Ce plaisir unique de l'écoute musicale

Des scientifiques canadiens ont franchi une nouvelle étape dans la compréhension des mécanismes cérébraux à l’origine de la sensation de plaisir pendant l’écoute musicale. Réalisant une expérience dans des conditions proches de la vie réelle, ils ont mis en évidence les interactions du noyau accumbens et du cortex auditif lorsque nous entendons une musique pour la première fois.

Par Véronique Marsollier, le 15/04/2013

Imaginez que l’on parvienne à voir ce qui se passe dans votre cerveau, à tel point qu'on sache avant vous la musique que vous allez choisir et le prix que vous êtes prêt à l’acheter... C’est l'expérience qui est décrite par une étude parue dans Science le 12 avril 2013. Des chercheurs de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal et de l’université MacGill (également basée à Montréal) ont en effet mesuré l’activité des zones du cerveau associées au plaisir musical, lorsque qu’une composition est entendue pour la première fois, et ce dans des conditions proches de la vie quotidienne.

Cette étude a été menée au laboratoire du Pr Robert Zatorre, connu pour ses travaux en neuroimagerie sur « le frisson musical ». Il a été l’un des premiers à révéler quelles régions cérébrales s'activaient avec le plaisir musical ressenti. En 2011, la même équipe de chercheurs avait découvert qu’écouter de la musique élevait le niveau de dopamine, un neurotransmetteur à l’origine de la sensation de plaisir, sans toutefois parvenir à comprendre pour quelles raisons, ni comment cette molécule se libérait dans le cerveau. En identifiant précisément le mécanisme à l’origine de la sensation du plaisir à l'écoute d'une musique inconnue, ils pensent désormais avoir trouvé une réponse à cette question.

Des conditions d'étude proches de la vie quotidienne

Des interactions entre noyau accumbens et cortex auditif

Pour parvenir à ces nouveaux résultats, les chercheurs ont constitué un échantillon de 19 individus, jeunes et musiciens. Ils leur ont demandé d’écouter 60 extraits musicaux de 30 secondes qu’ils n’avaient jamais entendus auparavant. En outre, les participants pouvaient acheter les morceaux, comme sur Internet, à partir d’une interface de type iTunes et à des prix comparables. Les participants devaient indiquer si le morceau leur plaisait ou non puis, grâce à un système d’enchères, le prix qu'ils étaient disposés à dépenser pour acheter chaque morceau. Pendant ce temps, leurs cerveaux étaient scannés par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Les chercheurs ont ainsi observé que la zone du cerveau appelée noyau accumbens s’activait en fonction du degré d’intérêt de chaque sujet pour le morceau.

Le noyau accumbens joue un rôle particulier dans le système de récompense et de plaisir de l'être humain, ainsi que dans le traitement émotionnel et esthétique de la musique (et de la mémoire). Plus précisément, il intervient dans ce que les spécialistes appellent « la génération d’attente » : « Le sujet est capable de dire, en entendant une musique inconnue, qu'elle lui plaît, car quelque chose de ce morceau lui a déjà plu par le passé, même si cela reste inconscient », explique Hervé Platel, professeur de neuropsychologie à l'université de Caen Basse-Normandie. En d’autres termes, le cerveau est capable, lorsque nous écoutons de la musique, de générer des attentes et nous récompense en nous donnant du plaisir. « Le degré des émotions résulte de la satisfaction ou de l’insatisfaction des attentes. C’est ce qui rend la musique intense au plan émotionnel », précise Valorie Salimpoor, le médecin responsable de l’étude.

Un outil rêvé pour le marketing ?

Réalisée dans des conditions proches de l’écoute réelle, cette étude peut sembler un outil de travail intéressant pour le marketing. Pas si simple, cependant. D'une part, elle n’a pas été conçue pour « espionner » le cerveau. « Le procédé retenu, avec fixation d'un prix par morceau, n’est qu’une astuce méthodologique souvent utilisée par les Anglo-Saxons pour mesurer l’intérêt porté à ce que l’on entend ou perçoit », nuance Henri Platel.

D'autre part, même si les scientifiques peuvent « prédire » un achat en observant les interactions et l’activité du cerveau, chacun a une façon bien personnelle d’apprécier la musique. D'ailleurs, le noyau accumbens ne s’active pas seul, mais interagit avec le cortex auditif, qui analyse les informations auditives. « Or le cortex auditif est propre à chacun, car l'ensemble des sons et musiques entendus durant l'existence s’y inscrivent. C'est pourquoi nous aimons chacun des musiques différentes », précise Valorie Salimpoor. Plus le plaisir à écouter un morceau de musique est intense, plus les échanges entre le noyau accumbens et le cortex auditif sont nombreux et plus les participants sont prêts à dépenser pour acquérir le morceau. 

Les spécialistes du marketing devront donc imaginer d'autres moyens pour exploiter l'activité de notre cerveau lorsque nous écoutons de la musique...

 

Véronique Marsollier le 15/04/2013