Touchez... et laissez-vous influencer !

Expériences à l'appui, une équipe américaine montre comment le sens du toucher est susceptible d'influencer, à notre insu, nos jugements et nos décisions. Un phénomène qui s'expliquerait par la façon dont nous apprenons à nous représenter des concepts abstraits.

Par Viviane Thivent, le 08/07/2010

Des jeux de mots et de mains

Le puzzle rugueux utilisé dans l'une des expériences

Et si les mains ne servaient pas seulement à manipuler l'environnement ? Si elles avaient aussi le pouvoir d'influencer les esprits ? C'est en tout cas ce que suggèrent trois Américains issus de trois institutions de poids : le MIT, Yale et Cambridge (J. Ackerman et al. Science, 25 juin 2010). À l'origine de leurs travaux, un constat très simple. Celui que le langage regorge d'expressions qui empruntent au vocabulaire du toucher pour décrire des phénomènes ou des impressions abstraites : il est «lourd», «mou» du bulbe, «dur» de la feuille ou en affaires ; elle «porte le poids du monde sur ses épaules», a un savoir «pointu» ou elle est à «prendre avec des pincettes». Des métaphores courantes. Mais ces dernières relèvent-elles d'une simple façon de parler ou trahissent-elles un lien plus profond entre le sens du toucher et notre façon d'appréhender le monde ?

C'est pour répondre à cette épineuse question que nos Américains ont décidé de faire passer à des dizaines de passants des tests alambiqués. Par exemple, ils leur ont demandé de jauger le sérieux d'une candidature pour un poste vacant à partir d'un curriculum vitae posé sur un porte-bloc. Un détail... qui n'en est pas un. Car, contrairement au CV, le support, lui, n'était pas toujours le même. Selon les cas, il pesait 300 g ou 2 kg. Une différence de poids qui a influencé le jugement des sujets, la candidature étant jugée plus sérieuse si elle était examinée sur le support lourd.

Toucher sous influence

Et ce n'est pas tout. Dans une autre expérience, les chercheurs ont demandé aux sujets de reconstituer un puzzle, lisse ou rugueux, puis de jouer au jeu de l'ultimatum, un test classique visant à estimer le degré de coopération des individus. Les sujets ont donc reçu 10 tickets de loterie à partager à leur guise avec un autre joueur. Si ce dernier acceptait le partage, les billets étaient effectivement distribués aux deux joueurs. Mais s'il refusait, les billets étaient tout bonnement perdus. Les résultats montrent que les individus ayant recomposé le puzzle rugueux proposent davantage de billets de loterie que les autres, comme s'ils cherchaient à compenser la rudesse des choses.

Autre exemple, les chercheurs ont installé les sujets sur une chaise bien dure ou dans un fauteuil des plus moelleux. Suite à quoi ils leur ont demandé de se lancer dans une petite négociation. Résultat : les individus assis sur la chaise en bois se sont montrés plus durs en affaire, rechignant à faire varier les prix. À l'instar de leur chaise, ils sont devenus rigides.

Du concret vers l'abstrait

Via six expériences de ce type, les chercheurs ont montré que le poids, la texture et la dureté des objets pouvaient influencer aussi bien les impressions que les décisions des individus. Un fait qui serait lié à la façon dont, enfants, nous apprenons à appréhender le monde. Des études antérieures avaient en effet déjà montré que les aires cérébrales d'ordinaire dédiées au toucher – le premier des sens à se mettre en place – étaient aussi utilisées pour se représenter des concepts abstraits. Ce qui est nouveau, et surprenant, c'est que la connexion soit active, le toucher permettant d'influencer nos jugements ou nos émotions. Un fait dont il vaut mieux avoir conscience et qui, selon les auteurs de l'étude, pourrait conduire à la mise en place de nouvelles stratégies de manipulations sociales.

Viviane Thivent le 08/07/2010