Vent nouveau sur le « boom de l’oxygène »

La « catastrophe de l’oxygène », qui a permis l'apparition sur Terre de la vie telle que nous la connaissons aujourd'hui, se serait produite 600 milllions d'années plus tôt que ce qu'on pensait jusqu'alors. C'est le résultat d'une étude internationale sur la présence de métaux dans des roches sud-africaines datant de l'Archéen, aux origines de la vie.

Par Julie Lacaze, le 03/10/2013

Trace de l'apparition de l'oxygène à la fin de l'Archéen : les gisements de fer oxydé.

Le grand « boom de l’oxygène » a eu lieu il y a 2,3 milliards d’années. L’apparition massive de ce nouvel élément dans l’atmosphère a plongé notre planète dans l’une des plus longues périodes de glaciation de son histoire, rendant l’air toxique pour la plupart des organismes vivants de l'époque, mais permettant l'apparition de la vie telle qu’on la connaît aujourd’hui. Ce que les biogéologues appellent « la catastrophe de l’oxygène » a, en effet, abouti à l’apparition d’organismes dits « aérobies », pouvant respirer grâce au dioxygène.

Une variation de 600 millions d'années

L'enjeu d'une telle étude, selon le géochimiste Karim Benzerara

Or une nouvelle étude indique que l’oxygénation de l’atmosphère se serait produite bien plus tôt dans l’histoire de la planète. Pas moins de 600 millions d’années, en effet, séparent le nouveau pronostic, publié dans la revue Nature le 26 septembre, de la datation retenue jusqu'à ce jour.

Pour parvenir à ce résultat, l’équipe scientifique composée de chercheurs danois, australiens et allemands, a quantifié, en Afrique du Sud, la présence d’un métal sensible à l’oxydation : le chrome. En présence d’oxygène, le chrome parvient à un état supérieur d’oxydation (passant de Cr3+ à Cr6+). Les traces de cet événement oxydatif ont été mesurées dans des roches archéennes, datant du Précambrien, en calculant la répartition des isotopes 53 et 52 de l’élément. Résultat : il y a 3 milliards d’années, l’atmosphère était déjà oxygénée. Bien que le taux relevé soit 10 000 fois moins important que l'actuel, cela indique bien que le phénomène à l’origine de l’apparition du gaz s’est produit bien avant la datation habituelle de la « catastrophe de l’oxygène ».

Reste à savoir si ce taux de dioxygène enregistré n’est pas lié à un phénomène local d’émissions de dioxygène par des petites colonies de cyanobactéries. « A priori non », répond le géobiologiste Karim Benzerara, « puisque les mesures ont été faites sur un paléosol et sur des sédiments marins ». Les résultats obtenus à partir du milieu continental et marin confirment tous deux la présence d’oxygène, signe d’une apparition globale de l’élément.

Un problème subsiste : les nouvelles mesures ne concordent pas, chronologiquement, avec la date d’apparition supposée des cyanobactéries. Ces micro-organismes sont censés être à l’origine de l’oxygénation de la Terre au terme d’un métabolisme qui leur est propre : ils tirent leur énergie de la photosynthèse, comme les plantes, mais à l’inverse des autres organismes vivants, ils utilisent une molécule non organique (le CO2) et libèrent du dioxygène. Pour que les cyanobactéries soient effectivement à l’origine du « boom de l’oxygène », il faut donc repousser la date de leur apparition de 300 à 400 millions d’années. « Mais c'est un sujet sur lequel tout a été écrit », ironise le géobiologiste, puisque l’âge exact de leur apparition reste incertain.

Bactéries et volcans

La rivalité entre les cyanobactéries et les volcans, selon le géologue Fabrice Gaillard

En outre, l’apparition du dioxygène dans l’atmosphère ne serait pas seulement due à ces fameuses cyanobactéries. Ainsi, pour le géologue Fabrice Gaillard, de l’Institut des sciences de la Terre d'Orléans (ISTO), un autre phénomène aurait joué un rôle majeur : l’activité volcanique. Celle-ci est habituellement consommatrice de l'O2 produit par les cyanobactéries. Mais que leur activité diminue, alors que l'activité métabolique des cyanobactéries demeure constante, et il se produit un excès d'oxygène qui peut alors se répandre dans l'atmosphère. C'est peut-être ce qui s'est produit au moment du « grand boom de l'oxygène ».

Pourquoi l’étude parue dans Nature ne fait-elle pas état des variations de l’activité volcanique, pourtant très marquées à cette époque ? Pour Fabrice Gaillard, la réponse est simple : « Les auteurs ont mentionné la théorie privilégiée par les biologistes, celle des cyanobactéries, probablement par méconnaissance de celle des géologues ».

Selon lui, enfin, un autre aspect a également été oublié : « Le taux d’oxygène calculé dans l’étude est comparable à celui mesuré sur Mars où il n’y a pas, jusqu’à preuve du contraire, d’activité biologique ». C'est bien la preuve que d’autres mécanismes peuvent entrer en jeu dans la fabrication d’oxygène, notamment la photodissociation, qui libère de l’oxygène sous l’effet des rayons lumineux dans l’atmosphère. Mais ces phénomènes physico-chimiques sont, pour l’heure, beaucoup moins bien connus que l’implication des cyanobactéries dans l’oxygénation de l’atmosphère.

Julie Lacaze le 03/10/2013