Le cerveau contre le cannabis

C'est une nouvelle piste pour réduire l’addiction au cannabis : des chercheurs de l'Inserm ont mis en évidence pour la première fois un mécanisme naturel de protection du cerveau contre les effets du THC. Les essais cliniques pourraient débuter d’ici 18 mois.

Par Barbara Vignaux, le 06/01/2014

Le mécanisme de la dépendance

Et si le cerveau constituait notre meilleure arme contre l'addiction au cannabis ? Il génère en effet une molécule, la prégnénolone, qui constitue un mécanisme de défense naturel contre les effets néfastes du THC, son principe actif. Ce phénomène a été découvert grâce à des expériences conduites sur la souris par deux équipes de chercheurs de l’Inserm dirigées par Vincenzo Piazza et Giovanni Marsicano, de l’unité Neurocentre Magendie de Bordeaux. Il a fait l’objet d’une parution dans la revue Science en date du 3 janvier 2014.

Ces deux équipes cherchaient à identifier des correspondances entre certaines hormones stéroïdes (testostérone, progestérone, cortisol…) et la dépendance aux drogues les plus couramment consommées, comme la cocaïne, la morphine, la nicotine ou l’alcool. Elles ont ainsi observé que chez le rat, le THC, le principe actif du cannabis, était la seule drogue qui entraînait une augmentation très significative d’une des hormones recherchées : la prégnénolone (jusqu’à 3000 % durant deux heures).

Rétro-contrôle hormonal

L’action de la prégnénolone

Un résultat d’autant plus inattendu que jusqu’alors, cette hormone dite « précurseur » était réputée « ne servir à rien… sauf à produire les autres hormones stéroïdes », explique le psychiatre et chercheur en neurobiologie Pier Vincenzo Piazza. « Or nous avons découvert qu’elle jouait un rôle de rétro-contrôle négatif, c’est-à-dire de frein bloquant une activation trop importante du cerveau provoquée par le cannabis ».

Autrement dit, une forte absorption de THC déclenche la production de prégnénolone qui, à son tour, inhibe les effets du THC. C’est cette capacité de protection naturelle du cerveau contre la sur-activation des récepteurs CB1 que les chercheurs ont mise en évidence. La sur-activation est, quant à elle, responsable des effets intoxicants du cannabis, troubles de la mémoire et perte de motivation notamment.

Concrètement, la prégnénolone se fixe sur les mêmes récepteurs CB1 que le THC. Sa liaison bloque les récepteurs et entraîne ainsi la diminution des effets du THC, et en particulier la libération de dopamine (la substance addictive).

Une hormone mal connue

Dans quelles conditions naturelles la prégnénolone s’exprime-t-elle, hors consommation de produit excitant ? C’est une question à laquelle les chercheurs n’ont pas encore su répondre, même s’ils jugent probable que cette expression « naturelle » existe. En effet, « si un site de liaison spécifique de la prégnénolone sur les récepteurs CB1 a été prévu par l’évolution chez la souris, le rat et l’homme, il est presque certain que cette hormone joue un rôle physiologique de blocage de l’hyper-activation des récepteurs », explique Vincenzo Piazza. Le stress pourrait, par exemple, en fournir l’occasion.

Pour mesurer la motivation d’un animal – ici, rat ou souris – à se procurer une substance addictive, les chercheurs le contraignent à fournir un travail pour recevoir une injection de drogue (en l'occurrence, le THC), par exemple appuyer sur un levier. Avec le temps, il doit appuyer un nombre sans cesse croissant de fois : 5, 10, 20 fois, puis 40, 80, 100… un compte qui peut aller jusqu’à 2000 fois pour certaines drogues comme la cocaïne ! À l’inverse, à dépendance décroissante, l’animal refuse de fournir un tel effort…

Une piste thérapeutique

Pourra-t-on demain fumer du cannabis sans risque ?

Pas question, pour autant, d’offrir des patchs de prégnénolone à d’heureux fumeurs de joints désormais débarrassés des effets négatifs de leur addiction ! « En effet, la prégnénolone bloque tous les effets du cannabis, agréables et secondaires, y compris les effets thérapeutiques comme la réduction de la douleur ou l’induction d’appétit chez des personnes dénutries », précise Pier Vincenzo Piazza.

En outre, elle n’apparaît que pour de très fortes doses de THC, supérieures à celles absorbées par un consommateur, même régulier, de cannabis, ce qui explique pourquoi ce mécanisme n’a pu être mis en évidence que dans le cadre d’une recherche scientifique.

« Une alliance thérapeutique entre psychothérapie et pharmacologie »

En revanche, les effets de cette molécule ouvrent une perspective très intéressante pour les personnes dépendantes : la possibilité d’une alliance thérapeutique entre les prises en charge psychosociale et pharmacologique. En effet, souligne le chercheur, la prégnénolone permettrait au patient de retrouver peu à peu mémoire et motivation tout en perdant sa dépendance. Et donc d’être plus à même, si besoin, de suivre une psychothérapie.

Des dérivés de la prégnénolone à élaborer

La prégnénolone elle-même ne peut pas être utilisée comme médicament, car elle constitue une étape dans la production d’autres hormones. Absorbée par voie orale, elle est donc rapidement transformée en d’autres stéroïdes. C’est la raison pour laquelle des dérivés de prégnénolone sont en cours d’élaboration. Ils pourraient être administrés à l’homme d’ici un an et demi pour les premiers tests de toxicité. Et Pier Vincenzo Piazza d’espérer : « On pourrait disposer des premiers résultats d’efficacité clinique d’ici trois ans ».

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Le cannabis sous l’œil des scientifiques

Barbara Vignaux le 06/01/2014