Pourquoi le sport est un plaisir (ou pas)

Pourquoi certains sont-ils « accros » au sport, et d’autres n’y prennent-ils aucun plaisir ? Dans le cadre d’une étude sur des souris, des chercheurs de l’Inserm et du CNRS ont mis en évidence le rôle du CB1, un récepteur aux cannabinoïdes. Un résultat qui pourrait ouvrir la voie à de nouvelles applications thérapeutiques pour le sevrage du cannabis ou l’accompagnement d’anciens sportifs de haut niveau.

Par Barbara Vignaux, le 31/01/2013

Sport, récompense naturelle

Ils sont moins connus que la fameuse « hormone du bonheur », l’endorphine chère aux sportifs, et pourtant… Les récepteurs CB1 – stimulés par les cannabinoïdes – jouent un rôle essentiel dans le plaisir à pratiquer une activité sportive, comme le montre une étude parue dans Biological Psychiatry.

Il y a trois ans, déjà, l’équipe de recherche dirigée par Francis Chaouloff, directeur de recherche Inserm au Neurocentre Magendie (université Bordeaux Ségalen) observait que dans des roues d’exercice, des souris mutantes – n’ayant plus de récepteur CB1 – couraient volontairement, en moyenne, 20 à 30 % moins longtemps que leurs congénères non-mutantes. Mais à l’époque, on ne pouvait pas expliquer cette différence de comportement. Autrement dit, « comment », « où » et « pourquoi » l’absence de cette protéine était liée à la moins bonne performance physique des souris mutantes. 

Le sport, récompense naturelle

Dans cette nouvelle étude, grâce à des méthodes génétiques, pharmacologiques et électro-physiologiques, les chercheurs ont découvert que le récepteur CB1 (à l’origine de 20 à 30 % de l’activité de course) est localisé dans l’aire tegmentale ventrale. Cette région du cerveau est mobilisée dans la motivation pour obtenir des récompenses naturelles (aliment sucré, sexe, par exemple) ou artificielles (substances psychoactives). Il semble donc que l’absence du récepteur CB1 chez les souris mutantes diminue leurs possibilités de motivation optimale et par conséquent, leurs performances de course, peut-être parce que l’exercice physique cesse alors d’être ressenti comme une récompense, une activité gratifiante.

Dans tous les cas, l’exercice physique peut être ajouté à la panoplie des récompenses naturelles régulées par le système endocannabinoïde (cannabinoïdes endogènes), du moins chez la souris. « Mais certains éléments permettent de penser que chez l’homme, le sport pourrait aussi être considéré comme une récompense naturelle, à l’instar d’un aliment apprécié ou du sexe, même s’il reste à confirmer l’hypothèse », précise Francis Chaouloff.

Des recherches à poursuivre

Pour Francis Chaouloff, il faut encore prouver sans équivoque possible « que le récepteur CB1 interagit avec le sport sur la base de la motivation ». Pour ce faire, une nouvelle expérience devra être menée : cette fois-ci, les souris devront, pour accéder à la roue d’exercice, réaliser des tâches d’une difficulté croissante (appuyer sur un levier à une, deux, trois puis quatre reprises, par exemple). On peut s’attendre a priori à ce que les souris mutantes renoncent rapidement à appuyer sur le levier. « Un tel résultat fournirait la preuve pleine et entière que le récepteur CB1 régule la performance d’activité physique en agissant sur la motivation », explique Francis Chaouloff.

Autre tâche qui attend les chercheurs : comprendre les interactions entre les systèmes opiacé et cannabinoïde. La sensation de bien-être entraînée par la libération d'endorphines a maintes fois été décrite à propos des sportifs. Cette molécule endogène se fixe sur un récepteur opiacé, comme pour la morphine. Or il existe de fortes présomptions que les deux récepteurs, opiacé et CB1, se trouvent sur le même neurone. Peut-être la sensation de bien-être provient-elle donc d’une interaction entre ces deux récepteurs… Là encore, les recherches doivent se poursuivre.

D'intéressantes perspectives thérapeutiques

Interactions entre systèmes endocannabinoïde, GABAergique et dopaminergique

D’ores et déjà, ces travaux laissent espérer d’intéressantes applications thérapeutiques. Ainsi, l’accompagnement des sportifs de haut niveau qui, suite à un accident ou un déclassement, sont contraints de réduire, voire de cesser leur entraînement. On constate aujourd’hui – empiriquement – que beaucoup d’entre eux s’adonnent, après le sevrage, à une consommation abusive de dérivatifs au premier rang desquels l’alcool. Mieux cerner les modes d’action du CB1 pourrait aider à prévenir ces comportements. 

Autre piste : l’exercice physique pourrait se révéler un outil d’accompagnement efficace du sevrage au cannabis, puisqu’il permettrait d’activer, mais de manière naturelle, le même récepteur CB1 que le principe actif du cannabis, le THC. En renfort de cette hypothèse, une étude menée aux États-Unis en 2011, publiée dans Plos One : de grands usagers de cannabis ont vu leur consommation reculer lorsqu’ils couraient une demi-heure par jour, non seulement durant toute la durée du protocole d’exercice (une semaine), mais également une semaine après. Substituer, au moins partiellement, les bonheurs du sport aux paradis artificiels n’est peut-être pas une idée saugrenue…

Barbara Vignaux le 31/01/2013