Les prétentieux, des êtres sélectionnés par l’évolution ?

Tout le monde, ou presque, se croit plus fort ou plus intelligent qu’il ne l’est en réalité. Et pour cause : se surestimer présenterait un avantage évolutif certain, expliquent deux chercheurs anglo-saxons.

Par Viviane Thivent, le 27/09/2011

« Le crétin prétentieux est celui qui se croit plus intelligent que ceux qui sont aussi bêtes que lui », aurait dit un jour Pierre Dac. Mais, que les crétins se rassurent, ce qui vaut pour eux est aussi vrai pour la quasi-totalité de la population. Mieux : surestimer un brin ses capacités intellectuelles ou physiques serait même le gage d’une bonne santé mentale. C’est en tout cas ce qu’ont démontré les scientifiques au cours de ces trente dernières années. Par exemple, si l’on demande aux gens d’auto-évaluer leur intelligence, leurs capacités professionnelles ou leur talent pour la conduite, ils auront presque tous tendance à se situer légèrement au-dessus de la moyenne, ce qui, par définition, n’est pas possible. Les seules personnes à se comporter différemment sont les dépressifs qui se sous-estiment et les narcissiques ou les mégalomanes qui, eux, se surestiment en dehors de toutes proportions.

Bref, tout le monde, ou presque, est victime de ce que les chercheurs appellent des « illusions positives » : les gens surestiment leurs capacités, leur niveau de contrôle des événements et sous-estiment leur vulnérabilité face au risque. Un biais qui peut conduire à de mauvais jugements. Dans ce contexte, difficile d’imaginer qu’un trait comportemental aussi hasardeux ait pu être sélectionné par l’évolution. Et pourtant, c’est bien le cas. Sans quoi, comment expliquer sa prévalence au sein de la population ?

Prendre de « meilleures » décisions ?

La réponse qui, jusque-là, a été donnée est celle-ci : se croire plus fort augmente la confiance en soi, ce qui confère un avantage. Un bénéfice individuel qui suffit à favoriser le maintien de ce trait comportemental au sein de la population. Pour autant, deux chercheurs, un Anglais et un Américain, envisagent une autre explication, plus curieuse : se surestimer permettrait en fait aux gens de prendre de « meilleures » décisions. Cette conclusion ne découle pas d’une expérience mais d’un modèle mathématique basé sur la théorie des jeux. 

Dans une première simulation, deux individus se trouvent en compétition pour une ressource qu’ils peuvent, ou non, réclamer. Si les deux la réclament en même temps, ils devront s’affronter – ce qui est un comportement coûteux énergiquement – et seul le plus fort remportera la mise. Dans une deuxième simulation, les chercheurs ont introduit une nuance : avant de s’engager, les individus ont la possibilité de jauger l’adversaire. S’ils estiment l’adversaire plus fort, ils n’entrent pas en conflit et attendent le tour suivant pour tenter d’avoir accès à la ressource.

À partir de là, les chercheurs ont joué sur un paramètre : la valeur de la ressource. Si celle-ci a peu d’attrait, les adversaires ont plutôt intérêt à sous-estimer leurs forces afin d’éviter le combat. À l’inverse, si la ressource est précieuse, il est préférable de se surestimer un peu pour améliorer les changes de succès, au risque d’en passer par le combat. De là, viendrait peut-être l’avantage adaptatif des "illusions positives".

Source : D. Johnson & J. Fowler, Nature, 15 septembre 2011.

Viviane Thivent le 27/09/2011