Biocarburants : la France à petits pas

Alors qu'une directive européenne impose un taux d'incorporation des biocarburants dans les carburants fossiles de 5.75% à l'horizon 2010, le gouvernement français a décidé de tripler sa production de carburants verts.

le 06/06/2005

Un contexte politique favorable

Une usine de production d'éthanol

« Tripler la production française de biocarburants », tel est l'engagement pris par Jean-Pierre Raffarin le 17 septembre 2004. Avec cette annonce, reprise aujourd'hui par plusieurs responsables politiques, le dossier des biocarburants revient sur le devant de la scène. Et pour cause. Le gouvernement voudrait d'abord pouvoir respecter ses engagements de réduction des gaz à effet de serre pris lors des accords de Kyoto.

Les usines de biocarburants en France

Ensuite, une directive européenne incite à l'incorporation de carburants verts (éthanol ou Diester) dans les carburants fossiles classiques (essence et diesel) à hauteur de 2% en 2005 et de 5.75% en 2010. Or, la France en est loin. En 2004, seuls 0.95% d'esters d'huiles et 0.4% d'éthanol ont été incorporés.

En conséquence, le gouvernement a lancé, le 19 mai 2005, une nouvelle phase du plan Biocarburants pour la période 2008-2010, avec la production supplémentaire de 700 000 tonnes de Diester et 250 000 tonnes d'éthanol. "Ainsi, l'objectif d'incorporer 5,75% de biocarburants dans les carburants en 2010 sera tenu", a assuré le gouvernement.

Des enjeux environnementaux mais aussi économiques

« L'usage des biocarburants participe à l'effort d'indépendance énergétique »

Les conclusions de l'étude réalisée en 2002 par le cabinet d'expertise Ecobilan avec l'Ademe (Agence De l'Environnement et de Maîtrise de l'Energie) et la Direm (DIrection des Ressources Energétiques et Minérales) sont simples : utiliser des biocarburants contribue à diminuer les émissions de gaz à effet de serre produits en grande quantité par la combustion d'hydrocarbures fossiles. « L'impact de la filière éthanol sur l'effet de serre est environ 2,5 fois inférieur à celui de la filière essence. L'impact du Diester est 3,5 fois inférieur à celui du gazole. »

« En 2010, 28 000 emplois devraient être créés grâce aux biocarburants. »

Cette étude tient compte du cycle de vie complet des carburants : production, transport, transformation et distribution. La production d'éthanol de blé passe par l'utilisation d'énergie non renouvelable (engrais, utilisation de carburants pour les machines agricoles). Mais au final, l'éthanol libèrerait plus d'énergie qu'il n'en faut pour le fabriquer.

Par ailleurs, les moteurs fonctionnant "au vert" émettent moins de particules, d'hydrocarbures aromatiques ou de soufre. Enfin, les biocarburants jouent un rôle économique non négligeable.

De l’éthanol dans l’essence, du diester dans le gazole...

Il existe deux types de biocarburants : l'éthanol, qui est utilisé dans des moteurs de type « essence » et les esters méthyliques d'huiles végétales (EMHV), couramment appelés Diester, employés dans les moteurs de type « diesel ».

L'éthanol est produit à partir de plantes sucrières (canne à sucre, betterave) ou de céréales (blé, maïs). Sa production repose sur la fermentation qui transforme les sucres en éthanol. Elle s'accompagne de la formation de co-produits utilisés pour l'alimentation animale ou valorisés sous forme énergétique. L'éthanol peut être utilisé pur, en mélange ou bien encore sous sa forme d'éther (Ethyl Tertio Butyl Ether ou ETBE), obtenue par réaction avec de l'isobutuène issu des raffineries pétrolières. L'usage de l'éthanol pur ou à très forte concentration nécessite une adaptation du véhicule. Pour des teneurs allant de 5 à 10%, aucune adaptation n'est nécessaire. Mais des difficultés techniques peuvent apparaître. L'ETBE permet de les supprimer.

Les esters méthyliques d'huiles végétales (EMVH) sont produits à partir d'huiles végétales issues par exemple de colza, de tournesol, de soja ou même de palme. Un résidu solide (le tourteau) est généralement réservé à l'alimentation animale. Les huiles végétales doivent ensuite réagir avec un alcool (le méthanol) pour donner les EMVH. Leur utilisation pure nécessitant des adaptations du véhicule, ils sont donc surtout utilisés en mélange avec du gazole à des teneurs allant jusqu'à 30%.

La France n’est plus leader en Europe

Trois pays d’Europe se partagent les trois quarts de la production mondiale de Diester

Précurseur en Europe il y a près de quinze ans en lançant la production de Diester et d'éthanol, la France est maintenant dépassée par d'autres pays. Depuis 2001, l'Allemagne est devenue le premier producteur européen de biodiesel. Et du côté de l'éthanol, la France est aussi reléguée au second rang, derrière l'Espagne, qui développe fortement cette filière depuis trois ans.

Les raisons de ces bouleversements sont principalement politiques. Alors que le frein majeur au développement des biocarburants reste leur coût, la mise en place d'une défiscalisation est importante, ce qu'ont très bien compris l'Allemagne et l'Espagne, dont les gouvernements proposent des réductions de taxes conséquentes. Reste maintenant à savoir si la nouvelle volonté politique en France pourra permettre de rattraper le retard.

Brésil et États-Unis dominent le monde

Le Brésil et les Etats-Unis dominent la production mondiale d'éthanol

Hors Europe, deux pays dominent le marché : les États-Unis et le Brésil qui produisent à eux seuls 95% de l'éthanol carburant dans le monde. Le Brésil renforce chaque année sa position de leader dans le commerce mondial.

Fait nouveau avec la hausse du prix du pétrole, de nombreux autres pays envisagent le lancement de programmes nationaux (Inde, Amérique Centrale, Chine, Canada…). Il s'agit presque toujours d'éthanol, la fabrication de Diester étant principalement européenne : le marché des carburants y est marqué par une domination de la consommation de gazole.

Le Brésil, champion du monde de l’éthanol carburant

1973 : premier choc pétrolier. La hausse du prix du pétrole incite le gouvernement brésilien à lancer Proalcool, un vaste programme de développement de la filière éthanol : taux d'intérêts préférentiels, subventions à l'achat de véhicules, tout est mis en œuvre pour que le Brésil devienne le premier producteur et consommateur d'éthanol au monde.

Mais le contre-choc pétrolier de 1986 (baisse du prix du pétrole) va provoquer une pénurie d'éthanol (diminution de la production d'éthanol qui n'est plus rentable) et éroder le principal argument de développement de la filière, à savoir l'indépendance par rapport au pétrole. Le programme est alors réformé en profondeur et privilégie dès lors les mélanges à l'utilisation pure. Depuis deux ans, des mesures fiscales incitent à l'acquisition de véhicules fonctionnant alternativement à l'alcool pur et au mélange. Ce type de véhicules, dits flexibles, représente déjà 35% du parc automobile et le pays compte près de 30 000 stations services distribuant de l'éthanol. Celui-ci, fabriqué à partir de canne à sucre, est produit à un prix très compétitif.

La filière éthanol est donc encore aujourd'hui en pleine expansion. Le Brésil répond à la hausse de ses besoins, mais souhaite maintenant renforcer ses positions dans le commerce mondial et ne cache pas ses ambitions exportatrices.

Des obstacles ternissent l’avenir des biocarburants

« Il va falloir trouver de nouvelles applications aux co-produits. »

Trois inconvénients majeurs pourraient freiner le développement des biocarburants. D'abord leur coût de production, qui est supérieur à celui des carburants fossiles. Selon Stéphane His, économiste à l'Institut Français du Pétrole (IFP), « on peut considérer qu'en Europe les carburants verts sont compétitifs pour un baril de pétrole à 80 dollars ».

« Pour contourner les problèmes des biocarburants traditionnels, on envisage l’utilisation d’une nouvelle forme de production, à partir de bois ou de paille. »

Les pays européens doivent s'employer à réduire ces coûts, ce que font déjà le Brésil et les États-Unis. Ces deux géants y arrivent notamment grâce à une matière première meilleur marché et des usines de très grande capacité permettant des économies d'échelle.Autre problème, la disponibilité des ressources : le développement des biocarburants entraîne une concurrence avec la filière alimentaire pour l'usage des terres. Enfin, le troisième obstacle est la formation importante de co-produits, qui risquent de voir leurs débouchés se saturer.

Guillaume Giraudet

le 06/06/2005