Régénération animale : la fin d'un dogme

En étudiant la régénération d'une salamandre mexicaine, une équipe internationale vient de balayer l'idée, pourtant bien ancrée, que cette capacité primitive serait liée à l'activation de cellules pluripotentes.

Par Viviane Thivent, le 17/07/2009

Repousse de membres

L'axolotl, une salamandre qui peut régénérer ses membres.

Si vous perdez un bras, une jambe ou le bout du nez, vous n'aurez d'autre choix que de faire avec... ou plutôt sans. Sauf, bien sûr, si vous êtes un triton, une hydre, un ver de terre ou une salamandre. Là, pour peu que vous preniez votre mal en patience, vous finiriez par recouvrer la portion manquante de votre corps ; la réplique serait même si bien imitée qu'il vous serait difficile (mais pas impossible) de voir la différence. Le hic, c'est que vous êtes un homme, donc point de repousse possible pour vous, hormis celle des ongles, des cheveux ou des poils disgracieux. Et pour cause : à l'instar de tous les mammifères et de la grande majorité des vertébrés, vous êtes incapable de régénération. Cette capacité a disparu au cours de l'évolution.

Pourquoi certaines espèces se régénèrent-elles quand d'autres, comme la nôtre, se contentent de cicatriser ? Les premières bribes de réponses émergent au lendemain de la Première Guerre mondiale. Des études histologiques menées sur le triton et la salamandre axolotl montrent alors que la zone de repousse (ou blastème du grec blastos, le germe) est constituée d'un amas homogène de cellules. Des cellules apparemment identiques qui pourtant donnent naissance à tous les tissus nécessaires à la reconstitution du membre manquant (peau, nerf, os, muscle...), le propre des cellules pluripotentes. Mais d'où sortent ces cellules miracles ? A priori, pas de l'os. Dès les années 1920, on s'aperçoit en effet qu'un membre de salamandre désossé puis coupé en son milieu est encore capable de se régénérer. Alors, ces cellules viendraient-elles de la peau ? des nerfs ? des muscles situés à proximité de la zone du coupure de la moelle épinière ?

Sur la piste des origines

Pour tenter de répondre à cette question, des biologistes allemands et américains ont récemment mis sur pied une série d'expériences visant à identifier, une bonne fois pour toutes, l'origine de ces cellules pluripotentes (M. Kragl et al. Nature, 2 juillet 2009). Pour ce faire, ils ont marqué, à l'aide d'une protéine fluorescente appelée GFP, chacune des lignées cellulaires (peau, muscle, nerf) potentiellement impliquées dans le processus de régénération. En commençant par la peau. Les chercheurs ont greffé du derme fluorescent sur la patte avant d'une salamandre avant de couper le membre au milieu de la zone de greffe et d'observer la repousse.

Résultat : les cellules du derme qui ont été greffées participent bel et bien à la régénération mais elles ne fabriquent pas toutes les lignées cellulaires : seules les cellules cartilagineuses ou dermiques sont fluorescentes.
Idem pour les cellules cartilagineuses : elles participent à la régénération en donnant des cellules cartilagineuses et dermiques.
Les cellules musculaires ne donnent, quant à elles, que des cellules musculaires.
Et les cellules nerveuses, que des cellules nerveuses.

Changement de dogme

Ainsi, contrairement à ce qui était attendu, tous les types cellulaires situés à proximité de la zone d'amputation participent à la régénération, les cellules gardant en mémoire la lignée dont elles sont issues. « Ce point est particulièrement intéressant, ajoute Geneviève Rougon, directrice de l'Institut de biologie du développement à Marseille Luminy. Si l'on parvient à comprendre ce phénomène, on pourrait tenter de le reproduire en laboratoire, éventuellement sur des cellules de mammifères. Les retombées thérapeutiques pourraient alors être très importantes. »

La découverte germano-américaine mérite toutefois confirmation. Ce travail ayant été conduit sur des salamandres juvéniles, rien ne permet d'affirmer qu'un phénomène similaire se produit chez les adultes, encore moins chez des adultes appartenant à d'autres espèces. À suivre donc...

Viviane Thivent le 17/07/2009