Tcheliabinsk : une météorite banale au destin hors norme

Près de neuf mois après la très médiatisée chute de la météorite sur Tcheliabinsk, en Russie, trois études paraissent simultanément dans les revues Science et Nature. Résultat : si l’objet est plutôt banal, son destin exceptionnel et très bien documenté fait le bonheur des chasseurs de météorites.

Par Barbara Vignaux, le 07/11/2013

Plus gros fragment de la météorite

C’est à une altitude de 97 kilomètres que l’astéroïde est observé pour la première fois, ce 15 février 2013, à l’aube, au-dessus de Tcheliabinsk, en Russie. Poursuivant son entrée dans l’atmosphère, il commence à se fragmenter quelques centaines de mètres plus bas, à 83 km du sol, semant dans son sillage un nuage de débris. Puis il atteint son point de chaleur et de luminosité maximales – trente fois le Soleil ! – à une altitude de 30 kilomètres. Déjà ralenti dans sa course, il voyage alors à la vitesse impressionnante de 18,6 kilomètres par seconde (km/s).

À 12 km d'altitude, sa vitesse est encore de 11,5 km/s. Heureusement, entre 30 et 50 km d'altitude, l’astéroïde a éclaté en de multiples fragments, ce qui en a ralenti la chute et donc le potentiel destructeur.

Un trou de sept mètres dans le lac de Tcherbakoul (Photo : Edouard Kalinin)

Une chance, car même ainsi, plus de 3.613 immeubles d’habitation de Tcheliabinsk ont eu des vitres brisées par le souffle de l'explosion. Le toit d’une petite usine de zinc s'est écroulé et des personnes ont été jetées à terre. Par chance, personne n’a été tué, même si l’événement a fait un millier de blessés, le plus souvent par des coupures de verre. Quant au plus gros « morceau », c'est dans le lac de Tcherbakoul qu'il a fini sa course. Résultat : un trou de sept mètres dans 70 cm d’épaisseur gelée ! Ce morceau et d'autres fragments ont pu être repêchés en octobre dernier. L'analyse de leur composition fait partie des informations traitées dans les articles de Science et Nature qui viennent d'être publiés.

Fragments de la météorite repêchés dans le lac (Photo : Science/AAAS)

Moins de 0,1 % de la masse initiale

« C'est la première fois que la chute d'une météorite est filmée par des dizaines de personnes, ce qui a permis de reconstituer sa trajectoire d’une manière inhabituelle pour une météorite », explique Brigitte Zanda, « météoritologue » – le terme est d’elle – au Muséum national d’histoire naturelle.

Les trois équipes internationales ayant travaillé sur le sujet, réunissant plus de 70 chercheurs, ont pu utiliser l’abondante masse d’images disponibles, souvent postées en temps réel sur Internet par les témoins de l’événement le 15 février 2013, tirées des vidéos amateurs, des dash-cams (caméras et « boîtes noires » embarquées sur les voitures russes) et plus tard, des enregistrements des caméras de surveillance.

Neuf mois après l’événement, les trois articles apportent bien d’autres précisions. Le diamètre initial de l’astéroïde était de 19,8 mètres – avec une marge d’erreur de ± 4,6 mètres, précisent les chercheurs. En tout, quelque 570 kg de fragments ont été récupérés dans les eaux de Tcherbakoul, soit seulement 0,03 à 0,05 % de la masse initiale de l’astéroïde, estimée à 12.000 ou 13.000 tonnes ! En effet, 76 % de l’astéroïde s’est évaporé au contact de l’atmosphère, le gros de la masse restante s’étant transformé en poussières.

Une composition banale…

Qu'est-ce qu'une chondrite ? La réponse de Brigitte Zanda

Selon les dernières estimations livrées par Science, l’impact a libéré une énergie de 570 kilotonnes (avec une marge d’erreur de 150 kt, précise l’étude), soit environ 30 fois la bombe atomique d’Hiroshima. C’est l’impact le plus important depuis la chute, le 30 juin 1908, d’une météorite d’une taille équivalente, connue sous le nom de Toungouska et aux répercussions spectaculaires mais peu documentées, faute d’observateur : la taïga brûlée sur 2000 km2 et une libération d’énergie équivalente à 1000 fois la bombe d’Hiroshima.

Quant à la météorite elle-même, elle est plutôt banale. En effet, l’analyse de la composition minérale de ses fragments confirme – comme le supposaient déjà les scientifiques – qu’elle est une chondrite, c’est-à-dire de nature pierreuse, la catégorie la plus ordinaire. De manière plus fine, elle appartient à la sous-catégorie dite LL (pour Low iron, Low metal, soit « faible teneur en fer et en métal »), ce qui est plus rare : « Seulement 8,2 % des chutes de météorites sont des chondrites LL », signale l’étude. Même si ce n’est pas une surprise, cette information est intéressante, car ces fragments pourront être comparés à ceux d’Itokawa, dont plusieurs échantillons ont été recueillis dans le cadre de la mission Hayabusa.

Un village près de Tcheliabinsk (Photo : Peter Jenniskens)

Banale aussi est l’apparence des fragments récoltés : « Les échantillons portent des veines de choc importantes, donc le corps-parent a subi des impacts aujourd’hui visibles. Ce n’est pas inintéressant, car cela nous renseigne sur l’évolution de l’astéroïde dont provient cette météorite, mais c’est assez ponctuel », indique Brigitte Zanda.

… mais un destin exceptionnel

Les trajectoires de la météorite de Tcheliabinsk et de l'astéroïde 86039

Tcheliabinsk est moins exceptionnelle par sa nature que par son histoire. Sur ce dernier point, une hypothèse existe déjà, qu'il faudra valider. Vu sa composition chimique et sa date de formation, cette météorite pourrait provenir du même groupe que l'astéroïde 86039 (au diamètre de 2,2 km de diamètre), qui appartient à la grande ceinture d'astéroïdes située entre Mars et Jupiter, dont elle aurait été éjectée par un choc.

L’astéroïde 86039 est bien connu des astronomes : surveillé depuis des années, il est considéré comme potentiellement dangereux. « À vrai dire, on suppose que toutes les chondrites LL viennent d’un même objet, qu’on appelle leur corps-parent, mais on n’en est pas sûr, il y a encore beaucoup à découvrir », commente Brigitte Zanda.

Les promesses de Tcheliabinsk, selon Brigitte Zanda (audio)

Enfin, l’événement de février 2013 remet en question la croyance selon laquelle les astéroïdes de petite taille – d’un diamètre de 10 à 50 mètres – sont plutôt inoffensifs… Jusqu’à cette date, en effet, ils n’avaient fait qu’une seule victime, en blessant un homme. Il est vrai que très peu de ces objets ont pu être observés en arrivant sur Terre. L’étude de cette météorite russe permettra donc « d’affiner les modèles théoriques sur la trajectoire et la probabilité de chutes de ce type d'astéroïdes », explique Brigitte Zanda. Une tâche d'autant plus indispensable que plusieurs millions de ces objets célestes tourneraient autour de la Terre… « Tcheliabinsk nous rappelle d’une manière assez brutale que la Terre ne vit pas isolée, qu’elle peut être affectée par les objets célestes ! »

Barbara Vignaux le 07/11/2013