Polémique autour de l’exploitation du gaz de schiste

Le 10 mai, un projet de loi contre l'exploitation du gaz et de l'huile de schiste sera examiné à l'Assemblée nationale. En cause, les dégâts environnementaux provoqués par l'extraction de ces hydrocarbures, notamment dans les nappes phréatiques.

Par Romain Lejeune, le 19/04/2011

Un film et des questions

Gasland, le film

Débats à l'Assemblée nationale, discussions au Parlement européen, manifestations dans le Larzac… Depuis plusieurs mois, le gaz et l'huile de schiste sont au cœur d'une polémique née aux États-Unis en 2009. Il y a deux ans, Josh Fox, citoyen américain originaire de Pennsylvanie, reçoit une lettre d'une compagnie de forage intéressée par son terrain de 39 hectares. La raison : son terrain renferme une très grande quantité de gaz de schiste.

A défaut d'accepter l'offre qui lui est proposée (près de 4000 euros par hectare), l'homme décide de parcourir les États-Unis à la rencontre de concitoyens concernés par cette procédure. Objectif : évaluer les conséquences de ces systèmes de forage sur l'environnement et les habitations situées à proximité des puits. Un an plus tard, Gasland, documentaire à charge de 47 minutes contre l'exploitation du gaz et de l'huile de schiste, sort sur les écrans et, avec lui, le réveil de nombreuses associations de lutte pour la sauvegarde de l'environnement.

Une exploitation nuisible pour l’environnement ?

L'exploitation du gaz de schiste

Actuellement, les États-Unis sont les premiers exploitants de gaz de schiste dans le monde. Il représente 12 % de la production locale de gaz contre 1 % en 2000. La raison de cet engouement ? Compenser l'épuisement des ressources en gaz conventionnel. Selon certains experts, les réserves mondiales de gaz de schiste seraient quatre fois plus importantes que les ressources en gaz conventionnel. Cependant, extraire du gaz de schiste impose de fracturer des roches situées à plusieurs centaines de mètres sous la terre.

Un procédé complexe qui implique le pompage de grandes quantités d'eau. Mélangée à du sable et des produits chimiques, le tout est alors envoyé à très haute pression depuis la surface via un puits de forage. Une fois la roche atteinte et fracturée, du gaz naturel s'échappe des fissures avant d'être remonté à la surface. Il est alors récupéré, stocké dans des bassins puis transféré vers des gazoducs.

« Ces méthodes conduisent à des catastrophes en termes de pollution des nappes phréatiques et de pollution des sols, dénonce Sylvain Trottier, chargé de communication pour Greenpeace France. De plus, le besoin en eau, indispensable pour ce type d'extraction, est colossal et vide les nappes phréatiques voisines ». « L'apport de l'eau est une vraie problématique, reconnaît la direction de la communication de Total. Des pistes de réflexion existent, notamment celle du transport de l'eau via des conduites souterraines plutôt que par des camions – comme c'est communément le cas aux Etats-Unis - afin de l'injecter via le puits de forage… Mais pour le moment, Total n'a pas foré sur son permis d'exploration de Montélimar. Dans l'hypothèse où notre compagnie en aurait un jour l'autorisation, le potentiel géologique, la faisabilité technique et les critères d'acceptabilité seront autant de conditions à remplir avant d'envisager une production. Et si tel est le cas, l'entreprise s'engage d'ores et déjà à publier la liste des produits chimiques utilisés pour la fracturation hydraulique ».

Ce qu’en dit la France

Carte des principaux sites supposés riches en gaz ou huile de schiste

Sur le territoire français, les réserves de gaz de schiste se trouvent principalement dans le sud de la France. En mars 2010, Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'écologie, accordait trois permis de recherches d'hydrocarbures sur une surface d'environ 10 000 km² pour des durées de 3 à 5 ans. Sept départements étaient alors concernés : l'Ardèche, la Drôme, le Vaucluse, le Gard, l'Hérault, l'Aveyron et la Lozère. Dans la région Ile-de-France, le département de la Seine-et-Marne avait déjà fait l'objet de délivrance de permis en 2008 et 2009 pour ses réserves en huile de schiste. Il y a un an, l'entreprise française Toreador Energy France était en première ligne sur ce dossier. En annonçant la création d'un partenariat avec la multinationale Hess Oil, la compagnie officialisait l'exploitation de cette huile de schiste sur une surface de 420 000 hectares.

Cependant, depuis la sortie du film Gasland, cette série d'accords passée quasi inaperçue fait l'objet de nombreuses contestations. Afin de calmer les esprits, Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, et Eric Besson, ministre de l'industrie, ont donc entrepris au début du mois de février de suspendre les travaux déjà entrepris sur le terrain, dans l'attente d'un rapport d'expertise qui doit être remis fin mai. Deux mois après cette décision, le Premier ministre François Fillon déclarait le 13 avril vouloir « tout remettre à plat » et « annuler les autorisations qui avaient déjà été données » à Total, Schuepbach Energy LLC, Toreador Energy France, Hess Oil France et Vermilion Rep, les cinq compagnies concernées par ces travaux.

Une série de compromis jugé insuffisante pour les principaux contestataires. Le 17 avril, 4000 personnes étaient réunies à Nant, sur le plateau du Larzac, pour demander l'abrogation des permis de recherches d'hydrocarbures non conventionnels et interdire leur exploitation en France. La balle est donc désormais dans le camp des élus. A partir du 10 mai, une proposition de loi déposée par le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Christian Jacob, « visant à abroger les permis exclusifs de recherches d'hydrocarbures non conventionnels et à interdire leur exploration et leur exploitation sur le territoire national » sera examinée par le Parlement. Autant dire que la France ne semble pas engagée sur la voie de l'exploitation minière du gaz de schiste… 


 

Remise du rapport d'étape

Très attendu, le rapport d'étape commandé par le ministère de l'Ecologie et celui de l'Industrie à propos des enjeux économiques, sociaux et environnementaux de l'exploitation des gaz non conventionnels en France a été remis le 21 avril. La mission d'inspection composée par le Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) préconise de poursuivre les recherches, estimant que les réserves en gaz et huile de schiste en France sont très importantes.

« Il serait dommageable, pour l'économie nationale et pour l'emploi, que notre pays aille jusqu'à s'interdire, sans pour autant préjuger des suites qu'il entend y donner, de disposer d'une évaluation approfondie de la richesse potentielle », indiquent les rapporteurs. Cependant, les auteurs conviennent que « des travaux de recherche et des tests d'exploration doivent être réalisés (…) assortis d'un encadrement strict ». Selon le rapport, plusieurs années d'expertise devraient permettre de prendre des décisions cohérentes « sur l'opportunité d'une exploitation de gaz et huiles de roche-mère en France ». Ce texte intervient huit jours après l'annulation souhaitée par le Premier ministre François Fillon des autorisations délivrées aux cinq entreprises concernées par l'exploitation de ces gaz non conventionnels.

Romain Lejeune le 19/04/2011