Les citadins se dépensent autant que les chasseurs-cueilleurs

Contre toute attente, les chasseurs-cueilleurs de Tanzanie ne dépensent globalement pas plus de calories que les Occidentaux. De quoi remettre en question les modèles qui attribuent au mode de vie sédentaire la pandémie d’obésité.

Par Yaroslav Pigenet, le 30/07/2012

Hadzas préparant un feu

Tout le monde n’a pas la chance d’appartenir à une communauté de chasseurs-cueilleurs. Mais l’adoption d’un mode de vie sédentaire n’est pas une raison suffisante pour expliquer les problèmes de poids qui affectent une proportion grandissante de la population des pays développés. Voilà la conclusion à laquelle est parvenue une équipe d’anthropologues dirigée par Herman Pontzer, du New York Consortium in Evolutionary Primatology, en comparant les dépenses énergétiques des Hadzas de Tanzanie à celles d’Européens et de Nord-américains vivant en ville. Les résultats obtenus montrent qu’en dépit d’un réel surplus d’embonpoint, les sédentaires occidentaux ne dépensent pas moins de calories que les chasseurs-cueilleurs tanzaniens. Cette étude, qui vient d’être publiée dans la revue PLoS ONE, remet sérieusement en cause les théories qui attribuent la pandémie d’obésité à une diminution de l’activité physique plutôt qu’à une augmentation des apports alimentaires.

Quand occidental rime avec quintal

Selon l’OMS, d’ici 2015, un Terrien sur trois sera en surpoids et 1 sur 10 sera obèse. Si on connaît bien les conséquences sanitaires de ce phénomène – diabète, maladies cardio-vasculaires, cancers... –, ses causes font encore débat. Certes, un gain de poids résulte forcément d’un excès de l’apport énergétique alimentaire par rapport aux dépenses de l’organisme, mais il est difficile de déterminer les raisons de cet excès. Principale accusée : l’inadéquation du mode de vie occidental – qui combine sédentarité et libre accès à une alimentation riche en énergie – à la physiologie « naturelle » de notre espèce – dont la quasi-totalité de l’évolution biologique s’est faite alors que nous étions des chasseurs-cueilleurs nomades. Mais alors que certains imputent l’engraissage des Occidentaux principalement à une diminution de leurs dépenses énergétiques consécutives à une diminution de leur activité physique, d’autres y voient plutôt le résultat d’une alimentation beaucoup trop disponible, abondante et dense en énergie.

Moins de gras chez les chasseurs…

Afin de tester l’hypothèse d’une tendance au surpoids due à une diminution des dépenses, Hermon Pontzer et ses collaborateurs ont donc mesuré l’activité physique et les dépenses énergétiques de trois types de population : des chasseurs-cueilleurs Hadzas de Tanzanie, des paysans boliviens et des citadins européens. « Étant donné leur mode de vie traditionnel, physiquement actif, nous nous attendions à ce que les Hadzas aient un taux de graisse corporelle plus faible que les Occidentaux », précisent les auteurs de l’étude, qui ont effectivement mesuré un taux de 13,5% chez les hommes Hadzas contre 22,5% chez les Occidentaux ( et 16% chez les paysans boliviens). 

... mais pas plus de dépenses

« Par ailleurs, si les modèles actuels pour l’obésité étaient corrects, les Hadzas, avec leur régime « naturel » et l’absence de mécanisation, auraient dû dépenser plus d’énergie que les individus vivant dans des économies de marché avec un mode de de vie sédentaire et un régime riche en sucres et en nourriture industrielle ». L’étude montre que ce n’est pas le cas : à taille égale, les dépenses énergétiques quotidiennes des Occidentaux et des Hadzas sont identiques. Les chercheurs ont en outre constaté que dans ces populations, le taux de graisse corporelle n’est corrélé ni au niveau de l'activité physique, ni à la dépense calorique quotidienne. 

Rien ne sert de bouger si l’on ne mange pas à point

Ces résultats suggèrent que des différences importantes de mode de vie ont un effet négligeable sur les dépenses énergétiques quotidiennes totales, ce qui corrobore l’hypothèse que l’accroissement du taux d’obèses dans la population est moins lié à une diminution des dépenses qu’à une augmentation des apports énergétiques. Les chercheurs émettent d’ailleurs l’hypothèse que la dépense calorique quotidienne est un trait physiologique relativement stable et contraint de l’espèce humaine, plus un produit de notre héritage génétique commun que de nos divers styles de vie.

Cela relativise quelque peu la pertinence et l’intérêt des campagnes du style « Manger Bouger » dans le cadre de la lutte contre le surpoids. En effet, les données recueillies indiquent, selon Herman Pontzer, que les modes de vie traditionnels et/ou actifs ne protègent pas forcément contre l’obésité quand l’alimentation devient trop riche en énergie. « Ainsi, les actions visant à subvenir à l’alimentation des pays en voie de développement doivent absolument éviter d’inonder ces populations de nourriture industrielle, dense en énergie mais pauvre en nutriments. »    

Yaroslav Pigenet le 30/07/2012