Sortie d'Afrique, l'hypothèse fluviale

Grâce à une nouvelle modélisation paléohydrologique, des chercheurs britanniques pensent que le Sahara a pu être traversé par trois fleuves il y a près de 100.000 ans. Leur étude ouvre la porte à de nouvelles hypothèses sur la migration de l’Homme moderne du sud vers le nord de l'Afrique.

Par Véronique Marsollier, le 23/09/2013

Sahara : simulation des eaux de surface pendant le dernier interglaciaire (c. 100.000 ans)
Portrait simulé du Sahara il y a 100.000 ans

Il y a 100.000 ans, l’homme a-t-il pu traverser le désert du Sahara en longeant les rives de fleuves pour migrer du sud vers le nord ? C’est l’hypothèse retenue par une équipe de l'université de Hull, au Royaume-Uni, dirigée par le professeur Tom Coulthard, géographe spécialisé en géomorphologie fluviale. Pour la valider, les chercheurs se sont appuyés sur une nouvelle approche de modélisation paléohydrologique et hydraulique dont les résultats ont été publié le 11 septembre dans Plos One.

Ils ont effectué une simulation des données climatiques durant la dernière période interglaciaire et élaboré un modèle. Ce dernier révèle que des moussons pouvaient se former à environ 1000 km au nord de l’endroit où elles tombent aujourd’hui, déversant ainsi la pluie sur les montagnes dans le Sahara central (Hoggar et Tibesti actuel). Ces énormes quantités d’eau, associées à la configuration du terrain, offraient des conditions idéales pour alimenter trois grands fleuves de surface, chacun approximativement de la taille du Nil. Ils auraient aussi pu former de vastes zones humides avec de nombreux lacs, sur l'emplacement de la Libye actuelle.

Une migration humaine par les fleuves ?

Paléopluviométries utilisées  comme base au modèle numérique
Les précipitations à l'époque préhistorique

Les spécialistes estiment que l’Homme moderne est sorti d’Afrique il y a 100.000 ans environ, sans que l’on connaisse précisément les voies qu’il a empruntées pour cela. Deux hypothèses coexistent : une dispersion par la mer Rouge, qui emprunte les régions côtières ; ou le long du tracé du Nil à partir de l’Afrique de l’Est, vers le nord. Or si les trois systèmes paléofluviaux identifiés par les chercheurs, aujourd’hui enterrés, ont bien existé à cette période, ils ont pu favoriser une migration humaine à travers le Sahara. La rivière Irharhar, la plus à l’ouest des trois, est la voie la plus probable à cet égard. Quoique active quelques mois par an seulement, elle coule directement du sud vers le nord en reliant de manière continue les zones montagneuses. Ce « corridor », caractérisé par un climat méditerranéen tempéré avec des périodes de moussons, aurait abondé en ressources naturelles.

Des résultats à confronter au terrain

Selon les chercheurs britanniques, ces résultats permettent non seulement de formuler de nouvelles hypothèses, mais aussi d'éprouver la technique des simulations paléoclimatiques. Cette conclusion n’est cependant pas partagée par tous les scientifiques. Ainsi, pour le Dr Stéphan Kröpelin, archéogéologue de l’université de Cologne, en Allemagne, et spécialiste du Quaternaire, l’hypothèse de départ est certes valable et la modélisation, intéressante. Mais il faudrait, pour la valider, associer les données du modèle à celles du terrain. Or, explique-t-il, « ceux qui connaissent bien le Sahara et l’étudient sur le terrain savent combien il est difficile de récolter des données solides : il faudrait pouvoir partir de données archéologiques et géologiques fines pour établir un modèle fiable ». Pour cet homme de terrain, les vues satellite et les données climatiques ne suffisent donc pas à forger des théories solides, même si la modélisation ouvre de nouvelles pistes de réflexion.

Véronique Marsollier le 23/09/2013