Acidification des océans : déséquilibre planctonique en perspective

L’acidification progressive des océans permettrait aux plus petits organismes planctoniques de se développer au détriment des plus grands. Conséquence : un bouleversement de la chaîne alimentaire, mais surtout un impact sur la régulation du climat.

Par Véronique Marsollier, le 23/09/2013

Avec l’acidification des océans, les plus petits organismes planctoniques pourraient se développer au détriment des plus gros. C’est en tout cas la conclusion à laquelle sont arrivés des biologistes européens, au terme d'une mission menée en Arctique. Conséquence attendue de ce déséquilibre : un bouleversement de la chaîne alimentaire, mais aussi un impact non négligeable sur le climat. En effet, le développement de ces organismes planctoniques pourrait altérer le stockage du CO2 au fond des océans et contribuer à diminuer la couverture nuageuse au-dessus des océans.

Comprendre les conséquences de l'acidification

Lancé en 2008 et coordonné par Jean-Pierre Gattuso, chercheur au Laboratoire d'océanographie de Villefranche-sur-Mer, le projet EPOCA (European Project on Ocean Acidification) vise à comprendre les conséquences de l’acidification des océans, observée depuis plusieurs années en raison de l’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère. « Nous pensons que c’est dans les zones polaires que les impacts de l’acidification des océans apparaîtront en premier », explique Jean-Pierre Gattuso. En effet, les eaux froides absorbent plus facilement le dioxyde de carbone que les eaux chaudes ou tempérées. Elles s’acidifient donc plus rapidement.

Les chercheurs injectent de l'eau riche en CO2 dans un mésocosme.

Une des expériences phare du projet EPOCA – dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue Biogeosciences – s’est déroulée en mai 2010 en Arctique, dans la baie du Roi au large de Ny-Alesund, à l’ouest du Spitzberg.

L’expérience consistait à tester in situ différents taux de pH sur le plancton. Pour la mener à bien, l’équipe a déployé en mer neuf mésocosmes, immenses sacs en plastique de 50 m3 maintenus par des structures de huit mètres de haut. Ces sacs ont permis d’emprisonner toutes les espèces présentes à ce moment-là dans le fjord. « Dans sept sacs, nous avons ajouté des composés pour augmenter l’acidité et simuler ce qui se passera en 2020, puis tous les 20 ans jusqu’en 2100 », précise Jean-Pierre Gattuso. Deux autres sacs, les sacs « contrôle », contenaient de l’eau de mer sans ajout.

Résultat : le petit phytoplancton, en l’occurrence le picoplancton (2-0,2 µm) et le nanoplancton (20-2 µm), s’est beaucoup plus développé dès lors que l’eau était plus acide.

Déséquilibre planctonique

Picoplancton observé au microscope à épifluorescence

Les organismes formant le pico et le nanoplancton consomment une part plus importante des sels nutritifs au détriment du phytoplancton de plus grande taille : les diatomées qui, en l'occurrence, éprouvent de plus grandes difficultés à se développer. Comme elles constituent les proies principales du zooplancton, toute la chaîne alimentaire pourrait se trouver bouleversée. L'expérience a cependant été trop courte pour estimer l'impact réel de l'acidification sur le zooplancton.

Les chercheurs estiment cependant que le développement de ces minuscules espèces pourrait avoir des conséquences climatiques en altérant le stockage du CO2 dans les océans. En effet, si le phytoplancton de plus grande taille est à l’origine d’une exportation massive de matières organiques - et donc de carbone - au fond des océans, ce n'est pas le cas du phytoplancton de petite taille. Celui-ci est recyclé en surface, digéré par les bactéries puis transformé en CO2.

Par ailleurs, cette prolifération pourrait contribuer au réchauffement climatique en diminuant la couverture nuageuse. En effet, le phytoplancton a la particularité d’émettre du sulfure de diméthyle (DMS) dans l’air. Or la production de ce gaz favorise la formation de nuages protégeant la Terre des rayonnements solaires et réduisant ainsi l'effet de serre. Et lors des expériences, les scientifiques ont pu constater que les émissions de DMS étaient moins importantes dès lors que l'acidité était plus élevée.

Au vu de ces premiers résultats, les chercheurs estiment qu'il est absolument nécessaire de poursuivre cette piste et de multiplier les expériences de ce type sur le terrain.

Véronique Marsollier le 23/09/2013