Missions martiennes : quel bilan un an après ?

Spirit, Opportunity, Mars Express : voilà plus d'un an que deux robots américains et une sonde européenne ont rejoint la planète rouge pour une exploration extra-terrestre sans précédent. Premiers bilans...

Par Olivier Boulanger, le 23/02/2005

Mars Exploration Rover : de l'eau !

Lâchés dans deux régions distinctes, les deux robots américains Spirit et Opportunity avaient pour mission de retrouver les indices d'une présence – passée ou présente – d'eau liquide sur la planète rouge. Autant dire que la mission Mars Exploration Rover, d'une durée initiale de 90 jours, peut d'ores et déjà être qualifiée de succès. Car, non seulement les deux rovers sont toujours vaillants, mais tous deux ont confirmé que de l'eau liquide avait bien été présente sur Mars.

La survie, une histoire de propreté...

Entre le 11 janvier 2004 et le 3 janvier 2005, une fine couche de poussière a recouvert l'ensemble de Spirit. Opportunity est un peu moins touché que son jumeau.

La survie des deux rovers dépend principalement de leur approvisionnement en énergie. Or, au fil des jours, les panneaux solaires se recouvrent de poussière et deviennent de moins en moins efficaces. Par chance, ces panneaux ont repris de leur vigueur il y a quelques semaines après le passage du vent. Il n'est pas sûr, cependant, que cette « technique de nettoyage » demeure efficace très longtemps.

Spirit : à la recherche du lac perdu

Le cratère Gusev dans lequel a atterri Spirit.

En envoyant Spirit dans le cratère Gusev, le 3 janvier 2004, les scientifiques de la Nasa espéraient trouver des traces évidentes d'une présence d'eau, passée ou présente. De nombreux éléments géologiques fournis par les sondes Mars Global Surveyor ou 2001 Mars Odyssey montrent en effet que Gusev avait été inondé par le passé : un gigantesque chenal s'y déverse. D'un point de vue morphologique, tout laisse ainsi penser que Gusev est un lac asséché.

Mais les premiers résultats fournis par Spirit sont décevants. Rien ne laisse supposer que la région ait un jour été inondée. Aucune stratification, aucun « galet » modelé par le passage de l'eau, le sol poussiéreux ne semble constitué que de roches volcaniques : du basalte, du basalte, rien que du basalte…

Les données collectées par les différents instruments de Spirit confirment que la région est sèche, froide, et géochimiquement inactive depuis des milliards d'années. S'il y a eu de l'eau, comme le laisse présager la morphologie de Gusev, celle-ci a disparu très rapidement sans laisser de traces. Dommage, car pour qu'une forme de vie (telle que nous la connaissons sur Terre) se développe, l'eau doit pouvoir se maintenir à l'état liquide suffisamment longtemps.

Le cratère Bonneville

Spirit est alors envoyé en direction de « Bonneville », un cratère d'impact de 192 m de diamètre, dans l'espoir de trouver des affleurements rocheux permettant de connaître un peu mieux le proche sous-sol. Mais une fois de plus, les traces d'eau font défaut. L'impact météoritique à l'origine du cratère ne semble pas avoir été suffisant pour mettre en évidence les structures géologiques sous-jacentes.

En explorant les collines Columbia...

Les collines Columbia : un tournant dans la mission

En désespoir de cause, Spirit est dirigé vers les collines Columbia (baptisées ainsi en hommage aux astronautes ayant perdu la vie à bord de la navette du même nom) situées à près de 4 km du site d'atterrissage. Les observations réalisées par les différentes sondes martiennes en orbite montrent en effet que ces collines présentent une géologie variée, et qu'elles ont peut-être été un jour des îles… Un choix judicieux ! Des roches affleurantes sont visibles ainsi que des stratifications. Le spectromètre du robot détecte également de l'hématite (un oxyde de fer), des silicates, de la goéthite… autant de minéraux ne se formant qu'en présence d'eau.

En un an, Spirit a parcouru plus de 4 km...

Bouquet final : le 15 février 2005, la Nasa annonce que Spirit a mis la main, ou plutôt la pince, sur la roche la plus intéressante depuis le début de sa mission. Baptisée Peace (Paix en anglais), celle-ci contient des sulfures en profondeur et non en surface contrairement aux autres pierres précédemment étudiées. Cette roche est constituée de grains d'origine volcanique cimentés par des sels de sulfates de magnésium, des sels qui ne peuvent se former qu'en présence d'eau…

Reste que, si l'on tient compte de la solubilité des différents composants, de l'eau liquide a bien été présente dans cette région, mais en faible quantité et durant un temps très bref. Spirit doit désormais grimper jusqu'en haut de la colline où il en apprendra certainement plus sur l'histoire géologique de la région.

Opportunity : des « myrtilles » à perte de vue

Des « myrtilles » sur Mars !?

Opportunity, à la différence de son jumeau, n'a jamais déçu. Les chercheurs de la Nasa l'ont en effet envoyé dans la région de Meridiani Planum, où les sondes en orbite avaient déjà décelé la présence d'hématite, un indice de l'existence d'eau liquide dans le passé. Les premières images créent la surprise : Opportunity a atterri (sans dommage) dans un petit cratère météoritique de quelques dizaines de mètres de diamètre.

Baptisé Eagle, ce minuscule cirque présente un grande intérêt géologique du fait que le long de ses contreforts, la structure sous-jacente du sol est apparente. Les scientifiques constatent très rapidement que le site présente de nombreux autres indices d'une présence d'eau passée. Les spectromètres d'Opportunity détectent en effet des sulfures, de la jarosite... Opportunity découvre surtout d'étranges sphérules de quelques millimètres de diamètre recouvrant le sol : ces « myrtilles », comme les ont baptisées les chercheurs de la Nasa, sont des concrétions de 1 à 5 mm de diamètre, riches en hématite, l'oxyde de fer repéré par les sondes !

Le trajet effectué par Opportunity

Six mois au fond du cratère Endurance

Opportunity continue son périple au fond d'un cratère plus large baptisé Endurance. Ici encore, les preuves d'une présence d'eau dans le passé sont évidentes. Les bords du cratère laissent apparaître des stratifications. Certaines roches gardent les empreintes d'une dissolution laissée par un minéral. Le sol présente par endroits des fentes de dessiccation…

La falaise Burn Cliff, sur les contreforts du cratère Endurance.

Reste à déterminer quand l'eau était présente à l'état liquide dans cette région. Les deux robots n'ont pas été conçus pour effectuer ces évaluations. Selon certains chercheurs de la NASA, les dernières inondations pourraient remonter à 3,5 milliards d'années. Mais cela n'est pas formellement démontré.

Mars Express à mi-parcours

Les Américains ne sont pas les seuls à avoir investi la planète rouge. Arrivée peu avant les deux rovers, la sonde européenne Mars Express s'est placée en orbite autour de Mars. Alors que celle-ci arrive à la moitié de sa mission, les premiers bilans sont positifs : tous les instruments fonctionnent parfaitement et la moisson scientifique s'annonce riche. Les nombreux chercheurs associés au projet se sont réunis à Noordwidjk, aux Pays-Bas du 21 au 25 février 2005 afin de présenter les résultats obtenus à partir des sept instruments qui équipent Mars Express.

Détail de la calotte polaire nord

HRSC : Mars en couleurs et en trois dimensions

Les données les plus remarquables sont sans conteste celles fournies par la caméra HRSC, une caméra stéréo haute résolution capable de réaliser des images en relief et en couleurs d'une finesse extraordinaire. À ce jour, l'instrument a pu couvrir 20% de la surface martienne avec une résolution de 50 m par pixel, et environ 10 % avec une résolution de 20 m par pixel. À terme, la caméra HRSC doit réaliser une cartographie quasi-complète de la planète rouge.

Une mer gelée à l'équateur ?

Dernière découverte en date, la caméra HRSC a observé près de l'équateur ce qui pourrait être une mer gelée recouverte de poussières mesurant 800 km sur 900 km : un paysage qui n'est pas sans évoquer les blocs de glace dérivant à la surface de l'océan arctique.

De la glace d'eau au pôle sud martien...

Omega : de l'eau mais pas de carbonate

Le spectromètre Omega a été conçu pour étudier la composition de la surface martienne. En association avec la caméra HRSC, il a déjà permis la réalisation de cartes géologiques inédites. Grâce à une résolution pouvant atteindre 300 m par pixel, Omega a déjà mis en évidence l'extraordinaire diversité géologique de Mars, une variété qui n'apparaît pas forcément à des échelles plus grandes. Très rapidement, l'instrument a été capable de déceler de la glace d'eau dans la calotte polaire sud, là où l'on pensait qu'il n'y avait que de la glace de CO2.

Une étendue de gypse près du pôle nord

Omega a surtout permis de constater qu'aucun carbonate n'était présent sur Mars. Cette absence, selon les chercheurs, montre que le CO2 – qui existait dans l'atmosphère primitive de la planète – s'est très vite échappé dans l'espace sous l'effet des vents solaires. Sans manteau atmosphérique, sans gaz à effet de serre, la planète rouge n'a pas pu connaître de période chaude et humide comme on l'espérait. Pour autant, la présence d'eau liquide dans le passé n'est pas exclue. Omega a surpris de nombreuses roches altérées par les eaux : des argiles, des oxydes, des sels… Une région large de 300 km sur 60 constituée essentiellement de gypse a même pu être identifiée à proximité du pôle nord : une étendue qui n'est pas sans rappeler certains lacs salés aujourd'hui asséchés. Sans doute s'agit-il d'une formation issue d'écoulements provenant de la calotte polaire.

Ce premier bilan d'exploration martienne montre que, si l'eau liquide a joué un rôle dans l'histoire de la planète rouge, c'était dans un lointain passé et dans des endroits isolés. On est loin de l'hypothèse formulée par certains d'un océan occupant tout l'hémisphère nord...

Les résultats obtenus à partir des autres instruments

Mars Express doit sonder le sous-sol martien

Marsis (voir image ci-contre) est une antenne radio permettant de sonder le sous-sol martien à plusieurs kilomètres de profondeur ! L'instrument devait être initialement déployé en avril 2004 mais cette manoeuvre a finalement été reculée. Les ingénieurs estimaient en effet que le déploiement de l'antenne pourrait endommager la sonde. Le risque étant finalement réduit, Marsis devrait prochainement être opérationnelle.

Spicam, spectromètre atmosphérique ultraviolet et infrarouge, a montré que l'atmosphère martienne est très pauvre en ozone. L'instrument a permis de confirmer que cette carence est liée à la présence de vapeur d'eau dans l'atmosphère. Les chercheurs s'interrogent pour savoir si la raréfaction de l'ozone dans l'atmosphère terrestre ne pourrait être associée à une augmentation de la vapeur d'eau dans l'atmosphère terrestre.

PFS est un spectromètre permettant d'étudier la composition et les propriétés de l'atmosphère martienne. Cet instrument a détecté du méthane, un composant qui peut indiquer une activité biologique… mais qui peut aussi provenir d'une activité volcanique.

MaRS est un instrument radio permettant d'étudier la haute atmosphère martienne. Il a permis de mettre en évidence les variations de l'ionosphère au cours d'une journée. MaRS a également fourni les premières données détaillées sur l'hiver martien : la pression est très faible (4 millibars), la température également (de -143°C à -130°C) et des chutes de neiges carboniques se produisent régulièrement.

Aspera est un instrument permettant d'étudier la manière dont les particules du vent solaire interagissent avec l'atmosphère martienne. Les mesures effectuées depuis un an permettent de mettre en évidence que ces particules pénètrent beaucoup plus profondément dans l'atmosphère qu'on ne le pensait.

Olivier Boulanger le 23/02/2005