Un diurétique, nouvelle piste contre l’autisme

En agissant sur la concentration de chlore dans le cerveau, un diurétique, la bumétanide, réduirait la sévérité des troubles du comportement des enfants autistes.

Par Paloma Bertrand, le 21/12/2012

Les résultats de l’essai clinique publiés le 11 décembre 2012 dans la revue Translational Psychiatry ouvrent une nouvelle perspective dans le traitement des symptômes de l’autisme. Alors qu’il n’existe aucun médicament contre cette maladie, l’étude montre qu’un diurétique réduit la sévérité des troubles du comportement chez 77 % des enfants autistes à qui il a été administré.

Conduit à Brest entre 2010 et 2011, cet essai a été mené auprès de soixante enfants autistes et atteints du syndrome d'Asperger, âgés de 3 à 11 ans, aux symptômes de gravité variable : 24 d’entre eux ne parlent pas, 8 utilisent quelques mots et 28 parlent couramment. La moitié d’entre eux ont reçu une dose quotidienne d’1 mg de bumétanide, les autres un placebo. 

La sévérité des troubles autistiques des enfants a été évaluée au démarrage de l’essai, à la fin du traitement, au bout de trois mois et un mois après l’arrêt. Alors qu’aucune différence significative n’a été observée dans le groupe ayant reçu le placebo, 77 % des enfants ayant reçu le traitement ont connu une amélioration de leur diagnostic clinique : plus grande présence, interactions sociales renforcées, contact visuel plus soutenu, meilleure tolérance au bruit et à la douleur. Sur l’échelle de Cars, utilisée pour évaluer la sévérité des troubles, ces enfants sont ainsi passés du niveau « élevé » à « moyen ».

Certains troubles comme le déficit d’attention, le retard mental et la difficulté à trouver le sommeil n’ont toutefois pas été réduits. En outre, 10 % des enfants n’ont, semble-t-il, retiré aucun bénéfice de ce médicament. Enfin, à l'interruption du traitement, ses effets bénéfiques disparaissent. La bumétanide ne guérit donc pas la maladie. En revanche, elle traiterait efficacement certains symptômes et ce, sans générer d'effets indésirables graves.

 

L'évaluation des différentes phases de l'essai est réalisée à partir de plusieurs vidéos des enfants, dont celle-ci communiquée par l'Inserm.

Pourquoi un diurétique ?

L’idée d’administrer un diurétique à des enfants autistes est née de la rencontre, en 2007, des deux auteurs de l’étude. Yehezkel Ben-Ari, récompensé par le grand prix Inserm en 2009, est neurobiologiste. En s’intéressant à l’épilepsie, il a découvert un mécanisme paradoxal : les neurotransmetteurs Gaba, qui ont normalement pour fonction de tempérer l’activité neuronale, ont une action inverse sur des neurones lésés ou immatures. Au lieu d’inhiber leur fonctionnement, ils les excitent. Stimuler les Gaba en administrant du diazépam ou du phénobarbital, comme cela est pratiqué chez des enfants épileptiques, aurait pour conséquence, avec le temps, de déclencher des crises au lieu de les prévenir.

Fort de ce constat établi sur des neurones de souris, Yehezkel Ben-Ari et son équipe ont mis au jour le mécanisme responsable de cet effet paradoxal et sa conséquence : une concentration trop élevée en chlore dans les neurones. Or certains diurétiques comme la bumétanide sont utilisés depuis des décennies pour réduire le chlore au niveau des reins. Les mêmes transporteurs sont aussi présents dans le cerveau et la bumétanide est un médicament envisagé pour prévenir l'augmentation excessive de chlore chez de jeunes patients épileptiques. Une étude européenne est d'ailleurs en cours sur ce sujet.

De son côté, le pédopsychiatre Eric Lemonnier, co-auteur de l'étude, est et spécialiste de l’autisme au CHUR de Brest. Il a observé cet effet paradoxal des anxiolytiques sur ses jeunes patients : au lieu de les calmer, ces produits avaient tendance à les exciter et à aggraver les troubles du comportement. D’où l’idée de tester le diurétique sur ses patients.

Yehezkel Ben-Ari et Eric Lemonnier ont depuis créé une entreprise, Neurochlore, et demandé une autorisation pour mener un essai à l’échelle européenne. Parallèlement, des travaux expérimentaux doivent également être conduits pour mieux comprendre les mécanismes biologiques et évaluer l’impact de la prise à long terme et la dose requise pour ce traitement.

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Paloma Bertrand le 21/12/2012