Du pourquoi de la tête dans le pâté

Une équipe italo-américaine pense avoir découvert l'origine des matins difficiles. Tout serait lié à des neurones qui, faute d'un sommeil suffisant, continueraient à dormir. Comme quoi, les neurones aussi pourraient avoir des pannes d'oreiller.

Par Viviane Thivent, le 05/05/2011

Pas réveillé ?

Ce matin, les conseils minceur du paquet de céréales ressemblent à une équation de physique quantique. Du coup, quand vous vous apercevez que la manche de votre peignoir trempe dans le café, vous ne pouvez éviter un geste réflexe et la marée noire qui s'étend désormais jusque sur le carrelage. Alors, vous vous dites qu'une douche devrait vous réveiller. Mais quand, juste après vous être ébouillanté, vous réalisez que vous avez confondu l'après-shampoing avec le gel douche, vous vous rendez à l'évidence : ce sera un jour sans. Et pas la peine de blâmer le mauvais sort.

Car si vous enchaînez ainsi les catastrophes, c'est parce que votre cerveau fait des erreurs. Et s'il fait des erreurs, c'est parce que certains de vos neurones dorment encore. Et s'ils dorment encore, c'est parce que vous manquez de sommeil. Bref, c'est de votre faute et le seul moyen de stopper l'engrenage, c'est de retourner dormir. En tout cas, c'est ce que suggère une équipe italo-américaine (V. Vyazovskiy et al., Nature, 28 avril 2011) après avoir conduit une expérience toute simple. Si simple même que c'est à se demander pourquoi les spécialistes du sommeil n'en ont pas eu l'idée avant.

Onde lente et sommeil

Car cela fait des décennies que les physiologistes travaillent sur le sommeil, le plus souvent en scrutant l'activité cérébrale à l'aide d'un encéphalogramme. Les neurones transmettent l'information par des signaux électriques. Or, dès 1929, le biologiste allemand Hans Berger a montré qu'il était possible de récupérer une partie de ces signaux électriques en collant des électrodes à la surface du crâne, sur le cuir chevelu. Grâce à cette technique, les scientifiques ont eu rapidement un aperçu de l'activité globale du cerveau lors des phases de sommeil ou d'éveil.

Et voici, en version rapide, les conclusions obtenues à la suite d'années de labeur : lors de l'éveil, les signaux émis par le cerveau sont rapides, irréguliers et de faible amplitude. En revanche, lors du sommeil profond – 80% du temps de sommeil –, les signaux électriques deviennent plus amples et plus lents (un pic toutes les minutes). Tout cela parce que les neurones se synchronisent : « Ils s'activent (position on) et se désactivent (position off) tous en même temps, ce qui permettrait au cerveau de faire le tri et d'oublier les informations dont il n'a pas besoin », explique Gaël Malleret du Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Or, ce que vient de montrer l'équipe italo-américaine, c'est que ces ondes lentes, que l'on croyait caractéristiques des phases de sommeil profond, peuvent aussi apparaître localement, lorsque l'individu est bel et bien réveillé.

Curieux comme un rat

Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont analysé l'activité cérébrale en plaçant des micro-électrodes à l'intérieur du cortex moteur frontal (zone impliquée dans la motricité) et du cortex pariétal (zone sensorielle) de onze rats. Et ce, pour enregistrer l'activité électrique locale des neurones, chose qu'un encéphalogramme ne peut pas faire. Puis ils ont empêché les rats de dormir. Ou plutôt, ils ont prolongé de quatre heures leur temps d'éveil en plaçant une succession d'objets étranges dans leur cage, de nouveaux objets que les rongeurs, curieux de nature, préfèrent explorer plutôt que de dormir.

Et les résultats sont étonnants : lorsque les rats veillent trop longtemps, des ondes lentes apparaissent localement. Des groupes entiers de neurones se mettent à « dormir » alors même que l'individu est réveillé. Pire, ils dorment alors qu'ils se trouvent dans des aires cérébrales particulièrement sollicitées pour explorer de nouveaux objets. En conséquence, plus le temps de veille augmente, plus le rat se met à avoir un comportement étrange, désordonné : le cerveau commet des erreurs.

Et ce n'est pas tout. Car, lorsque les individus sombrent enfin dans le sommeil, les neurones qui ont déjà entamé leur sieste peinent à se synchroniser avec le reste du cerveau. Résultat : au moment du réveil, ils peuvent rester en position off, d'où les erreurs matinales et le phénomène bien connu de la « tête dans le pâté ». Au-delà, ce résultat tend à montrer que contrairement à ce que l'on croyait, le sommeil pourrait être, avant toute chose, un mécanisme géré localement, peut-être à l'échelle des neurones eux-mêmes. De quoi mieux comprendre le somnambulisme ou encore la capacité de certains animaux comme les dauphins à ne faire dormir qu'une partie du cerveau à la fois. Capacité que, rappelons-le, les fêtards et autres oiseaux de nuit humains n'ont, jusqu'à preuve du contraire, pas encore développée.

Viviane Thivent le 05/05/2011