La silhouette idéale, une perception locale

À quoi ressemble la silhouette idéale ? Une étude menée par des chercheurs français montre que cette perception varie énormément d'un pays à l'autre...

Par Florent Tournus, le 25/10/2013

La silhouette idéale est-elle la même selon les Français, les Coréens et les Mexicains ? Plus généralement, les normes de minceur sont-elles identiques sur toute la planète ? Pour la première fois, des chercheurs français se sont efforcés de répondre scientifiquement à la question en étudiant les représentations du corps idéal dans différents pays. Ils ont notamment découvert que la silhouette du compatriote moyen… est rarement celle que l’on préfère.

En quête de la « forme idéale »

Thibaut de Saint Pol, sociologue et auteur de l'étude, commente la démarche scientifique (audio).

L’étude parue dans le bulletin de l’Ined (Institut national d’études démographiques) est tirée d’une enquête internationale portant sur quelque 20 000 individus de 13 pays répartis sur toute la planète. Selon Thibaut de Saint Pol, un de ses auteurs, « cette enquête propose des données internationales comparables, ce qui en fait l’intérêt. Les données existaient depuis 2007, mais elles n’avaient pas encore été exploitées ».

La méthodologie est simple : les personnes sondées, hommes et femmes confondus, ont été invitées à choisir les silhouettes masculine et féminine jugées « idéales » parmi quatre propositions numérotées de 1 à 4 (et correspondant à quatre échelons sur une échelle minceur-corpulence, pouvant être considérées comme « très mince », « mince », « corpulente » et « très corpulente »).

 

Une grande disparité

L’étude révèle que la forme idéale des hommes et des femmes varie fortement d’un pays à l’autre. Par exemple, l’idéal féminin est « mince » ou « très mince » pour plus de 80 % des Coréens, mais seulement pour 38 % des Irlandais (ces pays représentent les cas extrêmes).

L’idéal de minceur peut, en outre, différer pour les hommes et les femmes, comme c’est le cas en France où une silhouette mince ou très mince est préférée pour les femmes dans 53 % des cas, mais dans seulement 37 % des cas pour les hommes. « En France, on valorise beaucoup la minceur féminine, alors que les hommes peuvent être plus corpulents », note l’auteur de l’étude. « Les indicateurs utilisés voilent une partie de la réalité », relève cependant le sociologue, puisque, par exemple, les hommes aussi bien que les femmes ont donné leur avis sur les silhouettes des deux sexes : on ignore donc, qui, des hommes ou des femmes, valorise plutôt la minceur ou la corpulence pour son sexe et pour l’autre sexe.

Une minceur à genre variable

Les idéaux de minceur selon le sexe et le pays
Les idéaux de minceur selon le sexe et le pays

Sept des pays étudiés - dont la France - préfèrent la minceur chez les femmes plutôt que chez les hommes. Pour la Russie, l'Irlande et la Corée du Sud, les idéaux féminin et masculin se rejoignent. L’Uruguay, le Mexique et l’Autriche se distinguent : la minceur y est plus appréciée chez l’homme que chez la femme. La variété des résultats obtenus démontre ainsi que la valorisation de la minceur est plus ou moins forte selon les pays et selon le genre. « On se rend compte que ce que l’on valorise chez l’homme ou la femme, ce n'est pas la même chose. Et que d’un pays à l’autre, parfois, c’est même l’opposé », commente l’auteur.

« Le corps est essentiel pour comprendre notre société », explique Thibaut de Saint Pol, sociologue et auteur de l'étude.

Au-delà de ce constat, et puisque, comme le souligne Thibaut de Saint Pol, « le corps est essentiel pour comprendre ce qui se passe dans nos sociétés et l’ensemble de nos interactions », les tendances observées gagneraient à être mises en perspective avec d’autres données sociologiques : de quoi résultent ces représentations idéales ? Comment évoluent-elles ? Quelles conséquences ont-elles sur la société ? Autant de questions qui interrogent le lien entre notre corps et nos comportements, et ce dans les deux sens. Thibaut de Saint Pol est bien conscient du travail qu’il reste à accomplir : « Certes, on dispose d'une sorte de cadrage, on met en avant des variations, mais le sujet mériterait une étude beaucoup plus détaillée. Car aujourd'hui, on peut avancer plein d’hypothèses différentes. Il y a donc un risque de surinterprétation ».

Entre « corps réel » et « corps désirable »

« Les indicateurs utilisés voilent une partie de la réalité », estime le sociologue Thibaut de Saint Pol, auteur de l'étude.

Les auteurs étudient également la corrélation entre les formes vues comme « idéales » et la morphologie moyenne des différentes populations. De manière inattendue, l’étude montre que les préférences ne reflètent pas nécessairement la corpulence des habitants d’un pays : autrement dit, la silhouette idéale n’est pas forcément la plus répandue ! Les chercheurs parlent alors d’une dissonance entre « corps réel » et « corps désirable ». Et le sociologue explique : « Dans nos sociétés, le corps est comme un capital. On fait l’hypothèse qu’il y a une pression pour tendre vers le corps idéal ».

C’est donc une véritable « pression de minceur » qui peut s’exercer parfois sur les hommes, très souvent sur les femmes. « En France, on sait qu’il s'exerce une forte pression sur le corps des femmes. La minceur représente un véritable atout social », insiste Thibaut de Saint Pol. Même s’il est difficile d’évaluer l’impact social de cet écart entre corpulence réelle et silhouette parfaite, et de bien cerner les ressorts de cette pression de minceur, l'auteur fait remarquer que l'on dispose d’études qualitatives qui permettront de mieux comprendre ces comportements. « Il y a en fait beaucoup de différences entre les générations, entre ville et campagne, entre niveaux sociaux », poursuit-il. La tâche promet d’être ardue.

Florent Tournus le 25/10/2013