Sonder les océans, tout un programme !

L’exploration des océans par les forages permet de mieux comprendre l’environnement et le climat. Depuis début octobre, un nouveau programme international, l'IODP, prend la relève du programme antérieur pour les dix années à venir. 

Par Véronique Marsollier, le 21/10/2013

Le programme scientifique de forage des océans IODP (Integrated Ocean Drilling Program), lancé il y a tout juste dix ans, vient de s'achever. Mais il se poursuit, depuis le 1er octobre 2013, pour une décennie supplémentaire, sous un nouveau nom et avec une nouvelle feuille de route. 

Pourquoi des forages océaniques ?

Carotte prélevée lors d'un forage

Le plancher océanique renferme de nombreuses informations sur la structure et l’évolution de la Terre. Mais le forage est la seule technique qui permette d’obtenir des échantillons in situ, étudiés ensuite en laboratoire. Ces échantillons ou carottes constitués de sédiments qui se sont déposés sur le plancher océanique, de roches, de fluides et d’organismes vivants, sont riches d’enseignement. En effet, ces échantillons ont enregistré les variations du climat sur des millions d’années et donnent des informations fondamentales sur le changement climatique. En 2008, cette technique a permis de découvrir sous le plancher océanique « la biosphère profonde » constituée par des micro-organismes vivant à plus d’un kilomètre de profondeur. En forant dans les dorsales océaniques ou les fosses de subduction, on peut maintenant mieux étudier la tectonique des plaques et comprendre les grands séismes ou les éruptions volcaniques. Les forages océaniques ont aussi permis de découvrir des hydrates de gaz sous l’Arctique. Mélange cristallisé d'eau et de gaz, ils constitueraient une ressource considérable de gaz naturel pour l'avenir.

Une coopération internationale

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L'étude des carottes aux laboratoires de Brême

Ces forages nécessitent des moyens techniques et humains considérables. L'exploration océanique de la planète  ne peut donc être envisagée qu’à l'échelle internationale. Aussi, en 2003, a été mis en place un programme international d’exploration des océans par forages (IODP, Integrated Ocean Drilling Program). Il associait des moyens techniques et des scientifiques des États-Unis, du Japon, de l’Europe et du Canada, ainsi que des membres associés comme la Chine, la Corée du Sud, l’Australie, l’Inde et le Brésil. Afin de poursuivre cette coopération, un nouveau programme, l'IODP (International Ocean Discovery Program) a été lancé en octobre pour une période de dix ans.

L’IODP est le programme le plus important en géosciences consacré à l’exploration de la Terre sous les océans. Quatre thèmes de recherche seront privilégiés : les changements climatiques et océaniques, les limites de la vie sous le plancher océanique, les processus profonds de l’intérieur de la Terre et leurs impacts à la surface, ainsi que les processus à l’origine de risques majeurs aux échelles de temps humains. Contrairement au programme précédent, les missions sont orientées vers des thèmes sociaux : changements climatiques, risques sismiques etc. Sur le plan de l'organisation, le nouveau programme, plus léger, permet une réduction significative des coûts de fonctionnement et une meilleure efficacité des procédures d'évaluation scientifique et de mise en opération. Enfin, il est davantage ouvert aux collaborations avec les autres programmes scientifiques et aux co-financements, qu'ils soient nationaux ou internationaux.

Dans un contexte de recherche effrénée de nouvelles ressources minières, l’enjeu d’un tel programme est-il exclusivement scientifique ? Voici ce qu'en pense Gilbert Camoin, climatologue, directeur de recherche au CNRS-INSU et directeur de l’agence de gestion d’ECORD : « L'exploration des ressources minières ou pétrolières des fonds marins ne fait pas partie des objectifs du programme, mais l'acquisition de données géologiques représente toujours une condition sine qua non de l'exploration à visée industrielle ».

Échanges et formation de scientifiques

L’échange international et la formation des jeunes scientifiques sont fortement encouragés au sein de l'IODP. De fait, les missions de forage constituent d'intéressantes opportunités pour les scientifiques expérimentés et les jeunes chercheurs.« Les scientifiques européens et canadiens auront la possibilité de travailler sur les navires de forage japonais et américains, comme les chercheurs américains et japonais pourront prendre part aux expéditions dirigées par les Européens », explique Carlota Escutia, chercheuse au Research Council of Spain (CSIC) et présidente du Comité scientifique de l'European Consortium for Ocean Drilling Research (ECORD). Les scientifiques des pays moins favorisés, comme le Brésil ou l’Inde, profiteront aussi de ces échanges. Autre caractéristique du programme, les propositions de forage émanent directement des scientifiques travaillant sur le terrain.

La participation européenne

Plate-formes et navires de forage océaniques
Plate-formes et navires de forage océaniques

Depuis 2003, le consortium européen ECORD, auquel participe la France aux côtés de 18 autres pays, représente la contribution européenne à l'IODP. Il monte les expéditions nécessitant d'autres plateformes que les navires de l'IODP pour remplir les objectifs du programme. C’est le CNRS qui, à travers ECORD, gère la participation financière européenne, d’un montant annuel de 20 millions de dollars pour le nouveau programme. La France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne sont les pays les plus impliqués, notamment en termes de moyens financiers (5,6 millions de dollars par an pour la France).

Mais ce qui caractérise ECORD, c’est la mutualisation des moyens entre pays participants. « Chaque pays adhérent apporte sa contribution selon ses possibilités, financièrement ou en nature, par exemple par du prêt de matériel », explique Gilbert Camoin.

À la différence des États-unis et du Japon, membres d’IODP, « l'Europe n’a pas construit de bateaux pour forer. Nous louons les navires ou les plateformes à des armateurs au cas par cas. En effet, chaque forage est spécifique », précise Gilbert Camoin. Les scientifiques européens exploreront donc les régions océaniques là où les navires foreurs américain et japonais ne pourront pas fonctionner, comme l’Arctique pris dans les glaces ou les eaux antarctiques. Peu d’expéditions de forage ont pu être réalisées à ce jour dans ces régions hostiles, qui jouent pourtant un rôle majeur dans le changement climatique. L’exploration de ces régions constitue donc une priorité. 

Des moyens renforcés pour ECORD

Des moyens financiers plus importants seront alloués aux missions européennes : « Nous souhaitons renforcer la visibilité de l’Europe en accordant plus de moyens aux projets ECORD (environ 12 millions de dollars contre 8 millions pour les États-Unis et le Japon). Ces apports financiers permettront de mettre l’accent sur le développement technologique et l’innovation, comme les mesures physiques de forage, et, espérons-nous, de programmer au moins une expédition ECORD par an, voire plus, alors qu’auparavant nous n’en programmions qu’une tous les deux ans ».

Une expédition en mer Baltique se poursuivra jusqu'en novembre. La prochaine mission opérée par ECORD sera arrêtée en mars prochain. Elle devrait concerner la ride médio-Atlantique, chaîne de relief sous-marine où les plaques océaniques s’écartent l’une de l‘autre.

Véronique Marsollier le 21/10/2013