Et Google devint nos souvenirs

Une étude américaine montre que notre cerveau se sert d’Internet comme d’une extension de mémoire : il y puise des informations sans les retenir. Un constat qui n’est pas sans poser quelques problèmes sociétaux.

Par Viviane Thivent, le 13/09/2011

Signe des temps

Il y a quinze ans, se rappeler de quelque chose, c’était plisser des yeux, trépigner en émettant des sons gutturaux ou lever le nez au ciel dans l’espoir d’y trouver une bribe de souvenir. Aujourd’hui, rien à voir, se souvenir d’une information, c’est avant tout baisser la tête et consulter tout de go Google au travers de son smartphone ou de son ordinateur. Tempora mutantur et nos mutamur in illis – les temps changent et nous changeons avec eux. Sauf que cette mutation n’est pas sans conséquence, montrent trois Américains (B. Sparrow et al., Science, 5 août 2011).

En effet, les chercheurs ont testé la façon dont les internautes mémorisent les informations trouvées sur la Toile. Ils ont donné à lire à des cobayes une quarantaine d’informations type « l’autruche a un œil plus grand que son cerveau ». Puis, histoire de renforcer la mémorisation, ils leur ont demandé de taper les mêmes phrases à l’ordinateur. À la moitié du groupe, ils ont signalé qu’à la fin de l’expérience, ils devraient écrire toutes les phrases dont ils se souvenaient. À l'autre moitié, ils n'ont rien dit. Chaque groupe a encore été divisé en deux : un sous-groupe étant informé que l'ordinateur ne mémoriserait pas les phrases, l'autre non.

Les résultats montrent que ceux qui devaient retenir un maximum d’informations se souvenaient mieux que les autres. Mais plus intéressant, ceux qui avait conscience de la volatilité de l’information se sont moins reposés sur l’ordinateur et ont mémorisé davantage de phrases. D’autres tests ont montré que, lorsque les sujets savent qu'ils peuvent avoir accès à une information, ils retiennent plutôt la façon de la trouver (tel dossier, telle adresse) que son contenu. « Ce résultat relève du sens commun, constate Serge Laroche de l’équipe "Mécanismes cellulaires et moléculaires de la plasticité et de la mémoire" de l'université Paris-Sud. Des études antérieures avaient montré des choses similaires pour la mémorisation des informations obtenues à partir de personnes ressources ou de livres. »

Internet, le monde volatil

« Et c’est bien là tout le problème car les internautes utilisent Internet comme s’il s’agissait d’une extension de leur mémoire. Or, c’est mal interpréter la nature même d’Internet », s’inquiète Jean Véronis, professeur de linguistique et d'informatique à l'université de Provence. Car effectivement, Internet n’est pas la grande bibliothèque d’Alexandrie. Il s’agit d’une base de données mouvante, volatile, où les textes sont faits et défaits, où les pages naissent, vivent et meurent. Une information disponible un jour ne l’est donc pas forcément le lendemain.

« De plus, en France, environ 90%* des recherches sur Internet sont faites via Google, continue le chercheur. Or, cette situation de monopole est problématique d’abord parce que ce moteur de recherche est devenu depuis quelques années une sorte de boîte noire. Nul ne sait exactement comment sont choisis, hiérarchisés les liens, ce qui laisse la porte ouverte à toutes les dérives ou manipulations. » En outre, chaque recherche effectuée par l’internaute est enregistrée par Google. « C’est comme si vos pensées, vos interrogations sortaient de votre cerveau pour enrichir les bases de données de Google. » Sur Internet en effet, et contrairement à un livre, l’échange de données se fait dans les deux sens. Un point qui peut être problématique, surtout quand on sait que les gouvernements peuvent faire appel à Google pour obtenir des informations personnelles sur les internautes. Et à ce petit jeu, la France n’est pas en reste : elle est même le cinquième pays du monde à faire ce genre de demande. « Un état de fait dont les internautes doivent prendre conscience. C’est aux citoyens de se méfier. »

*Google représente 66% du marché des moteurs de recherche aux États-Unis.

Viviane Thivent le 13/09/2011