E. coli O104:H4, portrait robot d’une serial killeuse

D’abord localisée en Allemagne puis dans la région bordelaise, la souche bactérienne O104:H4 a infecté environ 4 000 personnes dont 51 sont décédées à la date du 6 juillet. Le point sur cette bactérie hors du commun.

Par Paloma Bertrand, le 06/07/2011

Un cocktail de gènes unique

Une bactérie de la famille des Escherichia Coli

« Les bactéries appartenant à l'espèce Escherichia coli tuent à bas bruit 2 millions de personnes dans le monde chaque année », rappelle Erick Denamur, directeur de l’unité Écologie et évolution des micro-organismes à l’Inserm, université Paris-Diderot. L’écho donné à l’épidémie qui sévit en Europe depuis quelques semaines et qui compte une cinquantaine de victimes n’est-il pas alors disproportionné ? « Non, répond-il, le pouvoir épidémique et la virulence de cette nouvelle souche O104:H4 ainsi que le cocktail très particulier de son génome sont exceptionnels. »

Alors que les épidémiologistes tentent toujours de remonter la piste pouvant conduire à l’hôte de la bactérie – après le concombre espagnol, les graines germées allemandes, la piste s’oriente désormais vers des graines de fenugrec importées d’Égypte – les microbiologistes sont désormais quasi certains que la bactérie qui a sévi en Allemagne et à Bordeaux est identique (même si la patiente décédée le 2 juillet en France était contaminée par une autre souche). Son génome porte l’empreinte d’une succession d’événements tellement spécifiques qu’il est difficile d’imaginer que le scénario ait pu se répéter par deux fois, en deux endroits. Et ce, même si les Escherichia coli passent leur temps à s’échanger des gènes : leur génome est composé d’environ 2 000 gènes constants, communs à toutes les bactéries de cette espèce, et de 2 500 gènes variables.
 

Particulièrement virulent

Après analyse, le génome de cette nouvelle souche révèle que O104:H4 a emprunté à différentes souches de la famille des colibacilles (les Escherichia coli sont des colibacilles) un cocktail de gènes particulièrement nuisibles à l’homme. Certains sont responsables de diarrhées aiguës, d’autres de la production d’une toxine, dite Shigatoxine, qui affecte les reins et le sang. D’autres gènes confèrent à cette bactérie une résistance à des antibiotiques ainsi qu’une virulence et un pouvoir épidémique hors du commun : malgré la compétition qui l’oppose aux milliards de « bonnes » souches d’Escherichia coli qui peuplent l’intestin et le tube digestif, elle réussit pendant un temps à coloniser les lieux provoquant ainsi des diarrhées sanglantes et une atteinte rénale sévère (syndrome hémolytique et urémique, SHU). Pour avoir raison de cette infection, il faut attendre que les colibacilles commensaux, c’est-à-dire les « bons » Escherichia coli, reprennent le dessus, éliminent l’intrus et que l’organisme réussisse à évacuer la toxine.

Escherichia coli dans la flore intestinale

Escherichia coli est un hôte commun de la flore intestinale microscopique. Un gramme d’excrément humain comprend entre 100 millions et 1 milliard d’Escherichia coli. Elle est même la première bactérie à coloniser l’intestin d’un nouveau-né à la naissance : lors de l’accouchement, au moment du passage dans le vagin, l’enfant en déglutissant absorbe ses premières Escherichia coli qui vont constituer un élément vital de sa flore intestinale. En colonisant le tube digestif, les Escherichia coli forment en effet une barrière à l’implantation d’autres Escherichia coli pathogènes susceptibles de générer des diarrhées, certaines gastro-entérites, des infections urinaires, des méningites, des septicémies, et des syndromes hémolytique et urémique.
La transmission d’Escherichia coli se fait par contact direct ou indirect avec des matières fécales (aliments ou eau souillés, mains sales, etc.). Si les conditions d’hygiène sont respectées, la transmission d’homme à homme est rare.
 

Antibiotiques interdits

Le traitement ne peut être ici que symptomatique et consiste principalement à épurer le sang des toxines accumulées (par transfusion, dialyse, échange de plasma…). Administrer des antibiotiques est non seulement inutile (la souche O104:H4 est résistante aux céphalosporines de troisième génération) mais nuisible pour le patient et risqué pour la population. Car, selon les antibiotiques utilisés, certains détruisent la membrane de la bactérie et libèrent la toxine, d’autres concourent à son développement dans la bactérie, et tous attaquent l’ensemble des colibacilles. Les « bons » Escherichia coli sont ainsi éliminés pour un temps de l’organisme et la souche O104:H4 qui, elle, est résistante, colonise encore plus les lieux, met en danger la vie du patient et renforce le pouvoir de propagation de la maladie.

Paloma Bertrand le 06/07/2011