Spécial prix Nobel 2010

À l'honneur cette année, la fécondation in vitro pour la médecine, le graphène pour la physique et de nouveaux types de réactions chimiques…

Par Cécile Michaut, le 08/10/2010

Nobel de médecine : la fécondation in vitro à l’honneur

Le Comité Nobel a décerné au Britannique Robert Edwards le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur la fécondation in vitro, qui ont abouti à la naissance de Louise Brown en 1978.

Robert G. Edwards, en compagnie de Louise Brown, entourée de son fils et sa mère

Lutter contre l'infertilité

Des millions de parents sont directement concernés par le prix Nobel attribué à Robert Edwards le 4 octobre 2010. Ce Britannique de 85 ans est en effet le « père » de la fécondation in vitro (FIV), qui est à l'origine d'environ 4 millions de naissances dans le monde. Le premier « bébé-éprouvette », Louise Brown, est née le 25 juillet 1978 et est aujourd'hui elle-même maman d'un garçon de trois ans, conçu naturellement. Quatre ans plus tard, le 24 février 1982, le même exploit est réalisé par une équipe française avec la naissance d'Amandine.

Des lapins aux humains

Entretien avec Pierre Jouannet :

 

<div class="alt"><a target="_blank" title="Hommage au prix Nobel de m&eacute;decine, Robert Edwards" href="http://www.universcience-vod.fr/media/2781/hommage-au-prix-nobel-de-medecine--robert-edwards.html">Hommage au prix Nobel de m&eacute;decine, Robert Edwards<br /> <img alt="Hommage au prix Nobel de m&eacute;decine, Robert Edwards" border="0" src="../../../../../../../video.universcience.tv/1/20101007-092414/thumbnail_1.jpg" /></a><br /> <p>Apr&egrave;s la remise du <a href="http://www.universcience-vod.fr//index.php/tag/prix-nobel.html">Prix Nobel</a> de m&eacute;decine au britannique Robert Edwards, pionnier de la f&eacute;condation <em>in vitro</em>, nous recevons Pierre Jouannet, l'un des sp&eacute;cialistes fran&ccedil;ais de l' <a href="http://www.universcience-vod.fr//index.php/tag/assistance-medicale-a-la-procreation.html">assistance m&eacute;dicale &agrave; la procr&eacute;ation</a> .</p> <p>&nbsp;</p> <p>Interview : Olivier Boulanger</p> <p>&nbsp;</p> </div>

Lorsque Robert Edwards s'intéresse à la fécondation dans les années 1950, les chercheurs savent déjà féconder des ovocytes de lapine en éprouvette. « Il s'est avéré que les ovocytes humains ont un cycle de vie très différent de ceux des lapins, explique le Comité Nobel. Edwards a fait plusieurs découvertes fondamentales. Il a clarifié la manière dont les ovocytes humains se développent, comment les différentes hormones régulent leur maturation et à quel moment ils sont sensibles à la fécondation par le sperme. Il a également déterminé à quelles conditions le sperme était activé et avait la capacité de féconder l'ovocyte. » En 1969, premier succès : un ovocyte humain est fécondé au laboratoire. Restait cependant un problème majeur : l'ovocyte fécondé arrêtait son développement après s'être divisé une seule fois. Pour Edwards, si les ovocytes pouvaient subir une maturation dans les ovaires avant d'être prélevés, la fécondation in vitro fonctionnerait mieux. C'est là qu'intervient le gynécologue britannique Patrick Stepoe, co-découvreur de la FIV, mais mort trop tôt (en 1988) pour recevoir le Nobel. C'est lui qui a su prélever les ovocytes dans les ovaires. Les deux chercheurs ont ensuite pu déterminer quel était le meilleur moment pour féconder l'ovocyte et parvenir à un embryon. La naissance de Louise Brown devenait enfin possible.

Des questions éthiques

Si la fécondation in vitro a fait le bonheur de millions de parents infertiles – et n'est plus aussi contestée qu'à ses débuts –, elle n'en a pas moins ouvert le champ à de nombreuses questions éthiques : élargissement de l'assistance médicale à la procréation aux femmes célibataires ou aux couples homosexuels, légalisation de la gestation pour autrui, levée de l'anonymat du don de gamètes... Des questions qui sont actuellement débattues en France dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique. Le projet de loi du gouvernement ne propose pas, pour l'heure, de revenir sur l'interdiction des recherches sur l'embryon, en dehors du cadre dérogatoire actuel. Une position dénoncée par certains spécialistes de la reproduction humaine qui affirment que sans ce type de recherches Robert Edwards n'aurait pu obtenir le prix Nobel de médecine.

Nobel de physique : un matériau révolutionnaire

Konstantin Novoselov

Deux chercheurs d'origine russe ont été récompensés pour leurs travaux sur le graphène, un matériau composé uniquement de carbone, aux propriétés électroniques remarquables.

Pour une fois, ce ne sont pas d'anciennes recherches qui ont été couronnées par le comité Nobel, mais des travaux de physique récents. Le comité a récompensé Andre Geim et Konstantin Novoselov, de l'université de Manchester en Grande-Bretagne, âgés respectivement de 51 et 36 ans, pour « leurs expériences révolutionnaires sur un matériau bidimensionnel, le graphène. Ils ont été les premiers à isoler, identifier et caractériser cette couche unique d'atomes de carbone. Leur article publié dans la revue Science en octobre 2004 a déclenché une activité scientifique intense dans ce domaine ». De fait, le graphène cumule beaucoup de qualités : il est extrêmement résistant, c'est un très bon conducteur thermique, et surtout ses propriétés électriques le rendent très prometteur pour l'électronique.
 

Andre Geim

Du simple Scotch

Bien que le graphène soit un matériau connu depuis longtemps, il n'avait jamais été isolé ni caractérisé. « La simplicité de la méthode mise au point par Geim et Novoselov pour isoler une couche unique d'atomes de carbone a fait progresser les recherches très vite», s'enthousiasme Annick Loiseau, chercheuse à l'Onera. La méthode de fabrication du graphène de Geim et Novoselov utilise un simple morceau de Scotch, que l'on applique sur du graphite très pur. Une partie du graphite se colle au ruban, mais elle comporte un grand nombre de couches. Il faut alors replier le Scotch plusieurs fois sur lui-même, pour arracher à chaque fois une partie du graphite. Reste ensuite à dissoudre l'ensemble et à repérer au microscope les zones ne contenant qu'une couche de graphène.

Cependant, cette méthode « rustique » ne sera pas celle utilisée pour les applications : les morceaux de graphène ainsi obtenus sont trop petits. L'équipe de Walter de Heer au Georgia Institute of Technology (Georgia Tech), aux États-Unis, a mis au point une autre méthode pour obtenir du graphène. Un cristal de carbure de silicium (un composé formé de carbone et de silicium) est chauffé à 1300°C dans un four sous vide. Il se décompose, le silicium s'évapore, et il reste le carbone, sous forme de graphène. « Cette technique, permet d'obtenir du graphène de très grande qualité et sur de grandes surfaces », explique Claire Berger, chercheuse à Atlanta au Georgia Tech et à l'Institut Néel – CNRS à Grenoble.

Diagramme montrant des nanotubes faits à partir de feuilles de graphène

Applications multiples

Les applications les plus importantes du graphène concernent la micro-électronique, car les électrons s'y déplacent bien plus facilement que dans n'importe quel autre matériau. Autre avantage, le graphène peut facilement être « dopé » (on change ses propriétés électroniques), il est inerte chimiquement, résistant mécaniquement. Aux États-Unis, des industriels comme IBM et Intel investissent déjà des millions de dollars dans ce matériau qui pourrait un jour remplacer le silicium. L'équipe du Georgia Tech a récemment annoncé avoir produit 10 000 transistors sur une surface de graphène. « Les applications concerneront d'abord l'électronique à très haute valeur ajoutée, d'ici cinq à dix ans, prédit Claire Berger. Pour les applications de masse, ce sera plus long. » Le fait que le graphène soit transparent ouvre aussi la voie à des applications telles que des écrans tactiles.

Nobel de chimie 2010 : des « marieurs » de molécules

Ei-ichi Negishi

Lier des carbones

C'est de la chimie pure et dure qui a été récompensée par le prix Nobel 2010. De celle, austère, qui se fait « à la paillasse » pour fabriquer des molécules toujours plus complexes, notamment pour la médecine. L'Américain Richard Heck et les Japonais Ei-ichi Negishi et Akira Suzuki ont été récompensés pour « le développement de méthodes de couplage croisé catalysé par palladium ». Derrière cette expression barbare se cachent des techniques pour assembler deux atomes de carbone et former une nouvelle molécule carbonée à partir de deux plus petites. Une réaction extrêmement utile, auparavant très complexe. « Le carbone est stable et les atomes de carbone réagissent difficilement les uns avec les autres », rappelle le comité Nobel.

Akira Suzuki

Réactions universelles

Heck, Negishi et Suzuki ont ainsi mis entre les mains des chimistes de nouveaux outils pratiques et polyvalents, aujourd'hui utilisés dans la plupart des laboratoires de chimie organique (voir La chimie de la vie). « Il est rare qu'on puisse élaborer une stratégie de synthèse en chimie médicinale sans ce type de réaction, témoigne Sylvain Routier, professeur à l'Institut de chimie organique et analytique à l'université d'Orléans. « Ces couplages entre deux carbones sont des réactions universelles permettant de construire plus facilement des molécules carbonées, simples ou complexes, renchérit Olivier Baudoin, professeur à l'Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires à Villeurbanne. Ces trois chimistes ont ouvert des décennies de recherche sur les liaisons carbonées, et ça continue encore aujourd'hui. »

Richard Heck

Alexandre Bouillon, président-directeur général et fondateur de la PME française Borochem, est encore plus enthousiaste. Normal, puisque les travaux des trois Nobel sont à l'origine de sa société. « Nous concevons et fabriquons des réactifs prêts à être utilisés en "couplage croisé catalysé par palladium", explique-t-il. Les travaux des trois Nobel ont révolutionné la chimie organique. Elle est devenue bien plus simple : il suffit de joindre deux molécules pour en obtenir une troisième. On est passé à une chimie de Lego ! » Tout juste s'il ne regrette pas les chimistes d'antan, qui avaient l'obligation d'être très astucieux.

Synthèse de médicaments

C'est surtout la chimie médicinale qui bénéficie de ces avancées. Le comité Nobel cite ainsi l'exemple de la synthèse du diazonamide A, une substance produite par un petit vertébré marin des Philippines, qui s'est révélée efficace contre le cancer du côlon lors d'expériences menées au laboratoire. Ou encore la dragmacidine F, tirée d'une éponge vivant sur les côtes italiennes, dont les premiers résultats contre les virus de l'herpès et du sida sont encourageants. Or, il est impossible de récupérer des quantités notables de ces produits à partir de ces animaux. Il est donc indispensable de les synthétiser au laboratoire si l'on souhaite les utiliser comme médicaments. Dans ces deux cas, les réactions de « couplage croisé » sont indispensables.

Cécile Michaut le 08/10/2010