Les manchots réchauffés par une couche de froid

Les manchots empereurs ont un métabolisme à toute épreuve. Grâce à des caméras thermiques infrarouges, une équipe franco-écossaise de chercheurs a en effet constaté qu’en hiver, et par temps dégagé, certaines zones de l'animal peuvent être plus froide que l'air ambiant.

Par Véronique Marsollier, le 27/03/2013

En observant une colonie de manchots empereurs sur la base française de Dumont d’Urville, en Antarctique, des chercheurs français et écossais ont découvert que la température de surface des plumages ventral et dorsal des manchots empereurs mâles pouvait être inférieure à la température ambiante. Paradoxalement, ce phénomène limite la déperdition de chaleur. Cette étude a fait l’objet d’un article paru le 6 mars dans la revue Biology letters.

La colonie d'Aptenodytes forsteri a été observée en juin 2008, durant l’hiver austral. À cette période, les femelles se nourrissent en mer et les mâles assurent seuls, sur la banquise, l’incubation des œufs. Ils sont ainsi contraints de jeûner de 110 à 120 jours et n’ont comme seule solution que de puiser dans leurs réserves corporelles. C’est aussi à ce moment-là que les conditions climatiques sont les plus difficiles : les températures peuvent descendre jusqu’à - 25°C.

Des tortues contre le froid

Manchots empereurs pris avec une caméra à thermographie infrarouge

Les manchots empereurs ont le plumage le plus dense de tous les oiseaux : « Le dos et le ventre sont bien isolés du froid grâce aux 12 millimètres de plumage qui assurent 85 % de l’isolation thermique. Une couche de graisse sous-cutanée complète ce dispositif d’isolation, si bien que les manchots sont capables de résister à un blizzard de 100 km/heure », explique André Ancel, chercheur au CNRS-IPHC de Strasbourg et initiateur de l’étude.

En revanche, ils doivent se regrouper pour maintenir une température constante et incuber leurs œufs. Ils forment alors une « tortue », terme choisi par analogie avec la formation militaire romaine du même nom. Les manchots se serrent les uns les autres en un groupe très dense : jusqu’à huit à dix manchots par mètre carré ! Ils ne présentent alors plus que le haut du dos au vent froid et limitent ainsi les pertes de chaleur. Ces « tortues » sont tellement efficaces que la température en leur centre peut atteindre 37°C. Pour la faire tomber, une partie du groupe ou des individus s'en éloigne à intervalles réguliers, avant de rejoindre la formation.

Des chercheurs de l’IPHC de Strasbourg, de l’École vétérinaire de Maisons-Alfort et de l’Institut de la biodiversité de Glasgow ont analysé des milliers d’images de manchots prises avec des caméras thermiques infrarouges. Ces images, associées à des modèles de transferts de chaleur, permettent de déterminer avec précision les déperditions de chaleur que ces oiseaux subissent sur la banquise.

Rayonnements et convection thermiques

Lorsque des manchots se retrouvent en périphérie du groupe, dans un froid de -20°C et un vent de 40 km/h en moyenne, « leur température interne reste toujours constante, de l’ordre de 37° à 38°C », rappelle André Ancel. Mais la température des muscles, de la peau et des plumes est plus proche, elle, de celle de l’air environnant. Plus proche, mais... inférieure ! La surface des plumages dorsal et ventral des manchots empereurs est en effet de 5°C environ plus basse que l’air ambiant.

Ce différentiel est le résultat des échanges de rayonnements thermiques. Par temps clair, en effet, les zones exposées au ciel perdent davantage de chaleur, car le rayonnement thermique provenant de l'atmosphère est plus froid. C’est ce même phénomène que l’on observe lorsque, en hiver, le givre recouvre le sol ou le toit et les pare-brises des voitures, orientés vers le ciel.

Le fait que la température du plumage soit inférieure à l’air ambiant permet aux manchots de récupérer de petites quantités de chaleur grâce au phénomène de la convection thermique, un autre type de transfert de chaleur caractéristique du métabolisme du manchot. L’air se trouve à la température ambiante (par exemple, -20°C), légèrement plus chaude que les zones du manchot exposées vers le ciel (par exemple -25°C). En entrant en contact avec elles, l'air dispense donc en retour à l’oiseau d’infimes quantités de chaleur. Dans ces conditions, seuls les ailerons, les pattes et la tête, très irrigués par le système artério-veineux, sont un peu plus chauds que l’air ambiant.

Pour compléter ces observations et affiner les données, les chercheurs retourneront en Terre Adélie en 2014 pour étudier plus en détail une dizaine de couples de manchots empereurs.

Véronique Marsollier le 27/03/2013