La fertilité masculine en déclin ?

En moins de 20 ans, la concentration de spermatozoïdes dans le sperme des Français aurait chuté de 32%. L’étude publiée ce mois de décembre dans la revue Human Reproduction n’est pas la première à en faire le constat. Mais la prudence s’impose…

Par Paloma Bertrand, le 11/12/2012

Il y a exactement 20 ans, deux chercheurs danois, Niels Skakkebaek et Elisabeth Carlsen, alertaient l’opinion en publiant une étude faisant le constat d’une baisse constante, depuis plusieurs générations, de la production de spermatozoïdes. Deux ans plus tard, en 1994, une étude réalisée à partir des donneurs de sperme de la région parisienne arrivait au même constat. Depuis, les études sur le sujet se sont multipliées et décrivent un paysage contrasté : selon les pays, les régions et même les villes, cette baisse de la qualité du sperme n’est ni générale, ni uniforme. Quant aux détracteurs, ils ne manquent par d’arguments pour remettre en cause ce constat : les volontaires pour ce genre d’études sont peu nombreux et peu représentatifs de la population masculine dans son ensemble. La nouvelle étude publiée dans Human Reproduction tranchera-t-elle le débat ?

Qui a perdu des millions ?

17 années de déclin

L’étude porte sur plus de 26 600 hommes, qui, en raison d’un problème de stérilité diagnostiqué chez leur partenaire, se sont rendus dans l'un des 146 centres d’aide médicale à la procréation. Dans le cadre d’une première tentative de fécondation in vitro, leur sperme a été analysé et les données ont été collectées par l’association Fivnat entre 1989 et 2005.

Sur la population observée, Joëlle Le Moal, médecin épidémiologiste à l’Institut de Veille sanitaire (INVS), et son équipe constatent une baisse constante de la concentration de spermatozoïdes par millilitre : estimée en 1989 à 73,6 millions pour un homme âgé de 35 ans, elle ne serait plus en 2005 que de 49,9 millions. Un déclin de 32,2% en 17ans à raison de 1,2% par année. Par ailleurs, malgré des données moins fiables, le pourcentage de spermatozoïdes mal formés semble s’être accru dans le même intervalle de temps. Seule la motilité, c’est-à-dire la capacité d’un spermatozoïde à se mouvoir, ne paraît pas avoir été altérée.

Pour Joëlle Le Moal, « ces résultats s’appuient sur le plus important échantillon de population jamais étudié en France et sans doute dans le monde. Le profil des hommes est très proche de celui de la population générale et nos données couvrent l’ensemble du territoire. »

Des origines mal élucidées

Outre la diminution de la qualité du sperme, l’augmentation des cancers du testicule et d’autres affections de l'appareil reproducteur masculin, comme la cryptorchidie (problème de migration des testicules dans les bourses) ou l’hypospadias (malformation du pénis), sont en augmentation. Même si les facteurs génétiques sont les plus souvent incriminés, les causes de l’augmentation de ces anomalies sont de plus en plus recherchées parmi les facteurs environnementaux. En effet, les évolutions relativement rapides de ce syndrome suggèrent des facteurs dynamiques, en lien avec le mode de vie ou l’environnement. Sont notamment suspectés la chaleur, les champs magnétiques, les rayonnements ionisants... mais surtout les facteurs chimiques qui joueraient le rôle de perturbateurs endocriniens. Au banc des principaux accusés : les pesticides, les solvants mais aussi le tabac et le stress.

La fertilité humaine en danger ?

Sans remettre en cause la qualité du travail réalisé par les chercheurs de l’INVS, Bernard Jégou, directeur de l'Institut de recherche en santé, environnement et travail et directeur du groupe Inserm d'étude de la reproduction chez l'homme et les mammifères, se montre sceptique : « Cela fait vingt ans que les études s’accumulent sur le sujet et celle-ci, comme les précédentes, ne permet pas de trancher le débat. L’étude se heurte une nouvelle fois à des biais qui hypothèquent l’interprétation des résultats : il est difficile de considérer les hommes engagés dans l’aide médicale à la procréation comme représentatifs de la population générale. Par ailleurs, les données provenant des différents centres ne sont pas homogènes et des informations cruciales comme la profession, le poids, le tabagisme ou l’abstinence des participants font défaut. »

En théorie, un seul suffit...

Seuls la Finlande et le Danemark ont entrepris des études prospectives solides : des cohortes d’hommes jeunes sont suivis depuis dix ans dans l’objectif de répondre expressément à l’interrogation sur cette baisse de la fertilité masculine et ses causes éventuelles. Or pour l’instant, alors que la concentration spermatique au Danemark est relativement basse, il n’a pas été observé de réduction depuis une décennie, elle aurait même plutôt tendance à croître. En Finlande, en revanche, elle s’érode.

Pour Bernard Jégou, il est urgent que les pouvoirs publics français lancent une étude prospective sur du long terme. En attendant, si l'étude de l’INVS n'a pas permis de confirmer ni d'écarter l'hypothèse de la baisse de la fertilité, elle a eu le mérite de relancer le sujet.

Paloma Bertrand le 11/12/2012