Des personnes séropositives contrôlent le VIH

Une infime proportion de personnes séropositives pour le VIH résistent naturellement contre le virus. Plusieurs études sont menées pour comprendre cette protection naturelle.

Par Olivier Donnars, le 16/07/2010

Aucun traitement et pas malades

Olivier Lambotte, médecin dans le service des maladies infectieuses de l'hôpital Bicêtre

Presque quinze ans qu'ils vivent avec le VIH dans leur sang... ! Et pourtant, contrairement aux autres séropositifs, ils n'ont jamais pris un seul traitement antirétroviral pour combattre le virus, leur taux de cellules immunitaires T CD4 ne s'est jamais effondré et ils n'ont jamais progressé vers le stade sida. Car dans l'organisme de ces « contrôleurs du VIH », comme on les appelle, le virus ne se réplique pas et ne se propage pas. Au point que le VIH est quasi indétectable dans leur sang. Depuis 2006, l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) cherche à identifier ces rares « patients », au sens strict, qui se comptent en France au nombre de 86 (plus globalement, ils représentent moins de 0,5% des personnes infectées par le VIH). Ils ont été regroupés au sein d'une cohorte d'étude afin de mieux comprendre leur immunité naturelle et l'évolution de leur santé.

Pour expliquer l'origine de cette protection hors du commun, trois hypothèses sont pour le moment avancées : un virus défectueux, incapable de se propager ; un profil génétique particulier chez ces séropositifs qui les protège du VIH ; ou bien, un système immunitaire particulièrement efficace.

L’« éducation » des lymphocytes T

Avant de partir en guerre contre les antigènes étrangers, les lymphocytes T reçoivent une « éducation » particulière dans le thymus, organe situé au-dessus des poumons. Des cellules présentent aux jeunes recrues lymphocytes tous les antigènes – étrangers comme ceux de l'organisme – qu'ils pourront rencontrer durant leur mission. Les lymphocytes les plus aptes à identifier les antigènes étrangers sont bons pour le service ; les plus faibles sont automatiquement éliminés. Quant à ceux qui reconnaissent les antigènes de l'organisme, appelés antigènes du Soi, ils sont détruits. Si l'éducation est mal faite, ces lymphocytes vont attaquer l'organisme, conduisant à des maladies auto-immunes, comme le diabète de type 1 ou la maladie de Crohn.

Un profil génétique avantageux pour certains

Olivier Lambotte, médecin dans le service des maladies infectieuses de l'hôpital Bicêtre

Chez les « contrôleurs du VIH », la génétique et l'immunologie semblent effectivement jouer une partie commune. Environ 60% des « contrôleurs » expriment la molécule HLA-B57, une variante d'une protéine du système immunitaire impliquée dans « l'éducation » des lymphocytes. Or HLA-B57 est associée à des maladies auto-immunes dans lesquelles les lymphocytes T attaquent les protéines de l'organisme car ils ne le reconnaissent pas comme tel. Ce qui n'a pas manqué d'intriguer l'immunologiste Arup Chakraborty, du Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Cambridge, qui s'est fait la réflexion que ces deux observations pouvaient être reliées. Il a découvert que les lymphocytes T des « contrôleurs du VIH » porteurs de HLA-B57 reçoivent une éducation moins stricte*. Au lieu de reconnaître un seul antigène, leurs cellules T en identifient plusieurs, des antigènes propres à toutes les particules du VIH. Du coup, même si le virus mute, elles continuent de le reconnaître. Ce qui leur permet de garder le virus en permanence sous contrôle. Selon le chercheur, tout le monde possèderait ces cellules mais en petit nombre. Il pourrait donc être possible d'élaborer un vaccin qui les active sélectivement.

* A. Kosmrlj et al., Nature, doi:10.1038/nature08997

Un système immunitaire efficace

Virus du sida

Mais qu'en est-il des « contrôleurs » qui n'expriment pas HLA-B57 ? Pour les autres, seule l'immunité semble primer. À l'Institut Pasteur de Paris, l'équipe de Lisa Chakrabarti a dernièrement montré que chez les « contrôleurs du VIH », certains lymphocytes T CD4, les cellules au centre de toutes les réponses immunitaires, peuvent détecter de très faibles quantités du virus*. Même si le VIH est indétectable par des tests classiques, il en existe toujours quelques copies dans l'organisme. Or les cellules T CD4 découvertes sont très sensibles à d'infimes concentrations d'une certaine protéine du VIH : la protéine Gag.

Chez les « contrôleurs », le virus a donc à peine le temps de se répliquer qu'il est reconnu par ces cellules T CD4. Elles appellent alors à la rescousse des cellules tueuses, les lymphocytes T CD8, qui se chargent de décimer le virus avant qu'il ne se propage. Ces cellules T CD4 très sensibles maintiennent donc le système immunitaire dans un état d'alerte permanent. Cette forte sensibilité leur vient de récepteurs appelés TCR (T Cell Receptor) exprimés à leur surface, qui leur permettent de détecter un antigène viral spécifique. Les chercheurs espèrent donc identifier les TCR ayant la meilleure sensibilité pour la protéine Gag, même à très faible concentration. Avec l'idée par la suite de transférer ces TCR à des personnes infectées afin de voir si cela a, ou non, un effet protecteur.

* B. Vingert et al., Plos Pathogens, 26 février 2010, 6(2):e1000780

Plusieurs pistes encore à explorer

Lisa Chakrabarti, chercheuse à l'unité d’immunogénétique cellulaire de l'Institut Pasteur (Paris).

Il n'y aurait donc pas un mais plusieurs mécanismes expliquant l'immunité naturelle des « contrôleurs du VIH ». « Et d'autres pistes sont encore à explorer, indique Lisa Chakrabarti. Comme la piste des cellules Natural Killer, des cellules immunitaires qui ne sont pas éduquées comme les lymphocytes mais qui savent reconnaître les virus d'une autre façon. Ou encore, une moindre capacité des cellules T CD4 à être détruites par le VIH. Voire, des anticorps capables de piéger et de détruire les particules virales. C'est pour cela qu'il est important de continuer les études sur les « contrôleurs du VIH », de les recruter et de les convaincre d'y participer car leur immunité naturelle est une chance pour comprendre ces mécanismes et, un jour, mettre au point un vaccin thérapeutique pour des patients déjà infectés, voire un vaccin préventif. »

Olivier Donnars le 16/07/2010