ouest.

Une première intervention telle que l’introduction d’un endoscope dans un trou de 15 mm de diamètre préalablement foré dans le sol de la chambre de la Reine permettrait de savoir s’il existe du granit à 3,5 m de profondeur. Cette roche est en effet utilisée pour la construction des plafonds (le reste de la Pyramide est en calcaire). Mais Zahi Hawass, secrétaire général du Conseil Suprême des Antiquités Egyptiennes, seul habilité à autoriser une fouille, ne l’entend pas de cette oreille…

« Amateurs ! »

Zahi Hawass, Secrétaire général du Conseil suprême des antiquités égyptiennes...

« Ce sont des amateurs, pas des scientifiques, fulmine Zahi Hawass qui était présent au Congrès d’égyptologie de Grenoble. J’ai plus de trois cents dossiers comme le leur sur mon bureau. Je ne peux pas permettre qu’on creuse ainsi dans la Grande Pyramide sur de simples théories ! »

Gilles Dormion et Jean-Yves Verd’hurt ne s’en cachent pas : ils ne sont pas égyptologues. Mais peuvent-ils pour autant être considérés comme des amateurs ? L'architecte a établi les meilleurs plans de la Grande Pyramide. Il est également à l’origine du système de ventilation qui équipe actuellement le monument. Par ailleurs, sa méthode d’étude ne lui a-t-elle pas permis de mettre au jour deux chambres dans la pyramide de Meïdoum en 2000 ?

Comment envisagez-vous la suite de votre étude ? Gilles Dormion...

Les deux hommes ont d'ailleurs le soutien de plusieurs égyptologues de renom, dont Nicolas Grimal, professeur au Collège de France et directeur honoraire de l’Institut français d’archéologie orientale, qui n’a pas hésité à préfacer La chambre de Chéops.

C’est d’ailleurs grâce à lui, et au nom de son institution, qu’une demande officielle de fouilles a été formulée auprès de la direction des Antiquités Égyptiennes. Zahi Hawass l’a refusée. Michel Vallogia, égyptologue à l’Université de Genève, a alors réitéré cette demande. Refusée à son tour.

« Si Nicolas Grimal et Michel Vallogia sont bien des scientifiques, ce ne sont pas des spécialistes de la Grande Pyramide, se justifie Zahi Hawass. Il n’existe que trois spécialistes de la pyramide de Khéops : l’Allemand Stadelman, l’Américain Lehner et moi-même. »

Qu'espérez-vous obtenir avec la publication de “La chambre de Chéops“ ? Réponse de Gilles Dormion...

Par la publication de son livre, et par sa présence au Congrès d’égyptologie, nul doute que Gilles Dormion espérait faire connaître un peu mieux sa théorie et débloquer ainsi la situation. Mais après les dernières déclarations du secrétaire général des Antiquités Egyptiennes, l’affaire semble véritablement dans l’impasse.

La communauté scientifique partagée

Que pense la communauté scientifique de la thèse de Gilles Dormion ? De nombreux égyptologues interrogés lors du congrès, ont exprimé leur scepticisme. Cependant, aucun d’entre eux n’avait lu « La chambre de Chéops » (à leur décharge, l’ouvrage n’est paru que quelques jours avant le congrès).

Alors pourquoi une telle méfiance ? Vraisemblablement parce que l’égyptologie a toujours eu le don d’attirer des amateurs prêts à prouver par n’importe quel moyen les théories les plus saugrenues. Gilles Dormion n’est pourtant pas de ceux-là, comme le souligne Nicolas Grimal : « Il ne cherche pas à vérifier une théorie. Il se contente d’observer, de relever et d’analyser. […] L’hypothèse architecturale qu’il présente est née de cette patiente et attentive observation, sans idée préconçue. »

Il est également fort probable que les scientifiques voient d’un très mauvais œil la brouille qui s’est installée entre Zahi Hawass et Gilles Dormion. Malgré certains propos rassurants du Secrétaire général du Conseil suprême des antiquités égyptiennes, beaucoup craignent que les autorisations de fouilles soient désormais plus difficiles à obtenir.

Olivier Boulanger le 04/10/2004