La fin des navettes spatiales

La navette spatiale a effectué son ultime vol le 8 juillet 2011. Après trente années de fonctionnement, les États-Unis ont décidé d’arrêter ce programme. Retour sur l'histoire du premier véhicule spatial réutilisable.

Par Bernard Nomblot, le 11/07/2011

STS-135, le dernier vol de la navette

Dernier décollage de la navette spatiale Atlantis

Le 8 juillet, à 15 h 28 TU (11 h 28 heure locale), la navette Atlantis est lancée depuis la base de Cap Canaveral en Floride. Avec ses quatre astronautes (trois hommes et une femme), elle emmène un module baptisé Raffaello, chargé de fret et d’expériences scientifiques, vers la Station spatiale internationale (ISS). Cette 135e mission, d'une durée de douze jours, a notamment pour but d’y acheminer un an de réserves. Si tout se passe comme prévu, Atlantis atterrira en Floride le 20 juillet, mettant un point final au programme des navettes, initié au début des années 1970.

Un accès à l’espace facile et peu cher

La navette Atlantis sur son « Transporter »

Lancé officiellement le 5 janvier 1972 par le président américain Nixon, ce programme visait à diminuer le coût de l’accès à l’espace et devait, à court terme, permettre de remplacer tous les lanceurs de satellites commerciaux. Il était à ce moment-là imaginé qu’une flotte d’une dizaine de navettes serait construite pour assurer une cinquantaine de vols par an, soit près d’un par semaine !

Prévu pour 1978, le premier vol devait emmener les astronautes vers la station spatiale Skylab, que ses derniers occupants avaient quittée en 1974. Mais la mise au point de cet engin d’un type nouveau allait se révéler beaucoup plus difficile que prévu et Skylab retomba dans l’atmosphère terrestre le 11 juillet 1979, près de deux ans avant que la navette spatiale ne prenne son premier envol.

Lorsque le 12 avril 1981 – vingt ans jour pour jour après le premier vol de Gagarine – la navette spatiale Columbia décolla enfin de Cap Canaveral en Floride pour une mission de deux jours, chacun pensait qu’il s’agissait du début d’une nouvelle ère du transport spatial.

Pas si simple, l’avion spatial !

Mais il fallut vite déchanter. La remise en état après un vol en orbite était longue et coûteuse. Les boosters, récupérés en mer, étaient difficiles à réutiliser ; les tuiles en silice qui protègent la navette de la chaleur lors de son retour dans l’atmosphère devaient être vérifiées une à une avant un autre lancement ; les moteurs et le train d’atterrissage se révélèrent bien plus fragiles que prévu. On se trouvait là avec un engin bien plus proche d’un prototype de Formule 1 que du « camion de l’espace » que l’on avait imaginé.
La difficulté de remise en état de la navette était telle qu’en 1985, malgré quatre navettes disponibles, il ne fut pas possible de faire plus d’un vol par mois. On était très loin du vol hebdomadaire envisagé au début du programme.

Une présence humaine dans l’espace

Explosion en vol de la navette le 28 janvier 1986

Si la navette spatiale était moins souple d’emploi que prévu et ne permettait pas réellement de diminuer le coût du transport spatial, elle offrait malgré tout un accès à l’espace à de nombreux astronautes. Elle pouvait en effet transporter jusqu’à sept astronautes. En 1983, l’astronaute Sally Ride fut la première Américaine dans l’espace. La même année, la navette emportait dans sa soute le laboratoire scientifique européen Spacelab. Ce laboratoire sera utilisé une vingtaine de fois jusqu’en 1998, date à laquelle la Station spatiale internationale prit le relais. À cette même époque, plusieurs vols furent consacrés à des expériences militaires.

Et, le 28 janvier 1986, la navette Challenger explosa en vol peu après son décollage, tuant ses sept passagers. Parmi eux, se trouvait une institutrice de 38 ans, sélectionnée pour être la première « citoyenne de l’espace ». L’enquête qui suivra ce drame montrera que c’est la volonté de lancer à tout prix la navette, conformément au planning prévu, qui fut à l’origine de l’explosion.

À la suite de cet accident, les militaires américains se désengageront du programme, et le président Reagan décidera de séparer les activités de lancement de satellites commerciaux – pris en charge par des fusées traditionnelles – des activités de vols habités. La navette servira désormais essentiellement à assurer la présence humaine dans l’espace et sera réservée à des missions scientifiques et gouvernementales.

Des allers-retours avec MIR puis l’ISS

La navette arrimée à la station russe Mir en 1995

Un programme de vols communs entre la navette et la station russe Mir vit le jour en 1992. Le premier arrimage entre les deux vaisseaux spatiaux eut lieu en juin 1995 formant un ensemble de 250 tonnes qui abritait dix personnes. Une dizaine d’arrimages entre la navette et la station Mir donneront aux États-Unis une expérience dans le domaine des vols de longue durée, jusqu’à six mois.

Durant ce programme, s’élabora aussi la nouvelle politique de coopération entre Russes et Américains. Elle se concrétisa par la décision de construire ensemble la Station spatiale internationale (ISS), véritable laboratoire modulaire desservi par les vaisseaux russes et les navettes américaines. La construction de ce gigantesque complexe spatial débuta en 1998 et achèvera en 2012. L’ISS abrite un équipage de six personnes pour des durées moyennes de quatre mois. 

 

Les navettes, c’est fini

La navette arrimée à la Station spatiale internationale en mai 2011

Le 1er février 2003 survint le second accident du programme. La navette Columbia se désintégra lors de la rentrée dans l’atmosphère, au terme d’une mission de deux semaines, tuant ses sept astronautes. Lors du décollage, un gros bloc de mousse isolant le réservoir s’était détaché et, percutant l’aile gauche de la navette, créa une brèche par laquelle le plasma s’infiltra lors de la rentrée dans l’atmosphère, détruisant toute la navette.

Cet accident sonna le glas de la navette : sur les cinq exemplaires ayant volé, deux furent victimes d’un accident, tuant en tout quatorze personnes. Cet engin est en effet d’autant plus risqué que, contrairement aux avions, il n’y a pas de siège éjectable, ni aucun système de sauvegarde pour l’équipage en cas de problème.

En 2004, le président Bush décida l’arrêt des vols de navette après la fin de la construction de la Station spatiale internationale. Les crédits dégagés devaient être réinvestis dans le programme Constellation, pour un retour de l’homme sur la Lune. Mais son successeur, Barack Obama, lors d’un discours prononcé le 15 avril 2010, annula ce programme et demanda une réflexion sur le devenir spatial américain.

Des initiatives privées ?

On en est là aujourd’hui. Après 135 vols, la navette spatiale n’a pas fait baisser le prix du kilo en orbite, n’a pas remplacé les lanceurs conventionnels et n’a pas non plus permis une desserte régulière vers l’orbite basse. En revanche, elle s’est révélée utile pour emmener sept astronautes vers la station Mir ou vers l’ISS. En attendant son successeur, les astronautes américains devant se rendre dans l’ISS devront voler dans des vaisseaux russes Soyouz ou dans des engins développés par des entreprises privées. Plusieurs d’entre elles, dont Space X ou Boeing, seraient déjà sur le coup.

Le futur appartient désormais à des lanceurs fiables, robustes et à bas coût, l’inverse de la navette spatiale.

Bernard Nomblot le 11/07/2011