Une expansion démographique précoce

Le développement de l’agriculture ne serait pas antérieur aux grandes expansions humaines, comme on le croyait, mais postérieur. C'est ce que confirme une étude génétique française de grande ampleur qui vient d'être publiée.

Par Véronique Marsollier, le 21/11/2013

Campement d
Campement d'éleveurs nomades en Asie centrale

Est-ce le point final au débat entre archéologues, paléoanthropologues et généticiens des populations ? Alors que les premiers considèrent le développement agricole comme le point de départ des grandes expansions démographiques humaines, une étude génétique, réalisée par des chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle, du CNRS et de l’institut Pasteur, et parue le 11 octobre dans la revue Molecular Biology and Evolution, remet en question cette théorie. 

Des analyses systématiques des données génétiques recueillies auprès de populations contemporaines d’agriculteurs, d’éleveurs et de chasseurs cueilleurs en Afrique et en Eurasie, et combinées à d’autres données déjà publiées, ont permis de dater les phénomènes d'expansion démographique, c'est-à-dire l'augmentation de la taille des populations étudiées. Les chercheurs ont remarqué qu'elle était caractéristique des populations sédentarisées.

Des données génétiques variables selon l'histoire des populations, par Frédéric Austerlitz (audio)

De fait, le signal d’expansion est très marqué chez les agriculteurs, modéré chez les éleveurs, mais absent chez les chasseurs cueilleurs qui n'ont jamais été sédentarisés. Et lorsqu'elle a eu lieu, l'expansion démographique a précédé l’apparition de l’agriculture.

Ces résultats vont à rebours des conclusions des archéologues et des paléoanthropologues. En Afrique, le développement démographique aurait commencé il y a 12.000 à 8.000 ans, alors que les premières traces d’agriculture relevées par les archéologues ne datent que de 5.000 ans. De même, en Eurasie, la croissance démographique aurait commencé entre 60.000 et 10.000 ans avant notre ère, soit à la fin du Paléolithique moyen ou au Paléolithique supérieur.

« Notre hypothèse, explique Carla Aimé, étudiante en thèse au MNHN et auteur de l’étude, c’est que de fortes expansions démographiques avant le Néolithique, dans certaines populations, ont favorisé l’apparition de l’agriculture et leur sédentarisation ».

Pourquoi le Néolithique ?

Au Néolithique, entre 11.000 et 5.000 ans avant notre ère, selon les régions, la domestication des plantes et des animaux, notamment au Proche-Orient, en Chine et en Nouvelle-Guinée, modifie profondément le mode de vie de nombreuses populations. Jusqu’ici constituées de chasseurs cueilleurs mobiles, la plupart d’entre elles se sédentarisent. D’autres, notamment dans les régions les plus arides, développent l’élevage et conservent un mode de vie partiellement nomade.

Principes de génétique des populations à propos de l'étude, par Carla Aimé (audio)

Explication la plus probable de ces expansions : des innovations technologiques au Paléolithique, notamment de nouveaux outils de chasse comme l’arc ou certains projectiles. Ces outils ont pu permettre à certaines populations de se procurer davantage de nourriture et ainsi favoriser leur développement. À son tour, cette croissance démographique aurait entraîné le développement agricole, afin de répondre aux besoins de cette population toujours plus nombreuse.

« Ce ne sont que des hypothèses, souligne Carla Aimé, car ce que l’on observe dans l’étude, ce sont seulement les variations d’effectifs ». Mais, précise Frédéric Austerlitz, directeur de recherche au Laboratoire Éco-anthropologie et Ethnobiologie (CNRS) et auteur de l’étude, « nous ne sommes pas les seuls à montrer ce phénomène d’expansion. En revanche, notre étude a l’avantage d’être systématique et réalisée sur plusieurs régions du monde, à partir des mêmes outils d’analyse ».

Véronique Marsollier le 21/11/2013